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transparent à l'aide de la science, c'est-à-dire en portant sur ces vérités supérieures et obscures les lumières de l'observation et du raisonnement. Leur théologie est une métaphysique transcendante. Cette science qui ne s'achèvera jamais, noble exercice des âmes religieuses vigoureusement trempées, Bossuet nous en fait entrevoir les profondeurs dans ses Méditations sur les Évangiles, et il nous porte vers les cimes les plus ardues par ses Élévations sur les mystères. C'est là surtout qu'il nous montre jusqu'où peut aller la pensée humaine sur les ailes de la religion.

Ce que Bossuet doit à la philosophie de Descartes et à la pratique de sa méthode, on le voit surtout dans le traité de la Connaissance de Dieu et de soimême, ouvrage substantiel et didactique qui suffirait pour initier les jeunes gens à la philosophie. C'est encore Descartes qui a servi de guide et d'initiateur à un autre homme de génie, écrivain supérieur et métaphysicien profond, Nicolas Malebranche, père de l'Oratoire, penseur intrépide et chrétien soumis. Son livre de la Recherche de la vérité signale mieux qu'on ne l'avait fait avant lui les causes de nos erreurs, et quoiqu'il s'égare lui-même quelquefois en pensant trouver le vrai, on peut dire que dans cette poursuite il a apporté autant de bonne foi que de sagacité. S'il a dépassé le but, il est permis de croire qu'il l'a touché: faisant route entre deux abimes, il côtoya celui du panthéisme spiritualiste sans y tomber, laissant à l'autre extrémité Spinosa se précipiter dans le gouffre sans fond où la substance unique,

impersonnelle et infinie, engloutit la personne hu maine et sa liberté. Ce mystère si redoutable et si attrayant du commerce de l'âme humaine et de l'intelligence suprême, Malebranche l'a sondé d'un regard profond et sincère. Il pense que l'homme voit directement la vérité dans sa source même: c'est aussi l'opinion de Bossuet et de Fénelon. Dieu est, à ses yeux, le lieu des esprits, comme l'espace est le lieu des corps; l'âme humaine vit en lui, elle y puise sa force et sa lumière, sans s'y confondre, et selon sa mesure et sa pureté elle y voit l'essence du vrai. Elle n'y voit pas tout, en dépit d'un vers épigrammatique plus spirituel que juste1; elle n'y voit que ce qui subsiste éternellement et qui n'est pas ailleurs; c'est de là qu'il lui arrive, soit qu'elle le réfléchisse comme un miroir, ainsi que le veulent d'autres philosophes, soit qu'elle l'atteigne directement, comme le pense Malebranche. Quoi qu'il en soit, la dispute reste ouverte entre les philosophes sur la valeur scientifique des opinions de Malebranche; mais parmi les hommes de goût nul n'hésite à reconnaître le rare mérite de son style, qui, dans un langage souple, précis et lumineux, sait tout ensemble peindre et définir. Malebranche a le génie de la métaphysique; il a aussi le cœur et la pénétration du moraliste ; il invite à penser et il pousse à bien agir.

Ce goût de vérité, ce besoin de lumière là où elle peut se produire et d'éclaircissement sur les points mêmes qui doivent demeurer obscurs, commun à

Lui qui voit tout en Dieu n'y voit pas qu'il est fou.

Malebranche et à Bossuet, n'a point troublé ces fermes génies dans leur foi religieuse. Bossuet s'en explique fièrement en s'adressant aux incrédules et aux sceptiques: «Mais qu'ont-ils vu, ces rares génies, qu'ont-ils vu plus que les autres ? Quelle ignorance est la leur, et qu'il serait aisé de les confondre, si, faibles et présomptueux, ils ne craignaient d'être instruits! car pensent-ils avoir mieux vụ les difficultés, à cause qu'ils y succombent, que les autres qui les ont vues et les ont méprisées ? Ils n'ont rien vu; ils n'entendent rien; ils n'ont pas même de quoi établir le néant auquel ils espèrent après cette vie, et ce misérable partage ne leur est pas assuré. Ils ne savent s'ils trouveront un Dieu propice, ou un Dieu contraire. S'ils le font égal au vice et à la vertu, quelle idole! que s'il ne dédaigne pas de juger ce qu'il a créé, et encore ce qu'il a créé capable d'un bon et d'un mauvais choix, qui leur dira ou ce qui lui plait, ou ce qui l'offense, ou ce qui l'apaise?... Leur raison, qu'ils prennent pour guide, ne présente à leur esprit que des conjectures et des embarras. Les absurdités où ils tombent en niant la religion deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne; et pour ne vouloir pas croire des mystères incompréhensibles, ils suivent l'une après l'autre d'incompréhensibles erreurs. Qu'est-ce donc après tout que leur malheureuse incrédulité, sinon une erreur sans fin, une témérité qui hasarde tout, un étour dissement volontaire, et, en un mot, un orgueil qui ne peut souffrir son remède, c'est-à-dire qui ne peut souffrir une autorité légitime? Ne croyez pas que

