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livres apocryphes naquirent, dès l'époque ptolémaïque, de ce contact et de ce conflit de la religion juive avec la grecque; combien surtout furent composés entre le ir et le vre siècle de notre ère, pour alimenter, en quelque sorte, une lutte où les passions, même savantes, faisaient arme de tout témoignage favorable à leur cause; si l'on se rappelle les livres attribués aux anciens pythagoriciens, aux premiers apôtres, à saint Denys l'Aréopagite (Voyez ce mot), les oracles sibyllins, les poëmes prétendus orphiques, le titre d'un ouvrage attribué par Suidas au personnage fort suspect de Sanchoniaton, sur la Physiologie d'Hermès, du rapprochement de tels faits il sortira déjà, ce nous semble, une présomption bien grave contre l'auteur des ouvrages qui portent le nom d'Hermès. Un coup d'œil rapide jeté sur l'ensemble et sur quelques détails du recueil donnera plus de force encore à ces premiers doutes.

Marsile Ficin a le premier réuni, d'après les manuscrits ou d'après les citations éparses dans les platoniciens et les auteurs chrétiens, ce qui restait de la philosophie hermétique. Il en donna une traduction latine en 1471. Le texte grec fut publié en 1554, par Turnèbe, et deux fois depuis, avec quelques additions, par Fr. Patrizzi, à la suite de son ouvrage jadis célèbre, qui a pour titre : Nova de universis philosophia. Dans cette dernière édition, fort incorrecte d'ailleurs, chaque chapitre est suivi des observations d'un censeur ecclésiastique, où sont signalés au lecteur chrétien les propositions peu orthodoxes ou entièrement fausses. Cela seul nous montre à quel point de vue étaient considérées les doctrines du faux Hermès par les érudits de la renaissance,. c'est-à-dire au même point de vue que jadis par les docteurs de l'Eglise naissante. De même que Lactance et saint Augustin invoquaient Hermès comme un très-savant théologien, presque comme un confesseur anticipé du Dieu unique que devait un jour proclamer le christianisme, ainsi et Patrizzi ęt Baronius semblent donner à son témoignage une autorité religieuse; et la censure officielle de Rome, sauf quelques réserves, ne croit pas devoir interdire cette lecture aux âmes pieuses, comme si elle y trouvait, au contraire, d'utiles secours, une préparation commode à l'enseignement évangélique. C'est qu'en effet la théologie du faux Hermès emprunte à Pythagore, à Platon, quelques-unes des formes les plus élevées de leur spiritualisme, à la Bible, des métaphores hardies qui expriment la toute-puissance de Dieu et la haute poésie de la création. Le polythéisme ne s'y montre que dominé, voilé par l'idée d'une intelligence unique et supérieure. Si ce n'est pas encore le dogme chrétien, c'est quelque chose qui s'en rapproche trop pour qu'on n'y aperçoive pas un travail de conciliation artificiel. Comment ne pas reconnaître la Genèse dans des phrases comme celles-ci : « L'esprit existait avant la nature humide qui est sortie des ténèbres. - Tout était confus et obscur avant que le Verbe vint tout animer. Dieu fit l'homme à son image. L'obscurité régnait sur l'abîme, l'eau et l'esprit étaient puissance dans le chaos. » Dans le treizième fragment, ces grandes images sont mêlées à d'autres semblables du Timée de Platon. Ailleurs reparaissent presque sans changement des paroles de l'apòtre saint Jean, ou même se reproduit toute une scène de l'Evangile. Taut est mis à la place de Jésus; il a des disciples qui l'interrogent, et aux

HERMÉTIQUES (PHILOSOPHIE ET LIVRES).

