Et montre cependant des grâces peu vulgaires A battre ses raisons par des raisons contraires.
Je n'osois t'aborder les yeux baignés de pleurs, Et devant ce rival t'apprendre nos malheurs.
Vous me jetez, madame, en d'étranges alarmes. Dieux! et d'où peut venir ce déluge de larmes? Le bonhomme est-il mort?',
Tout amour désormais pour toi m'est interdit: Si bien qu'il me faut être ou rebelle ou parjure, Forcer les droits d'amour, 'ou ceux de la nature, Mettre un autre en ta place, ou lui désobéir, L'irriter, ou moi-même avec toi me trahir. A moins que de changer, sa haine inévitable la Me rend de tous côtés ma perte indubitable; Je ne puis conserver mon devoir et ma foi, Ni, sans crime, brules pour d'autres ni pour
Le nom de cet amant, dont Findiscrète envie A mes ressentiments vient apporter sa vie? Le nom de cet amant, qui, par sa prompte mort, Doit, au lieu du vieillard, me réparer ce tort,
Et qui, sur quelque orgueil que son amour se fonde, que jusqu'à ma vue à demeurer au monde?
Je n'aime pas si mal que de m'en informer; Je t'aurois fait trop voir que j'eusse pu l'aimer, Si j'en savois le nom, ta juste défiance Pourroit à ses défauts imputer ma constance, A son peu de mérite attacher mon dédain, Et croire qu'un plus digne auroit reçu ma main. J'atteste ici le bras qui lance le tonnerre
Que tout ce que le ciel a fait paroître en terre, De mérites, de biens, de grandeurs, et d'appas, En même objet uni, ne m'ébranleroit pas : Florame a droit lui seul de captiver mon âme; Florame vaut lui seul à ma pudique flamme Tout ce que peut le monde offrir à mes ardeurs De mérites, d'appas, de biens, et de grandeurs.
Qu'avec des mots si doux vous m'êtes inhumaine! Vous me comblez de joie, et redoublez ma peine. L'effet d'un tel amour, hors de votre pouvoir, Irrite d'autant plus mon sanglant désespoir; L'excès de votre ardeur ne sert qu'à mon supplice. Devenez-moi cruelle afin que je guérisse.
Guérir! Ah! qu'ai-je dit? ce mot me fait horreur.. Pardonnez aux transports d'une aveugle fureur; Aimez toujours Florame, et, quoi qu'il ait pu dire Croissez de jour en jour vos feux et son martyre. Peut-il rendre sa vie à de plus heureux coups, Ou mourir plus content que pour vous, ou par vous?
Puisque de nos destins la rigueur trop sévère Oppose à nos désirs l'autorité d'un père, Que veux-tu que je fasse en l'état où je suis? Être à toi malgré lui, c'est ce que je ne puis; Mais je puis empêcher qu'un autre me possède, Et qu'un indigne amant à Florame succède.
Le cœur me manque. Adieu. Je sens faillir ma voix. Florame, souviens-toi de ce que tu me dois. Si nos feux sont égaux, mon exemple t'ordonne Ou d'être à ta Daphnis, ou de n'être à
DÉPOURVU de conseil comme de sentiment, L'excès de ma douleur m'ôte le jugement. De tant de biens promis je n'ai plus que sa vue, Et mes bras impuissants ne l'ont pas retenue; Et même je lui laisse abandonner ce lieu, Sans trouver de parole à lui dire un adieu. Ma fureur pour Daphnis a de la complaisance; Mon désespoir n'osoit agir en sa présence, De peur que mon tourment aigrît ses déplaisirs; Une pitié secrète étouffoit mes soupirs: Sa douleur par respect faisoit taire la mienne; Mais ma rage à présent n'a rien qui la retienne. Sors, infâme vieillard, dont le consentement Nous a vendu si cher le bonheur d'un moment;
Sors, que tu sois puni de cette humeur brutale Qui rend ta volonté pour nos feux inégale. A nos chastes amours qui t'a fait consentir, Barbare? mais plutôt qui t'en fait repentir? Crois-tu qu'aimant Daphnis, le titre de son père Débilite ma force, ou rompe ma colère? Un nom si glorieux, lâche, ne t'est plus dû; En lui manquant de foi ton crime l'a perdu. Plus j'ai d'amour pour elle, et plus pour toi de haine Enhardit ma vengeance et redouble ta peine : Tu mourras; et je veux, pour finir mes ennuis, Mériter par ta mort celle où te me réduis.
Daphnis, à ma fureur ma bouche abandonnée Parle d'ôter la vie à qui te l'a donnée!
Je t'aime, et je t'oblige à m'avoir en horreur, Et ne connois encor qu'à peine mon erreur! Si je suis sans respect pour ce que tu respectes, Que mes affections ne t'en soient point suspectes. De plus réglés transports me feroient trahison; Si j'avois moins d'amour, j'aurois de la raison : C'est peu que de la perdre, après l'avoir perdue; Rien ne sert plus de guide à mon âme éperdue; Je condamne à l'instant ce que j'ai résolu; Je veux, et ne veux plus sitôt que j'ai voulu: Je menace Géraste, et pardonne à ton père; Ainsi rien ne me venge, et tout me désespère. Célie.
EH bien, Célie? Enfin elle a tant fait
Qu'à vos désirs Géraste accorde leur effet. Quel visage avez-vous? votre aise vous transporte.
Cesse d'aigrir ma flamme en raillant de la sorte, Organe d'un vieillard qui croit faire un bon tour De se jouer de moi par une feinte amour.
Si tu te veux du bien, fais-lui tenir promesse : Vous me rendrez tous deux la vie, ou ma maîtresse ; Et, ce jour expiré, je vous ferai sentir
Que rien de ma fureur ne vous peut garantir.
Je ne puis parler à des perfides.
Il veut donner l'alarme à mes esprits timides, Et prend plaisir lui-même à se jouer de moi. Géraste a trop d'amour pour n'avoir point de foi; Et s'il pouvoit donner trois Daphnis pour Florise, Il la tiendroit encore heureusement acquise.
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