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siasme. «Descartes, disent-ils, est le véritable éman«< cipateur de la pensée moderne. C'est lui qui, en << proclamant tous les droits de la raison, a rompu « avec le passé et brisé le joug de l'autorité. Descartes «< a opéré dans le monde philosophique une révolu«<tion analogue à celle de Luther dans le monde

religieux. L'une a proclamé l'indépendance de la <«< conscience; l'autre, celle de la pensée. Par l'affran<«< chissement philosophique, ila préparé l'affranchis<«<sement politique. Descartes est le plus profond et << le plus fécond des révolutionnaires.

Le jugement de l'Église avait précédé de vingt ans les craintes de Bossuet. Si on ouvre le recueil des décisions de la Congrégation de l'Index au dix-septième siècle, on y trouve proscrits, à la date du 20 novembre 1663, les ouvrages suivants de Descartes: 1° Méditations sur la première philosophie; 2°o Notes sur un programme publié en Belgique en 1647, avec ce titre Explication de l'âme humaine ou de l'àme raisonnable; 3° la Lettre au P. Dinet, provincial des Jésuites; 4° la Lettre à Gilbert Voetius; 5° les passions de l'âme ; 6° les œuvres philosophiques, en général. Ces livres, renfermant toute la philosophie de Descartes, sont condamnés avec la clause donec corrigantur.

« J'en conclus, ajoute le R. P. Dom Guérauger, après avoir rapporté la sentence du Siège apostolique,

j'en conclus que les ouvrages de Descartes renferment tous des choses répréhensibles, ou tout au moins suspectes. Je me rappelle l'extrême prudence avec laquelle Rome procède toujours dans la proscription des livres, la réserve qu'elle garde plus particulièrement encore lorsqu'il s'agit d'œuvres philosophiques publiées par un auteur qui appartient à l'Église catholique; enfin j'observe la date du décret, 20 novembre 1663, c'est-à-dire, vingt-deux ans après la publication des Méditations, et je me dis qu'il est impossible à un catholique qui se fait un devoir d'être conséquent avec lui-même, de ne pas concevoir à l'égard de la philosophie de Descartes certaines préventions, d'autant plus irrésistibles, que les ouvrages condamnés par le décret de 1663, avec la clause donec corrigantur, n'ont pas été corrigés par l'auteur, qui était mort dès 1650'. »>

1 Descartes se serait très certainement soumis à la sentence de l'Index, s'il l'avait connue. Il écrivait au P. Mersenne en 1633 : « Je ne voudrais pour rien au monde soutenir mon opinion contre l'autorité de l'Église. Je sais bien qu'on pourrait dire que tout ce que les inquisiteurs de Rome ont décidé n'est pas incontinent article de foi pour cela, et qu'il faut, premièrement, que le concile y ait passé; mais je ne suis pas si amoureux de mes pensées, que de vouloir me servir de telles exceptions pour les mainlenir. »

HIST. DE LA LITT. T. 1.

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CHAPITRE QUATRIÈME

Les Provinciales

Blaise Pascal naquit à Clermont, en Auvergne, le 19 juin 1623. Il était fils d'un président de la cour des aides, Étienne Pascal, homme d'un vaste savoir et d'une grande piété. Deux sœurs de Pascal sont restées célèbres. L'une, son aînée, Gilberte, fut mariée à Florin Périer, conseiller en la cour des aides de Clermont; elle avait un esprit sérieux, des connaissances étendues, et savait bien le latin. L'autre, sa cadette, Jacqueline, s'adonnait volontiers aux plaisirs de la conversation et du bel-esprit; à vingtsix ans, elle abandonna le monde, et se fit religieuse à Port Royal, sous le nom de sœur Sainte-Euphémie. Elle y vécut dix ans, tout entière aux doctrines jansénistes et l'une des têtes du parti dans le monastère. Sa passion l'emportait à ce point, qu'elle mourut de douleur et de remords, trois mois après avoir,

comme elle disait, trahi la vérité en signant le formulaire.

La vie de Pascal a été écrite, au dix-septième siècle, par Mme Périer, sœur tout à fait digne de son frère. Personne ne vécut avec lui dans des rapports plus intimes de pensées et de sentiments; personne ne pouvait donner de lui une idée plus vraie et plus vive. Le récit de Mme Périer, bien que altéré et mutilé par Messieurs de Port-Royal, reste un monument qu'il faudra toujours étudier pour connaître Pascal.

Pascal n'eut pas d'autre éducation que celle de la famille. Il était à peine àgé de cinq ans, lorsqu'il eut le malheur de perdre sa mère. Le président vendit alors sa charge et vint s'établir à Paris, en 1631, afin de s'y consacrer entièrement à l'instruction de ses enfants et de poursuivre, pour son propre compte, les recherches scientifiques qu'il avait commencées. Il se lia avec les principaux savants de l'époque, qui se réunissaient dès lors en conférences régulières, pour traiter de hautes questions de physique et de mathématiques. Ces réunions, qui se tenaient à l'origine chez l'ami de Descartes, le P. Mersenne, et auxquelles le jeune Pascal assista souvent, furent l'origine de l'Académie des sciences, définitivement établie en 1666, comme les réunions de chez Conrart avaient été le berceau de l'Académie française.

Pascal se fit remarquer par une intelligence plus précoce encore que celle de Descartes. «< Dès que mon frère fut en âge qu'on lui pût parler, dit Mme Périer, il donna des marques d'un esprit extraordinaire par les petites réparties qu'il faisait fort à propos; mais encore plus par les questions qu'il faisait sur la nature des choses, qui surprenaient tout le monde. » Lorsque son père se refusait à lui dire la raison de ce qu'il voyait, ou essayait de le payer de mots, il ne se contentait pas, mais s'efforçait à trouver tout seul, et ne cessait ses recherches qu'après avoir découvert la vérité. « Une fois, entre autres, dit encore Mme Périer, quelqu'un ayant frappé à table un plat de faïence avec un couteau, il prit garde que cela rendait un grand son, mais qu'aussitôt qu'on eut mis la main dessus, cela l'arrêta: il voulut en même temps en savoir la cause, et cette expérience le porta à en faire beaucoup d'autres sur les sons. Il y remarqua tant de choses, qu'il en fit un traité à l'âge de douze ans, qui fut trouvé tout à fait bien raisonné. »

A douze ans, Pascal étudia et pour ainsi dire devina la géométrie, que la prudence paternelle avait voulu soustraire pour un temps à sona vide curiosité. Chateaubriand, dans le Génie du Christianisme, a célébré cette surprenante précocité en de magnifi

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