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Et Chapelain continue. La pièce finie, il s'applaudit lui-même de l'art qu'il a déployé :

Je n'ai fait que vingt vers, mais tous vers raisonnés,
Magnifiques, pompeux, justes et bien tournés.
Par un secret de l'art, d'une grande déesse
J'oppose les appas à ceux de ma comtesse;
Et des charmes divins, dans l'opposition,
Je fais voir la confusion.

Quant à l'autre couplet, j'y reprends la nature,
Qui des corps azurés a formé la structure,
De n'avoir su placer à ce haut firmament
Qu'un soleil seulement.

La comtesse en a deux : c'est au ciel une honte
Qu'un visage ici-bas en soleils le surmonte.
J'achève heureusement: il me fallait finir,
Aussi bien nos auteurs commencent à venir 1.

Toutes les scènes ne sont pas de ce tour heureux et sur ce ton agréable. Celle-ci est charmante et méritoire, puisqu'elle s'applique au Chapelain d'avant la Pucelle, en pleine possession de l'autorité et de la gloire. Pour en bien sentir le prix, il convient de ne pas oublier qu'on est loin encore des Satires de Boileau et des Femmes savantes de Molière, de cette admirable comédie qui n'est pas moins dirigée contre l'excès académique que contre le travers des Précieuses, et où le grand poète, s'il se montre impitoyable à l'abbé Cotin, n'épargne guère Vaugelas.

Acte 11, sc. 1.

CHAPITRE CINQUIÈME

Port-Royal

Port-Royal a été, de toutes les institutions qui ont influé sur la formation de la langue au dix-septième siècle, la moins puissante, la moins féconde, et cependant la plus célèbre et la plus louée. Cette renommée, hors de proportion avec les services rendus et le mérite réel, mais soigneusement entretenue par les contemporains, et renouvelée tout récemment de nos jours, oblige à faire à Port-Royal, dans l'histoire des idées et de la littérature, une place tout à fait à part et à s'arrêter avec quelque détail sur les hommes et sur les œuvres.

La puissance d'un corps littéraire se marque par

1 Sainte-Beuve a publié sous le titre : Port-Royal, six forts volumes qui comptent plus de trois mille pages. Il y a là une longue apologie du jansénisme avec toutes sortes d'échappées sur l'histoire religieuse, politique et littéraire du dix-septième siècle. L'auteur, qui est homme d'infiniment d'esprit et qui se plaît aux occasions de le faire briller, relève souvent, par malice, bien des misères à la charge de ses héros. Personne, assurément, ne trouvera mauvais que nous ayons profité des aveux de Sainte-Beuve.

les grands principes auxquels il donne jour, et sa fécondité apparaît dans les écrivains formés à son école et dans les ouvrages sortis de leurs mains. PortRoyal n'a rien ajouté au dépôt des traditions du siècle, formé par Malherbe et Balzac, enrichi par l'hôtel de Rambouillet et par l'Académie. A proprement parler, ce ne fut point une société, avec des doctrines et des règles propres, surtout avec un esprit général; mais seulement une réunion d'esprits particuliers, rassemblés pour un dessein qui touchait beaucoup plus aux choses de la Religion et à la conduite de l'État, qu'aux choses de l'esprit et à la perfection du langage. Joseph de Maistre, qui n'a jamais été plus original ni plus vrai que dans ses chapitres sur Port-Royal, a démêlé cette absence de tout lien littéraire.

« Quand on dit que Port-Royal a produit de grands talents, écrit l'auteur de l'Église Gallicane, on ne s'entend pas bien. Port-Royal n'était point une institution. C'était une espèce de club théologique, un lieu de rassemblement, quatre murailles enfin, et rien de plus. Lorsque je dis au contraire que l'ordre des Bénédictins, des Jésuites, des Oratoriens, etc., a produit de grands talents, de grandes vertus, je m'exprime avec exactitude, car je vois ici un instituteur, une institution, un ordre enfin, un esprit vital qui a produit le sujet; mais le talent de Pascal, de Nicole,

d'Arnauld, etc., n'appartient qu'à eux, et nullement à Port-Royal, qui ne les forma point; ils portèrent leurs connaissances et leurs talents dans cette solitude. Ils y furent ce qu'ils étaient avant d'y entrer. Ils se touchent sans se pénétrer, ils ne forment point d'unité morale: je vois bien des abeilles, mais point de ruche. »

Il manque donc à Port-Royal une inspiration commune. Les hommes y furent féconds, trop féconds pour leur gloire; le Grand Arnauld a produit plus de cent volumes; on les consulte encore, mais il y a longtemps que personne ne les lit plus. La maison même resta stérile en œuvres de premier mérite: on ne peut lui attribuer que les Provinciales, fruit malheureux du génie de Pascal qui, à vrai dire, n'était pas de Port-Royal.

Pourtant, il n'est point de société qui ait été l'objet de louanges aussi magnifiques et d'un enthousiasme aussi soutenu. Le jansénisme, au XVIIe siècle, est partout à la Cour, à la ville, dans les assemblées du clergé, au Parlement, non moins qu'à la Sorbonne même, et surtout dans les cercles les plus mondains. << On ne parlait que de saint Augustin dans les ruelles, raconte le P. Rapin '. » La liste complète des admira

4 Mémoires publiés pour la première fois, en 1865, par M. Léon Aubineau, d'après le manuscrit autographe conservé à la bibliothèque Richelieu. Ce curieux ouvrage renferme de précieuses indications sur Port-Royal et fournit un moyen assuré de contrôler les trop nombreux mémoires jansenistes.

teurs de Port-Royal comprendrait, à quelques noms près, toutes les célébrités du temps. Il faudrait y inscrire Gaston d'Orléans, Mile de Montpensier, la duchesse de Longueville et Fouquet. A côté de ces hauts personnages viendraient bon nombre d'autres, de condition moins élevée, mais qui ne sont pas moins illustres la marquise de Sévigné, Mme de Lafayette, Saint-Simon, La Bruyère, Racine et Boileau luimême, qu'emporte et aveugle sa passion pour les Arnauld. On aurait même le regret d'ajouter quelques évêques, parmi lesquels deux ont donné de tristes scandales: Paul de Gondi, cardinal de Retz, et Gondrin, archevêque de Sens, l'ennemi implacable des Jésuites.

Les principales causes de cette réputation usurpée ne furent pas littéraires. Il y eut des causes religieuses Port-Royal détestait les Jésuites, n'obéissait pas au Saint-Siège et soutenait tout un ordre d'idées contraires à la foi: par là, il gagna bien des alliés, dans une nation à peine guérie de la Réforme et des guerres de religion. Il y eut des causes politiques Port-Royal était toujours de l'opposition et tenait pour les mécontents, partisan de Gaston d'Orléans sous Richelieu, de la Fronde sous Mazarin. Ce fut un moyen de se faire des appuis à une époque où l'autorité monarchique se maintenait avec peine. Enfin, il y eut aussi des causes littéraires.

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