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Et montre cependant des grâces peu vulgaires
A battre ses raisons par des raisons contraires.

SCÈNE IX.

DAPHNIS, FLORAME.

DAPHNIS..

Je n'osois t'aborder les yeux baignés de pleurs,
Et devant ce rival t'apprendre nos malheurs.

FLORAME.

Vous me jetez, madame, en d'étranges alarmes.
Dieux! et d'où peut venir ce déluge de larmes?
Le bonhomme est-il mort?',

DAPHNIS.

Non, mais il se dédit:

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Tout amour désormais pour toi m'est interdit:
Si bien qu'il me faut être ou rebelle ou parjure,
Forcer les droits d'amour, 'ou ceux de la nature,
Mettre un autre en ta place, ou lui désobéir,
L'irriter, ou moi-même avec toi me trahir.
A moins que de changer, sa haine inévitable la
Me rend de tous côtés ma perte indubitable;
Je ne puis conserver mon devoir et ma foi,
Ni, sans crime, brules pour d'autres ni pour

FLORAME.

toi.

Le nom de cet amant, dont Findiscrète envie
A mes ressentiments vient apporter sa vie?
Le nom de cet amant, qui, par sa prompte mort,
Doit, au lieu du vieillard, me réparer ce tort,

Et qui, sur quelque orgueil que son amour se fonde, que jusqu'à ma vue à demeurer au monde?

N'a

DAPHNIS.

Je n'aime pas si mal que de m'en informer;
Je t'aurois fait trop voir que j'eusse pu l'aimer,
Si j'en savois le nom, ta juste défiance
Pourroit à ses défauts imputer ma constance,
A son peu de mérite attacher mon dédain,
Et croire qu'un plus digne auroit reçu ma main.
J'atteste ici le bras qui lance le tonnerre

Que tout ce que le ciel a fait paroître en terre,
De mérites, de biens, de grandeurs, et d'appas,
En même objet uni, ne m'ébranleroit pas :
Florame a droit lui seul de captiver mon âme;
Florame vaut lui seul à ma pudique flamme
Tout ce que peut le monde offrir à mes ardeurs
De mérites, d'appas, de biens, et de grandeurs.

FLORA ME.

Qu'avec des mots si doux vous m'êtes inhumaine!
Vous me comblez de joie, et redoublez ma peine.
L'effet d'un tel amour, hors de votre pouvoir,
Irrite d'autant plus mon sanglant désespoir;
L'excès de votre ardeur ne sert qu'à mon supplice.
Devenez-moi cruelle afin que je guérisse.

Guérir! Ah! qu'ai-je dit? ce mot me fait horreur..
Pardonnez aux transports d'une aveugle fureur;
Aimez toujours Florame, et, quoi qu'il ait pu dire
Croissez de jour en jour vos feux et son martyre.
Peut-il rendre sa vie à de plus heureux coups,
Ou mourir plus content que pour vous, ou par vous?

DAPHNIS.

Puisque de nos destins la rigueur trop sévère
Oppose à nos désirs l'autorité d'un père,
Que veux-tu que je fasse en l'état où je suis?
Être à toi malgré lui, c'est ce que je ne puis;
Mais je puis empêcher qu'un autre me possède,
Et qu'un indigne amant à Florame succède.

Le cœur me manque. Adieu. Je sens faillir ma voix.
Florame, souviens-toi de ce que tu me dois.
Si nos feux sont égaux, mon exemple t'ordonne
Ou d'être à ta Daphnis, ou de n'être à

SCÈNE X.

FLORAME.

personne.

DÉPOURVU de conseil comme de sentiment,
L'excès de ma douleur m'ôte le jugement.
De tant de biens promis je n'ai plus que sa vue,
Et mes bras impuissants ne l'ont pas retenue;
Et même je lui laisse abandonner ce lieu,
Sans trouver de parole à lui dire un adieu.
Ma fureur pour Daphnis a de la complaisance;
Mon désespoir n'osoit agir en sa présence,
De peur que mon tourment aigrît ses déplaisirs;
Une pitié secrète étouffoit mes soupirs:
Sa douleur par respect faisoit taire la mienne;
Mais ma rage à présent n'a rien qui la retienne.
Sors, infâme vieillard, dont le consentement
Nous a vendu si cher le bonheur d'un moment;

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Sors, que tu sois puni de cette humeur brutale
Qui rend ta volonté pour nos feux inégale.
A nos chastes amours qui t'a fait consentir,
Barbare? mais plutôt qui t'en fait repentir?
Crois-tu qu'aimant Daphnis, le titre de son père
Débilite ma force, ou rompe ma colère?
Un nom si glorieux, lâche, ne t'est plus dû;
En lui manquant de foi ton crime l'a perdu.
Plus j'ai d'amour pour elle, et plus pour toi de haine
Enhardit ma vengeance et redouble ta peine :
Tu mourras; et je veux, pour finir mes ennuis,
Mériter par ta mort celle où te me réduis.

Daphnis, à ma fureur ma bouche abandonnée
Parle d'ôter la vie à qui te l'a donnée!

Je t'aime, et je t'oblige à m'avoir en horreur,
Et ne connois encor qu'à peine mon erreur!
Si je suis sans respect pour ce que tu respectes,
Que mes affections ne t'en soient point suspectes.
De plus réglés transports me feroient trahison;
Si j'avois moins d'amour, j'aurois de la raison :
C'est peu que de la perdre, après l'avoir perdue;
Rien ne sert plus de guide à mon âme éperdue;
Je condamne à l'instant ce que j'ai résolu;
Je veux, et ne veux plus sitôt que j'ai voulu:
Je menace Géraste, et pardonne à ton père;
Ainsi rien ne me venge, et tout me désespère.
Célie.

SCÈNE XI.

CÉLIE, FLORAME.

CÉLIE.

EH bien, Célie? Enfin elle a tant fait

Qu'à vos désirs Géraste accorde leur effet.
Quel visage avez-vous? votre aise vous transporte.

FLORAME.

Cesse d'aigrir ma flamme en raillant de la sorte,
Organe d'un vieillard qui croit faire un bon tour
De se jouer de moi par une feinte amour.

Si tu te veux du bien, fais-lui tenir promesse :
Vous me rendrez tous deux la vie, ou ma maîtresse ;
Et, ce jour expiré, je vous ferai sentir

Que rien de ma fureur ne vous peut garantir.

Florame.

CÉLIE.

FLORAM E.

Je ne puis parler à des perfides.

SCÈNE XII.

CÉLIE.

Il veut donner l'alarme à mes esprits timides,
Et prend plaisir lui-même à se jouer de moi.
Géraste a trop d'amour pour n'avoir point de foi;
Et s'il pouvoit donner trois Daphnis pour Florise,
Il la tiendroit encore heureusement acquise.

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