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dramatique.

Moralité du théâtre de Molière.

tion de ses principales comédies.

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Ce qu'il a fait de la fable.

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La Fontaine.

Ses rapports avec

Après la Fronde tout s'apaise comme par enchantement; la royauté recueille enfin, au profit de la France qui l'aime, qui l'admire et qui se repose en elle, le fruit de leurs efforts communs contre la puissance des grands, source éternelle de discordes civiles et d'affaiblissement national. Lorsque cette guerre d'intrigues, de chansons, de pamphlets, de perfidies réciproques a cessé, tous les acteurs, après avoir changé de rôle plusieurs fois, n'ayant rien à s'envier ni à se reprocher en fait de versatilité et de ridicule, prennent bravement leur parti: les princes deviennent la décoration du trône et ses fidèles appuis; le parlement, abandonnant toute ambition politique, se résigne à enregistrer docilement les édits de toute nature; le

clergé se retranche dans son domaine spirituel et fait retentir dans les temples la parole de Dieu, mêlant à ses leçons religieuses ses hommages au monarque, pendant que la nation sous l'aile de la royauté se fortifie par l'industrie et par la science, et prend peu à peu le sentiment de ses devoirs et de ses droits pour remplir les uns et faire valoir les autres quand son heure sera venue. Cette alliance intime de la royauté et de la France, qui paraissait alors indissoluble comme tous les engagements du cœur, subsista aussi longtemps qu'il fut permis de croire que la puissance qui avait dit l'État c'est moi ne séparait pas sa propre grandeur de celle de l'État, et qu'elle était la gardienne vigilante et dévouée de tous les intérêts. Le charme eut assez de durée pour donner place, pendant les dernières années de la jeunesse de Louis XIV et les premières années de sa maturité, à une période unique dans notre histoire, temps de fêtes splendides, de victoires décisives, de conquêtes légitimes, de prospérité inouïe sans mélange de revers, de soumission sans contrainte, de chefs-d'œuvre d'éloquence et de poésie. La reconnaissance et l'enchantement populaires ont attaché à cette brillante époque le nom du prince qui était le centre et le principal ressort de ce noble mouvement des cœurs et des intelligences: Voltaire a prouvé que ce n'était pas sans raison. Nous savons bien que cette médaille a son revers, et le temps viendra de le montrer; mais comment ne pas s'arrêter d'abord, dans un sentiment de profonde admiration, devant les merveilles qui ont porté si haut et si loin la gloire du nom français ?

Au premier rang, dans ce cortège de grands écrivains qui inaugurent par des chefs-d'œuvre le règne personnel de Louis XIV qui les inspire et qui les protége, nous rencontrons d'abord Molière, qui obtin toutes les franchises du génie sous la royauté absolue Chose remarquable, le théâtre comique fut presque libre dans un temps où on ne parlait pas de liberté, et le théâtre tragique n'eut aucune entrave. Il est vrai que la royauté était hors d'atteinte et qu'elle se montra très-facile sur tout ce qui ne la touchait point. Molière eut donc droit de contrôle sur les mœurs de la société, et même ses hardiesses étaient encouragées. La cour et la ville goûtèrent ou subirent d'assez bonne grâce les leçons du poëte, qui n'eut de lutte à soutenir que contre l'hypocrisie; mais enfin il réussit à la démasquer en plein théâtre. Avant d'arriver à cette puissance souveraine du talent, Molière avait passé par un long noviciat d'épreuves morales et d'observations. L'étude de son propre cœur troublé par la passion lui avait donné des lumières pour mieux voir les secrets ressorts des actions humaines. Doué d'une

rce prodigieuse de recueillement et de méditation, au milieu des agitations d'une vie nomade et de la direction d'une troupe d'acteurs plus difficile à régir qu'un empire, il sut unir l'activité et la contemplation; il fit plus encore : il s'oublia lui-même, il se désintéressa de ce qu'il voyait si nettement, de ce qu'il comprenait si bien; son âme sincère et compré hensive reçut fidèlement l'empreinte de l'humanité, et son puissant génie exprima ce que contenait son âme. C'est ainsi qu'il put peindre avec tant de relief

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et de vérité toutes les variétés de la physionomie humaine. Le vrai génie comique que Molière seul peutêtre a possédé dans la perfection, c'est-à-dire le don de réaliser dans des types individuels les traits généraux de la nature humaine, est essentiellement impersonnel il se détache de ce moi tyrannique, si difficile à soumettre, pour vivre de la vie d'autrui et pour la reproduire. L'éternel attrait des pièces de Molière, c'est que l'auteur ne s'y montre pas, c'est que nous ne voyons que ses personnages, et dans ses personnages l'humanité tout entière. Cette image fidèle qui ne copie point ce qu'elle représente, cette satire générale sans fiel et sans aigreur, comme Boileau l'a si bien remarqué, nous instruit sans nous blesser, parce que si nous venons, par bonne foi accidentelle, à nous y reconnaître, nous pouvons profiter tacitement de la leçon sans avoir été pris à partie et humiliés. La satire directe met en jeu l'amour-propre qui regimbe, qui s'irrite et qui récrimine: la comédie le ménage, elle dit le mot de tout le monde sans le dire à personne expressément, et c'est ainsi qu'elle devient tout ensemble un plaisir innocent et un enseignement profitable.

Nous laisserons Molière disserter lui-même sur les difficultés et la moralité de l'art où il a excellé. Lorsque les maîtres ont parlé, il est bon d'écouter. C'est sans doute sa propre opinion qu'il exprime, lorsqu'il met dans la bouche de Dorante ce parallèle de la tragédie et de la comédie : « Je trouve qu'il est bien plus aisé de se guinder sur de grands sentiments, de braver en vers la fortune, accuser les destins et dire des injures

aux dieux, que d'entrer comme il faut dans les ridicules des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que vous voulez; ce sont des portraits à plaisir, où l'on ne cherche point de ressemblance, et vous n'avez qu'à suivre les traits d'une imagination qui se donne l'essor et qui souvent laisse le vrai pour attraper le merveilleux. Mais lorsque vous peignez des hommes, il faut peindre d'après nature on veut que ces portraits ressemblent; et vous n'avez rien fait, si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit, pour n'être point blâmé, de dire des choses qui soient de bon sens et bien écrites; mais ce n'est pas assez dans les autres : il y faut plaisanter; et c'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens1. » Molière a réussi dans cette étrange entreprise il fait excellemment rire les honnêtes gens, et il ne s'inquiète pas si les autres font la grimace. Il ne montre pas un sens moins droit ni moins délicat lorsque, parlant en son propre nom, il combat les scrupuleux qui proscrivent absolument la comédie. Voici ce qu'il dit : « Je sais qu'il y a des esprits dont la délicatesse ne peut souffrir aucune comédie; qui disent que les plus honnêtes sont les plus dangereuses; que les passions que l'on y dépeint sont d'autant plus touchantes qu'elles sont pleines de vertu, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations. Je ne sais pas quel grand crime c'est de s'at

1 Critique

de l'École des femmes, sc. vi.

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