l'homme ne soit emporté que par l'intempérance des sens l'intempérance de l'esprit n'est pas moins flatteuse. Comme l'autre, elle se fait des plaisirs cachés et s'irrite par la défense. Ce superbe croit s'élever au-dessus de tout et au-dessus de lui-même, quand il s'élève, ce lui semble, au-dessus de la religion qu'il a si longtemps révérée; il se met au rang des gens désabusés; il insulte en son cœur aux faibles esprits qui ne font que suivre les autres sans rien trouver par eux-mêmes, et devenu le seul objet de ses com laisances, il se fait lui-même son dieu1. >>

felle était l'assurance de Bossuet dans la foi, tel aussi l'ascendant de son éloquence: jamais la parole humaine n'eut plus d'autorité. Lorsqu'il monta pour la première fois dans la chaire chrétienne, il y trouvait le souvenir encore récent du petit père André, orateur jovial et populaire, héritier de ces prédicateurs franciscains qui ne dédaignaient pas de faire rire leur auditoire. D'autres, il est vrai, avaient déjà cherché la gravité et la noblesse : les François de Sales, les Vincent de Paul, les Cospéan, les Lingendes, les Singlin, les Desmares, d'autres encore, étaient entrés dans la bonne voie; le génie de Bossuet y entraîna tous ceux qui hésitaient. C'est alors que Mascaron, après avoir longtemps sacrifié au bel esprit, prenait enfin par l'oraison funèbre de Turenne une place parmi les orateurs. Sur le même sujet Fléchier composait une œuvre qu'on lit encore et

1Œuvres de Bossuet, Oraison funèbre de la princesse Palatine, t. II, p. 45 et 46.

qu'on admire; mais Fléchier procède plutôt de Balzac que de Bossuet le choix des mots, l'harmonie du langage, le tour heureux de la pensée, l'art de placer des figures et de trouver des mouvements oratoires convenables au sentiment qu'il exprime, produisent quelquefois chez cet habile orateur les effets de la grande éloquence. On se tromperait si l'on ne voyait dans Fléchier qu'un rhéteur ingénieux qui simule l'éloquence avec adresse: Fléchier est réellement orateur; mais il a le tort de montrer avec coquetterie le talent qu'il emploie, et de détourner l'attention sur la parure dont il couvre des pensées solides. Il faut au moins citer un exemple de cet art merveilleux de caresser l'oreille et de charmer l'esprit par l'heureux choix des mots et la proportion des membres d'une période. Il n'a jamais été porté plus loin que dans ce portrait de Judas Machabée : « Cet homme qui portait la gloire de sa nation jusqu'aux extrémités de la terre, qui couvrait son camp du bouclier et forçait celui de l'ennemi avec l'épée, qui donnait aux rois ligués contre lui des déplaisirs mortels, et réjouissait Jacob par ses vertus et par ses exploits dont la mémoire doit être éternelle; cet homme qui défendait les villes de Juda, qui domptait l'orgueil des enfants d'Ammon et d'Esau, qui revenait chargé des dépouilles de Samarie, après avoir brûlé sur leurs propres autels les dieux des nations étrangères; cet homme que Dieu avait mis autour d'Israël comme un mur d'airain où se brisèrent tant de fois les forces de l'Asie, et qui, après avoir défait de nombreuses armées, déconcerté les plus fiers et les

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