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des plus vaillans et des plus larges qui fust el remanant du monde ! » Dans cette prose noble et simple, Villehardouin rencontre, par surcroît, une harmonie naturelle qui satisfait l'oreille et qui plaît, comme ces voix bien timbrées que l'art n'a point encore assouplies, mais dont toutes les intonations sont agréables parce qu'elles sont justes.

Henri de Valenciennes, qui a pris le récit au point où Villehardouin a cessé de dicter, relève, à son insu et par ses efforts mêmes, le mérite de l'œuvre qu'il continue.

's La Conqueste de Constantinoble, p. 166.

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gneur de Berze.

Pierre de Saint-Cloud, Richard

Guyot de Provins et le sei

Poëmes satiriques. - Fabliaux : le Vilain

Mire, le Vair Palefroi, saint Pierre et le Jongleur. — Huon › le Roy, etc. Contes moraux. — Légendes miraculeuses.

Lais Bretons de Marie de France.

Nos bons aïeux, lorsqu'ils avaient longtemps prêté l'oreille aux chants héroïques et grossiers des trouvères, avaient bien droit à quelques délassements. Toutes ces prouesses guerrières, ces mêlées si souvent reproduites, ces interminables combats singuliers et ce long carillonnage de rimes identiques, appelaient une compensation. On leur devait la petite pièce après la tragédie. Aussi les jongleurs avaientils dans leur répertoire le moyen de faire passer leurs bénévoles auditeurs de l'admiration à la gaieté. Le Renard partageait donc avec Alexandre et les preux de Charlemagne le privilége d'intéresser la foule. On s'amusait de ses tours malicieux, de ses ruses pendables, de ses vices que l'esprit assaisonnait, après s'être émerveillé des grands coups d'épée des pourfendeurs de géants. On avait encore, outre ces symboles empruntés au règne animal, force récits grivois qui opposaient la chronique scandaleuse du temps aux légendes héroïques du passé.

Rien n'est plus naturel que la mise en scène des animaux comme image de l'humanité. On n'a pas à chercher l'origine de la fable ailleurs que dans « le grand voisinage et cousinage, » pour parler comme Charron, de l'homme et des animaux. En effet, si l'on retranche un instant, par la pensée, la raison qui caractérise l'homme, retranchement qui ne demande pas un grand effort d'abstraction, puisque dans la vie réelle la raison est de si peu d'usage, l'humanité offrira tout à coup, dans l'ensemble de sa physionomie morale, toutes les variétés du règne animal; et de plus, si on l'examine extérieurement, on trouvera dans l'ordre physique les mêmes analogies, de sorte qu'à ce point de vue, ce qu'on appelle le genre humain cessera d'être une unité pour devenir une immense collection d'animaux divers, et comme une ménagerie complète. L'apologue, en vertu de cette ressemblance presque effrayante, est la plus naturelle des figures, et on peut dire que le genre se compose de métaphores en action.

Il ne faut pas chercher dans le Roman de Renart une composition régulière; il s'est formé de branches qui ne se rattachent pas à un tronc, comme ferait une végétation naturelle sortie d'un germe unique c'est plutôt un faisceau faiblement resserré par un lien extérieur et artificiel. Pour donner aux pièces détachées dont il se compose une apparence d'unité, les arrangeurs ou diascévastes de cette collection de rapsodies comiques ont placé en tête un récit pseudo-biblique de la naissance des animaux qui nous présente Adam et Ève, au bord de la mer,

frappant tour à tour l'eau d'une baguette qu'ils tiennent à la main : les coups frappés par Ève font sortir des animaux malfaisants; Adam, par le même manége, amène en compensation les bêtes utiles et débonnaires dont l'homme pourra tirer parti. Moyennant cette introduction, nous saurons d'où viennent les personnages que nous verrons en scène; leurs aventures prennent place à la suite, un peu au hasard, jusqu'au moment où finit la pièce par la feinte mort du héros ; en effet, Renart ne peut pas mourir: il est immortel comme la malice et la fourberie dont il est le symbole.

Ces animaux forment une société, ils ont femme, enfants, maison; Renart a même un château du nom de Malpertuis, et Noble, c'est-à-dire le Lion, une cour, un palais, et tout l'attirail de la royauté. Parfois ils revêtent un costume et se chargent d'armures, en guise de chevaliers. Ils ont entre eux des liens de parenté; le Loup ou Ysengrin est l'oncle du Vorpil ou Renart, et, comme tant d'autres oncles de comédie, il a un coquin de neveu. Les premiers tours que celui-ci lui joue sont de telle sorte que nous n'osons pas les indiquer, quoique nos vénérables aïeux aient pris plaisir à les entendre tout au long. Ysengrin, offensé comme mari et comme père, cherche à se venger; mais toujours crédule il tombe dans de nouveaux piéges, et, en poursuivant une vengeance légitime, 'il recueille de nouveaux affronts. Il est probable que cette partie de la légende, qui contient les divers épisodes de cette lutte grotesque, a un fondement historique; mais on ne propose pour l'application que

des conjectures, et on ignore réellement à quels personnages humains il faut attribuer ces noms de Renart et d'Ysengrin donnés au Vorpil (vulpes) et au Loup. De ces surnoms célèbres, celui de Renart a été tellement populaire qu'il s'est substitué au mot générique. Ainsi, lorsque tant d'hommes reçoivent accidentellement, en vertu d'analogies physiques ou morales, un nom d'animal, voici un animal qui a reçu de la poésie populaire et qui garde un nom d'homme. Au reste, la ligne qui sépare dans nos récits le genre humain du règne animal est fort indécise, et même le rôle des hommes qui s'y trouvent mêlés, vilains ou moines, n'est pas à notre avantage. Comme La Fontaine, nos trouvères fabliers paraissent souvent prendre parti pour les animaux contre l'homme.

Nous n'avons pas à nous engager ici dans les détours du labyrinthe que forme l'enlacement des trentedeux branches dont se compose la vieille légende de Renart. Il suffira pour notre dessein de noter le procédé habituel de nos conteurs et de dégager quelques traits propres à donner une idée de leur esprit et de leur langage. Ils ne cherchent pas à reproduire, à la manière de Marie de France et d'autres poètes de la même époque cachés pour nous sous le nom d'Isopet, la simplicité, la nudité d'Ésope, ni la brièveté élégante de Phèdre; ils prennent volontiers du temps et de l'espace, ils décrivent les saisons et le paysage, ils prodiguent les discours et multiplient les incidents; enfin ils allongent la matière avec la louable intention de divertir plus longtemps leurs auditeurs. L'esquisse fidèle d'un de ces tableaux va nous faire

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