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neille! s'écriait Mme de Sévigné. Pardonnons-lui de méchants vers, en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent: ce sont des traits de maître qui sont inimitables ' .>> « Croyez, dit-elle encore ailleurs, que jamais rien n'approchera (je ne dis pas surpassera) des divins endroits de Corneille 2. >>

Boileau était trop le contemporain et l'ami de Racine pour préférer un autre poète, en même temps que la délicatesse de son goût et le prix qu'il attachait à la perfection d'un ouvrage le rendaient sévère pour les inégalités ou les défaillances du génie de Corneille. Il sentait néanmoins très vivement les beautés d'Horace, deCinna, et on a vu par quels vers il a loué le Cid. Un passage de la Septième réflexion critque résume bien toute la pensée de Boileau sur Corneille, en laissant entendre qu'il le place au-dessous de Racine.

<< Corneille est celui de tous nos poètes qui a fait le plus d'éclat en notre temps; et on ne croyait pas qu'il pût jamais y avoir en France un poète digne de lui être égalé Il n'y en a point, en effet, qui ait plus d'élévation de génie, ni qui ait plus composé. Tout son mérite pourtant, à l'heure qu'il est, ayant été mis par le temps comme dans un creuset, se réduit à huit ou neuf pièces de théâtre qu'on admire, et qui sont, s'il faut ainsi parler, comme le midi de sa poésie, dont l'orient et l'occident n'ont rien

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valu 1. Encore dans ce petit nombre de bonnes pièces, outre les fautes de langue qui y sont assez fréquentes, on commence à s'apercevoir de beaucoup d'endroits de déclamation qu'on n'y voyait point autrefois. Ainsi, non seulement on ne trouve point mauvais qu'on lui compare aujourd'hui M. Racine, mais il se trouve même quantité de gens qui le lui préfèrent 2. »

La Bruyère rendit hommage à l'esprit créateur et aux sublimes conceptions de Corneille dans le parallèle avec Racine, qu'il sera nécessaire de citer et de discuter plus tard. Enfin chargé de répondre au discours de réception de Thomas Corneille, Racine luimême saisit l'occasion de rendre au génie et au caractère de Pierre, un témoignage solennel:

<< La scène retentit encore, disait-il le 2 janvier 1685, des acclamations qn'excitèrent à leur naissance le Cid; Horace, Cinna, Pompée 3, tous ces chefs-d'œuvre représentés depuis sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront à jamais dans la bouche des hommes. A dire le vrai, où trouvera-t-on un poète qui ait possédé à la fois

1 La Bruyère, dans la première édition des Caractères, cinq ou six ans auparavant (1687), n'avait pas été moins sévère: » Les premières comédies de Corneille sont sèches, languissantes et ne laissaient pas espérer qu'il dût ensuite aller si loin, comme ses dernières font qu'on s'étonne qu'il ait pu tomber de si haut. »>

2 La Septième réflexion critique date de 1693. Il faut ne pas oublier que cette page de Boileau est extraite d'un ouvrage de polémique dirigé contre Perrault et les partisans des Modernes, en tête desquels se trouvaient Thomas Corneille et Fontenelle.

3 Et Polyeucte ? N'est-il pas surprenant que Racine omette cette pièce dans l'énumération des chefs-d'œuvre de Corneille ? On a raconté que Polyeucte était estimé par Boileau à l'égal du Cid. L'assertion est-elle bien authentique ? Ce qui est certain c'est que, nulle part, dans ses œuvres, l'auteur de l'Art poétique ne s'est déclaré là-dessus, et on n'a pas oublié en quels termes il a parlé des mystères. Le plus probable est que Boileau partageait les scrupules du prince de Conti et qu'il a entraîné à son avis Racine lui-même.

