Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Caractère de la langue d'oïl. Éléments de son vocabu

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

vieux langage.

[ocr errors]

Causes de la longue enfance de la langue romane. Ses progrès. — Passage du roman au français. Achèvement de la langue. Nécessité et moyens de lui conserver son caractère.

-

La Gaule, soumise par les armes romaines, se laissa imposer les mœurs, les institutions et la langue de ses vainqueurs. La substitution du latin au langage des Gaulois s'opéra avec d'autant plus de facilité que les deux idiomes, ayant une origine commune dans le sanscrit, conservaient sous leur dissemblance extérieure un fonds commun et de notables

affinités. Sur tous les points, l'Armorique exceptée, et quelques cantons des Pyrénées, le latin fut la langue dominante. Les lettrés la parlaient purement, et les ignorants la dénaturaient. Aussi longtemps que fleurirent les écoles et que la civilisation ne reçut aucune atteinte sérieuse, la langue n'éprouva pas d'autres altérations que celles qu'amènent nécessaire'ment le cours des temps et les variations du goût. Le latin d'Ausone et de Pacatus était la langue de Virgile et de Cicéron, comme celle que nous écrivons est le français de Racine et de Bossuet. Mais lorsque les premières invasions des barbares et plus tard la conquète franque eurent réduit, sinon anéanti, la culture littéraire, l'ignorance corrompit tellement l'idiome des Romains qu'elle le décomposa. Les clercs euxmêmes, tout en conservant le vocabulaire, vicièrent la syntaxe; mais leur latin, tout incorrect qu'il fût, était devenu inintelligible au peuple des villes et des campagnes. De son côté, le roman vulgaire avait tellement changé la figure et l'ordre des mots, il avait reçu tant d'éléments étrangers, qu'il formait à la fin du huitième siècle non pas une langue nouvelle, ce serait trop dire, mais un langage à part, qui devait longtemps encore n'être qu'un patois. Aussi voyonsnous, en 813, sortir du concile de Tours un décret qui commande aux évêques de faire traduire les homélies en roman rustique, afin que la foule pût les comprendre, injonction renouvelée dans le cours du même siècle aux conciles de Reims et de Mayence.

L'extrême corruption du latin, livré à tous les caprices, à toutes les brutalités de l'ignorance, ne suf

firait pas, quoi qu'aient prétendu des critiques célébres, à expliquer la formation d'un idiome nouveau. Cette cause unique altère et corrompt sans féconder: pour qu'une langue originale germât sur les ruines du latin et sortit de ses débris, il a fallu de toute nécessité l'intervention d'un peuple et le contact d'un langage étranger, et non-seulement le contact, mais le mélange des mots et des races. Les Romains, par l'ascendant de leur génie et de leur force, avaient pu s'assimiler les Gaulois doublement vaincus par la supériorité des armes et de la civilisation, mais la conquête franque devait transiger avec les Gallo-Romains après leur défaite. Le rapport n'était plus le même entre les conquérants et les peuples soumis; la force seule ne peut pas tout dominer; pendant qu'elle comprime, elle se laisse pénétrer, et ce qui reste de supériorité morale aux vaincus parvient à la modifier. Alors il y a échange et fusion partielle. C'est ainsi que ces Germains barbares, soumis d'abord par la religion, furent gagnés peu à peu aux mœurs et au langage des Gallo-Romains. Ils essayèrent d'assouplir pour cet idiome leurs organes rebelles, mais ils ne pouvaient y réussir qu'imparfaitement. Les habitudes de l'oreille et de la voix persistaient contre leur docilité, et le latin déjà corrompu, soumis à cette nouvelle épreuve, périt pour se transformer. Les Germains furent donc les artisans nécessaires d'un nouvel idiome sans la fusion qu'ils opérèrent, le trouble jeté dans le vocabulaire et la syntaxe par l'ignorance devait sans doute pervertir l'élégant édifice de la synthèse latine, déformer les mots, enlever aux construc

:

tions leur grâce première et leurs savants artifices; mais la langue ainsi traitée serait devenue analytique et incorrecte, telle que nous la trouvons d'ailleurs dans les diplômes des temps mérovingiens, sans cesser d'être du latin. Nous avons, pour nous éclairer sur ce point, l'exemple de la Grèce. Pendant quatre siècles d'oppression, ce petit peuple héroïque, dominé mais non soumis par ses vainqueurs, a gardé sous le joug qui pesait sur lui et qu'il a fini par secouer, non pas l'intégrité, mais l'identité de sa langue; et comme la conquête n'avait été qu'à la surface, que les races, toujours hostiles, ne s'étaient pas fondues pour enfanter un nouveau peuple, il n'y eut pas non plus un langage nouveau. Le Grec n'avait pas péri, il s'était flétri; l'air libre le fait aujourd'hui refleurir.

M. Raynouard a voulu démontrer que la décomposition du latin avait produit, dans toutes les provinces de la Gaule, un idiome uniforme qui se serait altéré plus tard, de raanière à se démembrer en différents dialectes, usités en France pendant le moyen âge. Ce roman primitif serait la langue d'oc qui aurait encore, par surcroît, donné naissance à l'italien et à l'espagnol. Cette ambitieuse hypothèse d'un écrivain provençal ne supporte pas l'examen ruinée d'abord par la vigoureuse argumentation de M. Fauriel', elle

1 M. Fauriel est lui-même un Provençal. Aussi savant que M. Raynouard et non moins entreprenant, il n'a pas eu la même ambition que son compatriote, il en a eu une autre. S'il n'a pas reconnu dans la langue des troubadours la source anique des langues néolatines, il a vu dans leur littérature la mère commune de toutes les littératures modernes. Ni la

a été mise à néant par M. J.-J. Ampère, dans son Traité de la formation de la langue française. En effet, il est évident qu'au milieu des troubles qui agitèrent la Gaule sous les deux premières races, il n'y avait pas de place pour l'uniformité de langage. Ce fonds commun du latin déjà défiguré par l'ignorance, puis livré à tous les accidents de la barbarie, dut recevoir et reçut réellement, sous l'influence de causes diverses, une empreinte différente selon les lieux, les hommes et les événements. Le latin rustique, source principale de ces idiomes intermédiaires, forma donc au midi la langue d'oc, au centre et au nord la langue d'oïl1, partagées, l'une et l'autre, en

langue ni la littérature de la Provence n'ont été si fécondes. M. Raynouard a vu fondre sur son système des adversaires venus de tous les points de l'horizon. Contre M. Fauriel, il y a eu, pour la Champagne, le Champenois M. Paulin Paris; pour la Picardie, le Picard M. Génin; pour la Bretagne, le Breton M. de la Villemarqué. M. J.-V. Le Clerc, placé au centre en sa qualité de Parisien, est le juge du camp. Il prononce en arbitre avec la double autorité de l'érudition et du goût. Nous aimons ces luttes courtoises de province à province, de système à système, lorsque de part et d'autre la cause est tenue par des défenseurs sincères et compétents; elles jettent sur les origines de notre littérature un vif intérêt et de nouvelles lumières.

1 Oc est évidemment le hoc des Latins; oil, dont nous avons formé notre oui, qui n'est certainement pas, comme on l'a dit si souvent, le participe passé du verbe ouïr, vient par une double syncope de hoc et de illud, réunis et abrégés. Hoc se prononçait o, comme oc se prononce encore dans le midi de la France. Illud a fourni sa première syllabe sur laquelle porte l'accent tonique, et nos pères ont eu ainsi pour l'affirmation le

« PreviousContinue »