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quels il révèle les mystères de la pensée divine. Quelquefois ce sont des élans d'enthousiasme : « Que la nature du monde entier écoute la voix de mon hymne terre entr'ouvre-toi; entr'ouvrez-vous cataractes du ciel; arbres suspendez le bruit de vos feuilles. Je vais chanter le maître de la création, le tout et l'unité. Je vais célébrer celui qui a tout créé, celui qui a fixé la terre, suspendu le ciel, qui a voulu que de l'océan une eau douce se répandit sur la terre habitée ou sans habitants, pour la nourriture et l'usage de tous les hommes. · C'est l'œil de l'intelligence, qu'il reçoive les éloges que lui offrent mes puissances. » Enfin, ce sont des oracles dont l'expression vague et générale devait tôt ou tard être justifiée par quelque événement. « O Egypte! Egypte de ta religion il ne restera que des fables, des fables incroyaHes pour la postérité; il ne restera que des mots écrits sur la pierre et rappelant ses actions pieuses; l'Egypte aura pour habitant le Scythe ou 1 Indien, ou quelque autre peuple étranger, quelque peuple barbare du voisinage. La Divinité, en effet, remontera au ciel; abandonnés à euxmêmes, les hommes mourront tous, et l'Egypte sera désertée à la fois el de Dieu et des hommes, etc. » Tout cela est mis en scène d'une façon étrange. Voici, par exemple, le début du Pamander: « Un jour que je méditais sur les êtres, et que ma pensée s'élevait aux plus hautes regions, mes sens corporels ayant été fortement possédés, comme il arrive aux hommes qui s'endorment d'un profond sommeil après un excès de nourriture où de travail, j'ai cru voir un être de dimensions énormes, qui m'appelait par mon nom et me disait : Que veux-tu entendre et voir ? Que veux-tu apprendre et connaître par l'esprit ? - Je lui dis: Et toi, qui es-tu? Je suis, répondit-il, Pamander (on devrait écrire plutôt Pomandrès en français), l'esprit de la vérité; je sais ce que tu veux, et je serai partout avec toi.... » Et l'enseignement commence par une vision sublime, où l'auditeur du divin prophète est ravi dans le monde des idées et de la lumière. Il y voit l'obscurité se changer en eau, de cette eau s'échapper une fumée; de cette fumée sort un son inarticulé qui est comme la voix de la lumière; et de cette lumière que sort-il? le Verbe, le Verbe qui s'étend sur toute la nature! Poemander demande alors à Taut s'il comprend ce qu'il a vu ; Taut répond seulement qu'il comprendra (vacuat). En effet, la vision a besoin d'un commentaire, qui ne se fait pas attendre, mais qui ne Téclaircit pas beaucoup, du moins à nos yeux, bien qu'il s'y mêle et le fort belles idées et de fort belles images empruntées soit aux livres saints, soit au platonisme. Poemander conclut par ces mots : « Et maintenant pourquoi tarder, puisque tu as reçu toute la science, à deenir le guide de ceux qui en sont dignes, afin que la race humaine soit, trace à toi, sauvée par Dieu. » En disant ces mols, il se mêle aux uissances. Taut, après l'avoir remercié de sa révélation, adresse aux ommes une allocution très-édifiante sur la nécessité de songer aux hoses du ciel, puis à Dieu une longue prière pleine d'élans mystines. Le morceau suivant est intitulé Discours universel d'Hermès Trismégiste à Tot; un autre, où l'on démontre que le bien n'est qu'en Dieu, s'adresse à Asclepius; un autre, sur l'âme, à Ammon; et ces vers personnages reparaissent dans le dialogue intitulé Asclepius. à, Hermès Trismégiste a pour auditeurs Ammon, Asclepius, ses dis

ciples, et Tot, son fils, auquel il dit avoir déjà adressé par écrit, ainsi qu'à Ammon, plusieurs discours sur la physique et la morale (multa physica ethicaque). Le dialogue se passe entre Asclepius et Hermès, ou plutôt c'est un long discours du maître interrompu de temps à autre par de courtes questions du disciple, et rempli des mêmes spéculations de théologie quelquefois sublime, mais en même temps peu originale, plus souvent obscure et amphigourique. Il se termine, comme le Pœmander, par une prière à Dieu pour le remercier de s'être ainsi manifesté à ses indignes créatures, et pour lui demander de les maintenir toujours dans ces sentiments de haute piété. Puis tous les interlocuteurs vont prendre, à la manière des pythagoriciens, un repas d'où sera exclue la chair des animaux (puram et sine animalibus cœnam). Qu'est-ce que cette famille moitié grecque moitié égyptienne de prophètes et de mystagogues? Hermès nous parle, au chapitre 37 du même dialogue, de son grand-père, dont il portait le nom. Ce premier Hermès est-il celui qui, sous un nom plus abstrait, s'adresse à Trismégiste dans le dixième des fragments grecs (l'Esprit à Hermès)? Comment prendre au sérieux une généalogie où, selon l'usage grec et romain, comme le dit naïvement un vieil interprète, deux noms alterneraient du père au fils? Qu'est-ce encore que ce grand-père d'Asclepius, qui nous est donné comme l'inventeur de la médecine? On peut, sans doute, admettre avec des savants modernes que l'Egypte ait reconnu plusieurs Hermès, incarnations successives et diversement puissantes du même principe divin, et qu'elle leur ait attribué certaines révélations sur l'origine du monde, sur la nature des choses, sur les devoirs de l'homme envers son Créateur; on peut admettre qu'une partie de cet enseignement ait passé en Grèce, soit par une tradition confuse, soit par quelque traduction des monuments symboliques du culte d'Hermès; que Pythagore et Platon s'en soient inspirés quelquefois dans leurs études, et que certaines opinions, aujourd'hui tenues pour pythagoriciennes et platoniciennes, remontent réellement à cette origine; mais, d'une part, il paraîtra toujours impossible que les fragments de philosophie hermétique que nous lisons aujourd'hui aient été traduits sur des originaux écrits en langue égyptienne : l'empreinte du style y est profondément grecque, et même d'une date fort récente. Ce n'est pas la langue de Platon, ni celle d'Aristote, ni celle de Plutarque; c'est celle de l'école de Porphyre et d'Ammonius dans toute sa richesse et dans toute sa subtilité, avec des métaphores évidemment empruntées aux usages de la Grèce, par exemple, au vocabulaire de la musique, et çà et là des inadvertances plus significatives encore, comme la mention du sculpteur Phidias (p. 97, éd. Turnèbe), le récit d'une aventure arrivée au musicien Eunomius de Locres, aux jeux Pythiques, récit fort gracieux d'ailleurs, mais qui trahit bien clairement le faussaire. Ajoutez certaines manières de parler qui conviennent mal au personnage d'un prophète, comme cette phrase de l'Asclepius: « Ce qu'on dit être extérieur au monde, si toutefois il y a quelque chose d'extérieur au monde, ce que je ne crois pas, etc.; » des titres mystérieux, comme la clef, le cratère ou la monade (Dialogues d'Hermès avec son fils Tot); une obscurité souvent avouée, calculée même comme dans le fragment d'hymne que nous citions tout à l'heure : tous ces in

