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CLEANDRE.

Je me lasse d'attendre.

ALIDOR.

Laisse-moi, cher ami, le soin de t'avertir
En quel temps de ce coin il te faudra sortir.
CLEANDRE.

Minuit vient de sonner; et, par expérience,
Tu sais comme l'amour est plein d'impatience.

ALIDOR.

Va donc tenir tout prêt à faire un si beau coup;
Ce que nous attendons ne peut tarder beaucoup.
Je livre entre tes mains cette belle maîtresse.

Sitôt

que j'aurai

pu lui rendre ta promesse,
Sans lumière, et d'ailleurs s'assurant en ma foi,
Rien ne l'empêchera de la croire de moi.
Après, achève seul; je ne puis, sans supplice,
Forcer ici mon bras à te faire service;
Et mon reste d'amour, en cet enlèvement,
Ne peut contribuer que mon consentement.

Ami, ce m'est assez.

CLEANDRE.

ALIDOR.

Va donc là-bas attendre

Que je te donne avis du temps qu'il faudra prendre.
Cléandre, encore un mot. Pour de pareils exploits
Nous nous ressemblons mal, et de taille, et de voix;
Angélique soudain pourra te reconnoître;
Regarde après ses cris si tu serois le maître.

CLEANDRE.

Ma main dessus sa bouche y saura trop pourvoir.

ALIDOR.

Ami, séparons-nous, je pense l'entrevoir.

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De

ALIDOR.

peur d'être connu, je défends à mes gens De paroître en ces lieux avant qu'il en soit temps.

Tenez.

(Il lui donne la promesse de Cléandre.)

ANGÉLIQUE.

Je prends sans lire, et ta foi m'est si claire, Que je la prends bien moins pour moi que pour mon père; Je la porte à ma chambre: épargnons les discours; Fais avancer tes gens, et dépêche.

ALIDOR.

J'y cours.

(seul.)

Lorsque de son honneur je lui rends l'assurance,
C'est quand je trompe mieux sa crédule espérance;
Mais, puisqu'au lieu de moi je lui donne un ami,
A tout prendre, ce n'est la tromper qu'à demi.

SCÈNE IV.

PHYLLIS.

ANGÉLIQUE! c'est fait, mon frère en a dans l'aile;
La voyant échapper, je courois après elle;
Mais un maudit galant m'est venu brusquement
Servir à la traverse un mauvais compliment,
Et par ses vains discours m'embarrasser de sorte
Qu'Angélique à son aise a su gagner la porte.
Sa perte est assurée, et le traître Alidor
La posséda jadis, et la possède encor.

Mais jusques à ce point seroit-elle imprudente?
Il n'en faut point douter, sa perte est évidente;
Le cœur me le disoit, le voyant en sortir,
Et mon frère dès lors se devoit avertir:

Je te trahis, mon frère, et par ma négligence,
Étant sans y penser de leur intelligence....

(Alidor paroît avec Cléandre, accompagné d'une troupe; et après lui avoir montré Phyllis, qu'il croit être Angélique, il se retire en un coin du théâtre, et Cléandre enlève Phyllis, et lui met d'abord la main sur la bouche. )

SCÈNE V.

ALIDOR.

ON l'enlève, et mon cœur, surpris d'un vain regret,

Fait à ma perfidie un reproche secret;

Il tient pour Angélique, il la suit, le rebelle!
Parmi mes trahisons il veut être fidèle;

Je le sens malgré moi, de nouveaux feux épris,
Refuser de ma main sa franchise à ce prix,

Désavouer mon crime, et, pour mieux s'en défendre,
Me demander son bien, que je cède à Cléandre.
Hélas! qui me prescrit cette brutale loi

De payer tant d'amour avec si peu de foi?
Qu'envers cette beauté ma flamme est inhumaine!
Si mon feu la trahit, que lui ferait ma haine?
Juge, juge, Alidor, en quelle extrémité
La va précipiter ton infidélité.

Écoute ses soupirs, considère ses larmes,
Laisse-toi vaincre enfin à de si fortes armes ;
Et va voir si Cléandre, à qui tu sers d'appui,
Pourra faire
pour toi ce que tu fais pour lui.
Mais mon esprit s'égare, et, quoi qu'il se figure,
Faut-il que je me rende à des pleurs en peinture,
Et qu'Alidor, de nuit plus foible que de jour,
Redonne à la pitié ce qu'il ôte à l'amour?
Ainsi donc mes desseins se tournent en fumée!
J'ai d'autre repentir que de l'avoir aimée!
Suis-je encore Alidor après ces sentiments?
Et ne pourrai-je enfin régler mes mouvements?
Vaine compassion des douleurs d'Angélique,
Qui pense triompher d'un cœur mélancolique !
Téméraire avorton d'un impuissant remords,
Va, va porter ailleurs tes débiles efforts.
Après de tels appas, qui ne m'ont pu séduire,
Qui te fait espérer ce qu'ils n'ont su produire ?
Pour un méchant soupir que tu m'as dérobé,
Ne me présume pas tout-à-fait succombé :

Je sais trop maintenir ce que je me propose,

Et souverain sur moi, rien que moi n'en dispose.
En vain un peu d'amour me déguise en forfait
Du bien que je me veux le généreux effet,

De nouveau j'y consens, et prêt à l'entreprendre....

SCÈNE VI.

ANGÉLIQUE, ALIDOR.

ANGÉLIQUE.

Je demande pardon de t'avoir fait attendre ;
D'autant qu'en l'escalier on faisoit quelque bruit,
Et qu'un peu de lumière en effaçoit la nuit,.
Je n'osois avancer, de peur d'être aperçue.
Allons, tout est-il prêt? Personne ne m'a vue:
De grâce, dépêchons, c'est trop perdre de temps,
Et les moments ici nous sont trop importants;
Fuyons vîte, et craignons les yeux d'un domestique.
Quoi! tu ne réponds rien à la voix d'Angélique?

ALIDOR.

Angélique? mes gens vous viennent d'enlever;
Qui vous a fait sitôt de leurs mains vous sauver?
Quel soudain repentir, quelle crainte de blâme,
Et quelle ruse enfin vous dérobe à ma flamme?
Ne vous suffit-il point de me manquer de foi,
Sans prendre encor plaisir à vous jouer de moi?
ANGÉLIQUE.

Que tes gens cette nuit m'ayent vue, ou saisie,
N'ouvre point ton esprit à cette fantaisie.

11.

I I

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