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La gloire a des trésors qu'on ne peut épuiser;
Et plus elle en prodigue à nous favoriser,

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Plus elle en garde encore où chacun peut prétendre.

Pour venir à cette Suivante que je vous dédie, elle est d'un genre qui demande plutôt un style naïf que pompeux les fourbes et les intrigues sont principalement du jeu de la comédie; les passions n'y entrent que par accident. Les règles des anciens sont assez religieusement observées en celle-ci. Il n'y a qu'une action principale à qui toutes les autres aboutissent; son lieu n'a point plus d'étendue que celle du théâtre, et le temps n'en est point plus long que celui de la représentation, si vous en exceptez l'heure du dîner, qui se passe entre le premier et le second acte. La liaison même des scènes, qui n'est qu'un embellissement, et non pas un précepte, y est gardée, et si vous prenez la peine de la peine de compter les vers; vous n'en trouverez en pas un acte plus qu'en l'autre. Ce n'est pas que je me sois assujetti depuis aux mêmes rigueurs. J'aime à suivre les règles; mais, loin de me rendre leur esclave,

je les élargis et resserre selon le besoin qu'en a mon sujet, et je romps même sans scrupule celle qui regarde la durée de l'action, quand sa sévérité me semble absolument incompatible avec les beautés des événements que je décris. Savoir les règles et entendre le secret de les apprivoiser adroitement avec notre théâtre, ce sont deux sciences bien différentes; et peut-être que, pour faire maintenant réussir une pièce, ce n'est pas assez d'avoir étudié dans les livres d'Aristote et d'Horace. J'espère un jour traiter ces matières plus à fond, et montrer de quelle espèce est la vraisemblance qu'ont suivie ces grands maîtres des autres siècles, en faisant parler des bêtes et des choses qui n'ont point de corps. Cependant mon avis est celui de Térence. Puisque nous faisons des poëmes pour être représentés, notre premier but doit être de plaire à la cour et au peuple, et d'attirer un grand monde à leurs représentations. Il faut, s'il se peut, y ajouter les règles, afin de ne déplaire pas aux savants, et recevoir un applaudissement universel; mais surtout gagnons la

voix publique; autrement, notre pièce aura beau être régulière, si elle est sifflée au théâtre, les savants n'oseront se déclarer en notre faveur, et aimeront mieux dire que nous aurons mal entendu les règles, que de nous donner des louanges quand nous serons décriés par le consentement général de ceux qui ne voient la comédie que pour se divertir.

Je suis,

MONSIEUR,

Votre très humble serviteur,

P. CORNEILLE.

GERASTE, père de Daphnis.
POLÉMON, oncle de Clarimond.
CLARIMOND, amoureux de Daphnis.

FLORAME, amant de Daphnis.

THÉANTE, aussi amoureux de Daphnis.
DAMON, ami de Florame et de Théante.
DAPHNIS, maîtresse de Florame, aimée de Clari-

mond et de Théante.

AMARANTE, suivante de Daphnis.

CÉLIE, voisine de Géraste et sa confidente.
CLÉON, domestique de Damon.

La scène est à Paris.

COMÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

DAMON, THÉANTE.

DAMON.

Ami, j'ai beau rêver, toute ma rêverie
Ne me fait rien comprendre en ta galanterie.
Auprès de ta maîtresse engager un ami,

C'est, à mon jugement, ne l'aimer qu'à demi.
Ton humeur, qui s'en lasse, au changement l'invite;
Et, n'osant la quitter, tu veux qu'elle te quitte.

THÉANTE.

Ami, n'y rêve plus; c'est en juger trop bien
Pour t'oser plaindre encor de n'y comprendre rien.
Quelque puissants appas que possède Amarante,
Je trouve qu'après tout ce n'est qu'une suivante;
Et je ne puis songer à sa condition

Que mon amour ne cède à mon ambition.
Ainsi, malgré l'ardeur qui pour elle me presse,
A la fin j'ai levé les yeux sur sa maîtresse,

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