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De cette confiance tranquille en son génie naissait un dédain absolu pour toute critique. « Le mépris << que le public aura fait de mon ouvrage, dit-il, je << le ferai de son jugement. » Et il agissait comme il l'annonçait. Desportes et toute l'école de Ronsard le poursuivirent en vain de leurs critiques. Il se borna à répondre « que s'il s'y mettait, il ferait de leurs fautes un livre plus gros que leurs livres mêmes. >> Il s'y mit une fois, et l'on a encore un exemplaire de Desportes annoté de sa main '. Malherbe n'y va pas de main timide : « Cette sottise est non pareille, » dit-il d'un passage. Au bas de quelques stances, il ajoute cette note: « Toute cette pièce est si niaise et si écolière, qu'elle ne vaut pas la peine de la censure. » Il juge ainsi une phrase: « Ceci est dit sans jugement. » Et une autre : « Sot et lourd. »> Étrange oisonnerie, niaiserie, pédanterie, mal, très mal, impertinent; telles sont les critiques d'assez mauvais goût, mais le plus souvent justes, qui remplissent le volume.

Et ce ne fut pas le livre seul qui eut à subir les boutades de Malherbe. Desportes avait un jour invité notre poète à dîner. Avant de se mettre à table, il voulut courtoisement aller chercher un exemplaire de sa traduction des Psaumes pour l'offrir à son hôte;

1 A la bibliothèque de la rue Richelieu, à Paris.

mais le potage était servi : « Ne vous dérangez pas, dit brusquement Malherbe, votre soupe vaut mieux que vos Psaumes. » Les traits semblables abondent, et il serait trop long de les rapporter tous. C'est un malencontreux provincial qui vient à la porte du cabinet de Malherbe demander le président Maynard,ce poète était président au présidial d'Aurillac, -et qui obtient du maître du logis cette réponse pleine de hauteur: « Quel président demandez-vous? Il n'y a pas ici d'autre président que moi. » C'est enfin le grand prieur lui-même qui lui fait montrer, sous le nom d'un autre, une pièce de sa façon et qui reçoit, lui aussi, un compliment peu flatteur : « Ce sonnet est tout comme si c'était Monsieur le grand prieur qui l'eût fait. »

Malherbe n'a pas composé beaucoup de vers. Il n'avait point un génie fécond: la méditation et l'art l'ont fait poète. Il lui fallait du temps pour mettre une pièce en état de paraître. On dit qu'il employa trois ans à composer une ode pour le premier président de Verdun sur la mort de sa femme, et que le président était remarié avant d'avoir reçu les vers. << Le bonhomme Malherbe, écrit Balzac, m'a dit plusieurs fois qu'après avoir fait un poème de cent vers ou un discours de trois feuilles, il fallait se reposer dix ans tout entiers. » Et Balzac raconte ailleurs

1 Lettre à Conrart, 25 juillet 1650.

que Malherbe barbouilla une demi-rame de papier pour corriger une seule stance.

Un des premiers ouvrages de Malherbe est imité d'un poème italien dont l'auteur, Le Transille, était presque son contemporain. Il a pour titre : les Larmes de saint Pierre, et le titre suffit à indiquer le sujet. Catherine de Médicis avait introduit en France et mis à la mode Pétrarque et toutes ses fadeurs, ses pointes, ses jeux d'esprit. L'ouvrage de Malherbe atteste qu'à cette époque le poète en était encore, comme ses contemporains, à admirer l'ingénieuse subtilité des sonnets italiens. Cette œuvre de jeunesse est un tissu d'antithèses et d'hyperboles. On cite partout, comme exemple d'enflure et de mauvais goût, ces vers sur les marques de repentir de l'apôtre :

C'est alors que ses cris en tonnerre s'éclatent,
Ses soupirs se font vents qui les chênes combattent,
Et ses pleurs, qui tantôt descendaient mollement,
Ressemblent un torrent qui des hautes montagnes
Ravageant et noyant les voisines campagnes,
Veut que tout l'univers ne soit qu'un élément 1.

L'excès est ici manifeste, et on le pardonne à Malherbe qui débutait. Mais on est étonné de voir

1 Les larmes de saint Pierre. 1587. Ce méchant poème est adressé au roi Henri III, qui en paya 500 écus la dédicace. Le poète ne garda pas une reconnaissance durable de la libéralité royale et il se dédommagea cruellement des éloges menteurs qu'elle lui avait imposés. Ce fut toutefois après la mort du prince, alors que Malherbe pouvait, sans péril, donner cours à ses véritables senti

ments.

une enflure presque aussi choquante se reproduire à bien des années de distance. Il s'agit de la douleur de la reine Marie de Médicis après la mort de Henri IV. L'image de ses pleurs,

C'est la Seine en fureur qui déborde son onde
Sur les quais de Paris 1.

On trouve pourtant dans les Larmes de saint Pierre quelques vers bien frappés, d'une vigueur mâle ou même d'une gracieuse poésie. C'est là que, dans une strophe charmante, apparaît l'aimable troupe des saints Innocents, victimes de la cruauté aveugle d'Hérode. Ces enfants, semblables à des fleurs ravies à la terre, avant de s'y être épanouies, s'en vont fleurir au ciel et s'y parer d'une éternelle fraîcheur.

Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature
Mêlant à leur blancheur l'incarnate peinture
Que tira de leur sein le couteau criminel,
Devant que d'un hiver la tempête et l'orage
A leur teint délicat pussent faire dommage,
S'en allèrent fleurir au printemps élernel.

On sent revivre dans ces beaux vers un souvenir de l'hymne du Bréviaire romain, Salvete, flores martyrum 2.

1 Vers funèbres sur la mort de Henri le Grand. 1610 ou 1611. 2 Salvete, flores martyrum,

Quos lucis ipso in limine
Christi insecutor sustulit,
Ceu turbo nascentes rosas.

Vos prima Christi victima,
Grex immolatorum tener,
Aram sub ipsam simplices,
Palma et coronis luditis.

Le principal titre de Malherbe à la gloire poétique, ce sont ses odes. L'ode convenait peu à son génie calme, réfléchi, toujours contenu; mais, comme le remarque judicieusement M. Nisard, elle était de toutes les formes poétiques la plus propre à rendre sensibles des réformes dans la langue, rien n'étant lu de plus près, ni avec plus d'attention aux détails. C'est pourquoi il l'adopta, en même temps qu'il empruntait au Tasse et à l'Italie les Stances, genre encore presque inconnu en France. La stance se compose d'un nombre déterminé de vers formant un sens complet d'ordinaire, elle n'en a pas moins de quatre, ni plus de dix. La mesure des vers et le mélange des rimes sont laissés au choix du poète; mais la forme adoptée pour une stance passe nécessairement à toutes les autres de la même pièce. Des sonnets, dont aucun n'est très remarquable, quelques chansons sans grande verve, trois belles paraphrases de psaumes, complètent le bagage poétique de Malherbe, qui tient facilement en un seul volume. Il y fait preuve d'un talent ferme, vigoureux, sûr de luimême, qui n'a jamais ni emportements, ni écarts, ni défaillances, mais auquel manquent la facilité, l'abondance et aussi un peu l'éclat. Ce qui lui plaît surtout, et ce qu'il exprime admirablement, ce sont les idées grandes, nobles, élevées, qui demandent de fortes couleurs et des accents énergiques. Aussi la pensée

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