Page images
PDF
EPUB

éclairée des lumières de la vraie religion et lui prêtant appui, la raison de Socrate au service de la foi de Jésus-Christ.

« Parce que Socrate se défie de son propre sens, il n'assure rien de ce qu'il dit; mais parce qu'il a soumis son esprit à l'obéissance de la foi, il ne doute rien de ce que l'Église lui a dicté. Même en enseignant, il fait profession d'ignorance mais au Je ne sais rien du philosophe d'Athènes, il ajoute le Je sais Jésus-Christ crucifié de l'Apôtre des Gentils, et il croit que savoir cela, c'est savoir tout. »

Socrate, le principal personnage ou le principal orateur de l'ouvrage, c'est l'écrivain lui-même. Il passe en revue certains sujets de philosophie, de morale et de religion qu'il traite rapidement, mais avec une largeur de vues, une fermeté de principes et un esprit de foi qui réjouissent les lecteurs chrétiens. Dans les bons passages, c'est un premier reflet de la logique irrésistible de Pascal ou de l'éloquence chaleureuse de Bossuet1. On peut mettre en parallèle

1 Le rapprochement entre Balzac et Bossuet, qui pourrait surprendre et paraître excessif, a été fait d'abord par un juge particulièrement autorisé, M. de Sacy. « Balzac, dit-il, est délicieux à lire par fragments. Détachés du reste, certains morceaux font illusion. On croirait presque entendre Montesquieu ou Bossuet, tant à force de manier le langage en tout sens, il finit par rencontrer des pensées ingénieuses et subtiles, ou même grandes et fortes. Estce Balzac, l'artiste en phrases, n'est-ce pas plutôt l'auteur du Discours sur l'Histoire universelle qui a écrit les lignes suivantes P... » Suit précisément notre citation. On sait, du reste, de source sûre, que Bossuet, comme aussi Pascal, a lu Balzac, l'a étudié de près, a profité à son école et, par suite, que l'analogie frappante entre certaines idées n'est pas un accident et l'effet d'un pur hasard.

HIST. DE LA LITT. T. I.

avec les meilleures pages du Discours sur l'Histoire universelle le morceau célèbre sur les fléaux de Dieu.

<<< Il est très vrai qu'il y a quelque chose de divin, disons davantage, il n'y a rien que de divin, dans les maladies qui travaillent les Etats. Ces dispositions et ces humeurs dont nous venons de parler, cette fièvre chaude de rébellion cette léthargie de servitude viennent de plus haut qu'on ne s'imagine. Dieu est le poète, et les hommes ne sont que les acteurs ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le ciel, et c'est souvent un faquin qui en doit être l'Atrée ou l'Agamemnon. Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se serve. Entre ses mains tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre, tout est César elle peut faire par un enfant, par un nain, par un eunuque, ce qu'elle a fait par les géants et par les héros, par les hommes extraordinaires.

:

<< Dieu lui-même dit de ces gens-là qu'il les envoie en sa colère et qu'ils sont les verges de sa fureur. Mais ne prenez pas ici l'un pour l'autre. Les verges ne piquent ni ne mordent d'elles-mêmes, ne frappent ni ne blessent toutes seules. C'est l'envoi, c'est la colère, c'est la fureur qui rendent les verges terribles et redoutables. Cette main invisible, ce bras qui ne paraît pas, donnent les coups que le monde sent. Il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l'homme, mais la force qui accable est toute de Dieu 1. »

Quelle vérité dans cette personnification des conquérants, qui font l'office de la foudre, de la tempête et du déluge! Comme la part est nettement faite entre ces fléaux de Dieu, «< ces bras de chair, »> comme dit Bossuet après l'Écriture, et Dieu mème qui les envoie!

1 Socrate chrétien, discours huitième.

Les Entretiens, qui ne virent le jour qu'en 1657, complètent la liste des ouvrages de Balzac. Ils forment une suite de conversations sur des sujets très divers, en général moins sérieux que dans le Socrate chrétien, et dont l'occasion a été le plus souvent fournie par les discussions littéraires du temps.