dices montrent des écrits sortis de ces ateliers de théurgie enthousiaste et de grossière falsification, qui se multiplièrent surtout durant la lutte du paganisme contre les doctrines chrétiennes. Dans ce chaos de paroles et d'idées, où le raisonnement revient sans cesse sur luimême, n'avance que pour reculer ensuite; où tous les systèmes se heurtent, où toutes les doctrines peuvent trouver des arguments, personne ne s'étonnera qu'il se rencontre quelques opinions conformes au sens des vieux symboles égyptiens; mais personne ne saurait chercher une expression authentique de cette religion si originale. L'entraînement des passions religieuses et l'inexpérience de la critique ont seules pu, sur ce point, accréditer les préjugés ou prolonger les méprises. C'est ce qui a été démontré depuis deux siècles, plus longuement et plus savamment que nous ne le saurions faire, par Casaubon, dans sa belle polémique contre Baronius; depuis cette époque, les historiens de la philosophie n'ont guère fait que reproduire les mêmes conclusions, jusqu'à M. Baumgarten-Crusius, qui, dans un opuscule spécialement consacré à ce sujet (in-4°, Iéna, 1837), les a encore appuyées par des preuves nouvelles. Il est aujourd'hui à souhaiter qu'un philologue exercé publie une bonne édition critique de tous ces textes d'Hermès le philosophe, en les accompagnant d'un commentaire où seraient indiqués avec soin tous les emprunts de l'auteur à la Bible, aux platoniciens, à l'Evangile. Si nous ne nous trompons, la part faite au plagiaire, celle de l'écrivain original resterait bien petite, indigne en tout cas du Taut égyptien ; mais un tel livre aurait toujours son importance comme témoignage de l'état des esprits dans les siècles où il a pu naître et obtenir tant d'autorité. - Consulter sur ce sujet Fabricius, Bibliotheque grecque, t. rer, p. 46-89, édit. de Harles; la Symbolique, de Creuzer, liv. m, avec les éclaircissements de M. Guigniaut, surtout les notes 6 et 11; la dissertation de M. Guignaut : De Eppo seu Mercurii mythologia, in-8°, Paris, 1835. On pourra lire encore avec fruit la dissertation de Fourmont, où l'on montre qu'il n'y a jamais eu qu'un Mercure (Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. r); Zoëga, de Origine et usu obeliscorum, in-f, Rome, 1797, p. 503 et suiv., où sont réunis tous les textes relatifs aux livres de Thaut; enfin, sur les ouvrages d'alchimie hermétique, l'Histoire de la philosophie hermétique, par l'abbé Lenglet du Fresnoy, 3 vol. in-12, Paris, 1742, 1. r. Hexiste en français deux traductions incomplètes des fragments grecs d'Hermès, l'une par du Préau (in-8°, Paris, 1549, 1557), l'autre par de Foyx de Candalle (in-8°, Bordeaux, 1574). E. E.

