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SCÈNE X.

DAPHNIS

moyens.

MON amour par ses yeux plus forte devenue
L'eût bientôt emporté dessus ma retenue,
Et je sentois mes feux tellement s'augmenter,
Qu'il n'étoit plus en moi de les pouvoir dompter.
J'avois peur d'en trop dire; et, cruelle à moi-même,
Parce que j'aime trop, j'ai banni ce que j'aime.
Je me trouve captive en de si beaux liens,
Que je meurs qu'il le sache, et j'en fuis les
Quelle importune loi que cette modestie,
Par qui notre apparence en glace convertie
Étouffe dans la bouche et nourrit dans le cœur,
Un feu dont la contrainte augmente la vigueur!
Que ce penser m'est doux, que je t'aime, Florame!
Et que je songe peu, dans l'excès de ma flamme,
A ce qu'en nos destins contre nous irrités
Le mérite et les biens font d'inégalités!
Aussi par celle-là de bien loin tu me passes,
Et l'autre seulement est pour les âmes basses;
Et ce penser flatteur me fait croire aisément
Que mon père sera de même sentiment.

Hélas! c'est en effet bien flatter mon courage,
D'accommoder son sens aux désirs de mon âge;
Il voit par d'autres yeux et veut d'autres appas.

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Ce reproche vraiment ne peut qu'il ne m'étonne. Pour revenir plus vite il eût fallu voler.

DAPHNIS.

Florame cependant, qui vient de s'en aller,
A la fin, malgré moi, s'est ennuyé d'attendre.

AMARANTE.

C'est chose toutefois que je ne puis comprendre. Des hommes de mérite et d'esprit comme lui N'ont jamais avec vous aucun sujet d'ennui; Votre âme généreuse a trop de courtoisie.

DAPHNIS.

Et la vôtre amoureuse un peu de jalousie.

AMARANTE.

De vrai, je goûtois mal de faire tant de tours,
Et perdois à regret ma part de ses discours.

DAPHNIS.

Aussi je me trouvois si promptement servie, Que je me doutois bien qu'on me portoit envie. En un mot, l'aimez-vous?

AMARANTE.

Je l'aime aucunement,

Non pas jusqu'à troubler votre contentement;
Mais si son entretien n'a point de quoi vous plaire,
Vous m'obligerez fort de ne m'en plus distraire.

DAPHNIS.

Mais au cas qu'il me plût?

AMARANTE.

Il faudroit vous céder.

C'est ainsi qu'avec vous je ne puis rien garder.
Au moindre feu pour moi qu'un amant fait paroître,
Par curiosité vous le voulez connoître ;

Et, quand il a goûté d'un si doux entretien,
Je puis dire dès lors que je ne tiens plus rien.
C'est ainsi que Théante a négligé ma flamme.
Encor tout de nouveau vous m'enlevez Florame.
Si vous continuez à rompre ainsi mes coups,
Je ne sais tantôt plus comment vivre avec vous.

DAPHNIS.

Sans colère, Amarante ; il semble, à vous entendre,
Qu'en même lieu que vous je voulusse prétendre?
Allez, assurez-vous que mes contentements
Ne vous déroberont aucun de vos amants;
Et pour vous en donner la preuve plus expresse,
Voilà votre Théante avec qui je vous laisse.

SCÈNE XII.

THÉANTE, AMARANTE.

THÉANTE.

Tu me vois sans Florame : un amoureux ennui
Assez adroitement m'a dérobé de lui.

Las de céder ma place à son discours frivole,
Et n'osant toutefois lui manquer de parole,
Je pratique un quart-d'heure à mes affections.

AMARANTE.

Ma maîtresse lisoit dans tes intentions.

Tu vois à ton abord comme elle a fait retraite, De peur d'incommoder une amour si parfaite.

THÉANTE.

Je ne la saurois croire obligeante à ce point.
Ce qui la fait partir ne se dira-t-il point?

AMARANTE.

Veux-tu que je t'en parle avec toute franchise? C'est la mauvaise humeur où Florame l'a mise.

Florame?

THÉANTE.

AMARANTE.

Oui. Ce causeur, vouloit l'entretenir;

Mais il aura perdu le goût d'y revenir :
Elle n'a
que fort peu souffert sa compagnie.

Et l'en a chassé presque avec ignominie.
De dépit cependant ses mouvements aigris

Ne veulent aujourd'hui traiter que de mépris;

Et l'unique raison qui fait qu'elle me quitte,
C'est l'estime où te met près d'elle ton mérite:
Elle ne voudroit pas te voir mal satisfait,'

Ni rompre sur-le-champ le dessein qu'elle a fait.

THÉANTE.

J'ai regret que Florame ait

reçu cette honte : Mais enfin auprès d'elle il trouve mal son compte?

AMARANTE.

Aussi c'est un discours ennuyeux que le sien;
Il parle incessamment sans dire jamais rien;
Et n'étoit que pour toi je me fais ces contraintes,
Je l'enverrois bientôt. porter ailleurs ses feintes.
THÉANTE.

Et je m'assure aussi tellement en ta foi,
Que, bien que tout le jour il cajole avec toi,
Mon esprit te conserve une amitié si pure,
Que, sans être jaloux, je le vois et l'endurc.

AMARANTE.

Comment le serois-tu pour un si triste objet ?
Ses imperfections t'en.ôtent tout sujet..
C'est à toi d'admirer qu'encor qu'un beau visage
Dedans ses entretiens à toute heure t'engage,
J'ai pour toi tant d'amour et si peu de soupçon,
Que je n'en suis jalouse en aucune façon.
C'est aimer puissamment que d'aimer de la sorte;
Mais mon affection est bien encor plus forte.
Tu sais, et je le dis sans te mésestimer,
Que quand notre Daphnis auroit su te charmer,
Ce qu'elle est plus que toi mettroit hors d'espérance
Les fruits qui seroient dus à ta persévérance.

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