tant de grands talents, tant d'excellentes parties: l'art, la force, le jugement, l'esprit ? Quelle noblesse, quelle économie dans les sujets! Quelle véhémence dans les passions! Quelle gravité dans les sentiments! Quelle dignité, et en même temps quelle prodigieuse variété dans les caractères! Combien de rois, de princes, de héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu'ils doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant les uns aux autres! Parmi tout cela, une magnificence d'expressions, proportionnée aux maîtres du monde qu'il fait souvent parler, capable néanmoins de s'abaisser, quand il veut, et de descendre jusqu'aux plus simples naïvetés du comique, où il est encore inimitable. Enfin, ce qui lui est surtout particulier, une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève, et qui rend jusqu'à ses défauts, si on peut lui en reprocher quelquesuus, plus estimables que les vertus des autres. Personnage véritablement né pour la gloire de son pays; comparable, je ne dis pas à tout ce que l'ancienne Rome a eu d'excellents tragiques, puisqu'elle confesse elle-même qu'en ce genre elle n'a pas été fort heureuse; mais aux Eschyle, aux Sophocle, aux Euripide, dont la fameuse Athènes ne s'honore pas moins que des Thémistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en même temps qu'eux. »

Fontenelle, dans la Vie de Pierre Corneille, son oncle, a dit: << Pour juger de la beauté d'un ouvrages il suffit de le considérer en lui-même; mais pour juger du mérite d'un auteur, il faut le comparer à son siècle. » Il aurait dû ajouter: Et à ses devanciers, Pour juger du mérite d'un génie créateur, il faut le comparer au chaos d'où il a fait sortir ses créations. « A ce point de vue, affirme M. Nisard, il n'y a pas de plus grand nom dans l'histoire de notre littérature que le nom de Pierre Corneille. »

CHAPITRE TROISIÈME

Discours de la Méthode

La littérature du dix-septième siècle compte presque en même temps des ouvrages éminents en vers te en prose. Le premier chef-d'œuvre en vers porte la date de 1636 : c'est le Cid de Corneille. Le premier chef-d'œuvre en prose porte la date de 1637 c'est le Discours de la Méthode par Descartes.

René Descartes naquit, en 1596, à la Haye, petite ville de la Touraine. Il n'était encore âgé que de huit ans lorsque son père, gentilhomme et conseiller au parlement de Rennes, l'envoya au collège de La Flèche, que le roi Henri IV avait donné, cette année même aux Jésuites. L'enfant, quoique d'une santé, délicate, se voua avec ardeur aux études. Malade, il consacrait des heures entières à méditer ce qu'il

avait appris ou entendu. Le développement précoce de la raison n'avait point arrêté en lui l'essor de l'imagination. Il cultiva de bonne heure la poésie et ne l'abandonna jamais. Toutefois, arrivé à la fin de ses humanités, il concentra toutes les forces de son intelligence sur les mathématiques et la philosophie. Une communauté de goût et un amour égal pour la science l'unirent dès lors d'une tendre et inviolable amitié avec Martin Mersenne, qui entra dans l'ordre des Minimes, et fut un savant du premier ordre en même temps qu'un parfait religieux.

Descartes demeura huit ans et demi sous la conduite des Jésuites, pour lesquels il professa toute sa vie une respectueuse reconnaissance. Consulté plus tard par un de ses amis, qui voulait envoyer son fils terminer ses études près de lui, en Hollande, il lui répondait en l'engageant à le mettre de préférence au collège de La Flèche.

<< Vous voulez savoir mon opinion sur l'éducation de monsieur votre fils... Je ne vous conseille point de l'envoyer dans nos parages pour y étudier la philosophie, comme vous en avez la pensée. La philosophie ne s'enseigne ici que très mal. Les professeurs n'y font que discourir une heure le jour, environ la moitié de l'année, sans jamais dicter aucun écrit, ni achever le cours en aucun temps déterminé... Or, quoique mon opinion ne soit pas que toutes les choses qu'on enseigne en philosophie soient aussi vraies que l'Evangile, cependant parce que la philosophie est la clef des autres sciences, je crois qu'il est très utile d'en avoir étudié le cours entier comme il s'enseigne dans l'école des Jésuites, avant qu'on entreprenne

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