HERMIAS. Il a existé deux philosophes de ce nom : l'un chrétien, qui florissait vers le n° siècle de l'ère chrétienne, et l'autre païen du ve siècle de la même ère. Le seul titre qui a fait compter Hermias le chrétien parmi les philosophes, c'est un ouvrage qu'il a écrit, dans le style de la satire, contre la philosophie, et qui ne mérite à aucun titre l'honneur qu'on lui a fait de le réimprimer cinq ou six fois. Ataupuès tāv Ēķu pikcsóçov, Irrisio philosophorum gentilium, en grec, avec une version latine de J. J. Fugger, in-8°; Bâle, 1553; in-f, Zurich, 1560; in-f, Paris, 1624 ; à la fin du Tatien de Th. Gale, in-8°, Oxford, 1700, et la plupart des éditions des OEuvres de saint Justin le martyr. -Her

mias le païen était un philosophe de l'école néoplatonicienne, disciple de Syrianus, époux d'Aédésie, et père d'Ammonius. Il a laissé un nom moins célèbre que sa femme et son fils, et sa mémoire était plus remarquable que son génie.

X.

HERMINUS, philosophe stoïcien, et commentateur de quelquesuns des écrits d'Aristote. Il florissait vers le milieu du me siècle de l'ère chrétienne, et a été un des maîtres d'Alexandre d'Aphrodise. Ses ouvrages ne sont pas arrivés jusqu'à nous; mais Alexandre d'Aphrodise nous a conservé quelques-unes de ses opinions, du moins en ce qui touche la philosophie d'Aristote.

X.

HERMIPPE DE SMYRNE, philosophe péripatéticien, qui florissait à Alexandrie pendant le Ie siècle avant l'ère chrétienne. Il a écrit sur la grammaire, la mythologie, la géographie, l'astronomie, l'histoire, les anciens législateurs, et les anciens sages de la Grèce, plusieurs ouvrages dont aucun n'est arrivé jusqu'à nous. Mais quelques fragments de ces divers écrits, et quelques renseignements sur la vie et les opinions de l'auteur ont été réunis dans la dissertation suivante: Hermippi Smyrnai, peripatetici, Fragmenta collecta, disposita et illustrata ab Ed. Adalberto Lozynski, in-8°, Bonn, 1832.

X.

HERMOLAÜS BARBARUS, ou plutôt ERMOLAO BARBARO, plus souvent désigné, dans les ouvrages du xvre siècle, par son prénom que par son nom de famille, naquit à Venise le 21 mai 1454. Il était d'une noble maison, à laquelle avaient appartenu Josaphat Barbaro, si célèbre voyageur, et François Barbaro, auteur du traité de Re uxoria. Tennemann compte à bon droit Ermolao Barbaro au nombre des erudits qui contribuèrent le plus efficacement à détourner les esprits des questions épuisées par la controverse scolastique, et à faire comprendre dans les écoles la vraie doctrine du Stagirite. Il mourut à Rome, atteint de la peste, le 14 juin 1493, à l'âge de trente-neuf ans. Jeune encore, il s'était acquis déjà une grande renommée par ses travaux sur Pline, Dioscoride, Aristote et Thémiste. Nous désignerons ici ceux de ses ouvrages qui eurent pour objet et pour résultat de recommander et de faciliter l'étude des archives péripatéticiennes. On doit à Ermolao Barbaro: 1° Compendium ethnicorum librorum, in-8°, Venise, 1544, et in-8°, Paris, Roigny, 1546; 2° Compendium scientiæ naturalis in Aristotele, in-8°, Venise, 1545; in-8°, Paris, 1547, et in-4°, 1555; in-8°, Lausanne, 1579; in-8°, Marpurg, 1597. Il y a une édition de Bâle, in-12, dont la date nous est inconnue; 3° Versio librorum Aristotelis de arte dicendi, in-fo, Bâle, 1551; 4° Themistii paraphrasis in Aristotelis Posteriora Analytica latine versa, in-f", Paris, 1511, 1528; in-4°, Bâle, 1533, 1545; in-fo, Venise, 1560.

Le P. Niceron (Hommes illustres), David Clément, dans sa Bibliothèque curieuse, et le Giornale de' letterati d'Italia, peuvent être consultés sur la vie et les ouvrages d'Ermolao Barbaro. B. H.

HERMOTIME DE CLAZOMÈNE. Rien de plus vague et de plus incertain que les traditions qui nous ont été conservées sur ce personnage. Elles sont au nombre de deux : l'une se rapporte à ses opinions,

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