On s'est plu souvent à rapprocher Malherbe et Balzac et à les comparer l'un à l'autre ; ils diffèrent en bien des points. Le poète avait assurément dans le caractère un amour de la domination, une confiance en lui-même et un dédain des autres que le prosateur ne montra pas au même degré comme tout auteur, Balzac était disposé favorablement pour ses œuvres, mais il ne semble pas que cette complaisance ait dépassé de beaucoup la mesure ordinaire. Elle était réglée d'ailleurs par un esprit de foi qui le garda des démarches hasardeuses, des calculs intéressés et des entraînements coupables. Il n'est malheureusement pas possible d'en dire autant de Malherbe qui, chrétien à ses heures, et ces heures étaient trop rares, prolongea jusqu'aux dernières limites de la vie des écarts de conduite que l'on ne pardonne pas à la jeunesse. Du moins, si les hommes ne se ressemblent pas, il y a entre les écrivains de nombreux rapports. Ni l'un ni l'autre ne se font remarquer par l'invention ni par la richesse des pensées, ni par la vivacité

[ocr errors]

des sentiments, mais plutôt par le jugement, par le goût, par l'art de bien dire. Ils ont été des réformateurs de la langue, et ils ont eu l'honneur de donner un instrument convenable aux grands maîtres de la littérature française.

Balzac épura la prose, dont le seizième siècle avait altéré le caractère par de nombreux et maladroits emprunts aux langues anciennes et aux patois provinciaux, Il la retrempa à la source de la langue, c'est-à-dire au cœur même du royaume. Tout lui était suspect de gasconisme; sur chaque mot d'un écrivain de province, il consultait l'oreille d'un Parisien: et peu s'en fallait, disait-il, que la Touraine, si proche de Paris, ne lui en parût aussi éloignée que le Rouergue. Il essaya de donner du nombre à cette prose ainsi renouvelée. Malherbe ne voulait de l'harmonie que pour les vers, et Racan a dit « qu'il se moquait de ceux qui disaient que la prose avait ses nombres, et qu'il s'était mis dans l'esprit que de faire des périodes nombreuses, c'était faire des vers en prose ». Balzac pensa autrement, et par son propre exemple prouva qu'il avait raison 1.

La pureté et l'harmonie, telles sont les deux excellentes qualités que la prose française doit à l'auteur du Socrate chrétien, mais, par un effet naturel des

1 Sainte-Beuve a dit très ingénieusement que la langue française a fait sa rhétorique sous Balzac.

choses humaines, ces qualités, fondues pour ainsi dire dans la perfection de la langue, sont entrées dans le trésor de la prose oratoire, et la gloire en a été attribuée aux écrivains de génie qui, les premiers, ont employé cette prose, ainsi réparée et assouplie, à exprimer de grandes et originales conceptions. Ce qui est resté en propre à Balzac, c'est l'exagération, c'est l'emphase, c'est la recherche que l'on rencontre par intervalles dans ses ouvrages de longue haleine, mais qui malheureusement déparent presque toutes les pages de ses lettres.

III

Aux yeux des contemporains de Balzac, ses lettres furent son principal titre à la gloire. Avant d'avoir été publiées, elles avaient déjà illustré leur auteur. Mais lorsqu'elles eurent paru, ce fut un véritable enthousiasme. « Les conceptions de vos lettres, écrivait Richelieu, sont fortes et aussi éloignées des imaginations ordinaires qu'elles sont conformés au sens commun de ceux qui ont le jugement relevé. >>

1

14 février 1624. Je ne crois pas sans intérêt de prolonger la citation et de transcrire quelques lignes encore; il y a toujours profit à louer les écrivains de mérite avec les paroles des grands hommes.

<< La diction de vos lettres est pure, les paroles autant choisies qu'elles le peuvent être pour n'avoir rien d'affecté (sous l'éloge,

« PreviousContinue »