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suis réduit à en jouir sans vous. O chère ombre! quand estce que je vous suivrai? Précieuses cendres, si vous pouvez sentir encore quelque chose, vous ressentirez sans doute le . plaisir d'être mêlées à celles d'Alcine. Les miennes s'y mêleront aussi un jour. En attendant, toute ma consolation sera de conserver ces restes de ce que j'ai le plus aimé. O Aristonoüs! ô Aristonous! non, vous ne mourrez point, et vous vivrez toujours dans le fond de mon cœur. Plutôt m'oublier moi-même, que d'oublier jamais cet homme si aimable, qui m'a tant aimé, qui aimait tant la vertu, à qui je dois tout.

Après ces paroles entrecoupées de profonds soupirs, Sophronyme mit l'urne dans le tombeau d'Alcine: il immola plusieurs victimes, dont le sang inonda les autels de gazon qui environnaient le tombeau; il répandit des libations abondantes de vin et de lait; il brûla des parfums venus du fond de l'Orient, et il s'éleva un nuage odoriférant au milieu des airs. Sophronyme établit à jamais, pour toutes les années, dans la même saison, des jeux funèbres en l'honneur d'Alcine et d'Aristonoüs. On y venait de la Carie, heureuse et fertile contrée; des bords enchantés du Méandre, qui se joue par tant de détours, et qui semble quitter à regret le pays qu'il arrose; des rives toujours vertes du Caystre, des bords du Pactole, qui roule sous ses flots un sable doré; de la Pamphylie, que Cérès, Pomone et Flore ornent à l'envie; enfin des vastes plaines de la Cilicie, arrosées comme un jardin par les torrents qui tombent du mont Taurus, toujours couvert de neige. Pendant cette fête si solennelle, les jeunes garçons et les jeunes filles, vêtus de robes traînantes de lin plus blanches les lis, chantaient des hymnes à la louange d'Alcine et d'Aristonous; car on ne pouvait louer l'un sans louer aussi l'autre, ni séparer deux hommes si étroitement unis, même après leur mort.

que

Ce qu'il y eut de plus merveilleux, c'est que, dès le premier jour, pendant que Sophronyme faisait les libations de vin et de lait, un myrte d'une verdure et d'une odeur exquise naquit au

milieu du tombeau, et éleva tout à coup sa tête touffue, pour couvrir les deux urnes de ses rameaux et de son ombre : - chacun s'écria qu'Aristonoüs, en récompense de sa vertu, avait été changé par les dieux en un arbre si beau. Sophronyme prit soin de l'arroser lui-même, et de l'honorer comme une divinité.

Cet arbre, loin de vieillir, se renouvelle de dix ans en dix ans, et les dieux ont voulu faire voir, par cette merveille, que la vertu, qui jette un si doux parfum dans la mémoire des hommes, ne meurt jamais.

LE TORRENT ET LA RIVIÈRE.

Avec grand bruit et grand fracas

Un torrent tombait des montagnes:

Tout fuyait devant lui; l'horreur suivait ses pas ;
Jl faisait trembler les campagnes.

Nul voyageur n'osait passer

Une barrière si puissante:

Un seul vit des voleurs; et, se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n'était que menace et bruit sans profondeur:
Notre homme enfin n'eut que la
peur.

Ce succès lui donnant courage,

Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage

Une rivière dont le cours,

Image d'un sommeil doux, paisible et tranquille,
Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile:
Point de bords escarpés, un sable pur et net.
Il entre; et son cheval le met

A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire :
Tous deux au Styx allèrent boire;

Tous deux, à nager malheureux,

Allèrent traverser, au séjour ténébreux,
Bien d'autres fleuves que les nôtres.

Les gens sans bruit sont dangereux;
Il n'en est pas ainsi des autres.

CHASSE DE DIANE.

1l y avait dans le pays des Celtes, et assez près du fameux séjour des Druides, une sombre forêt dont les chênes, aussi anciens que la terre, avaient vu les eaux du déluge, et conservaient sous leurs épais rameaux une profonde nuit au milieu du jour. Dans cette forêt reculée était une belle fontaine plus claire que le cristal, et qui donnait son nom au lieu où elle coulait. Diane allait souvent percer de ses traits des cerfs et des daims dans cette forêt pleine de rochers escarpés et sauvages. Après avoir chassé avec ardeur, elle allait se plonger dans les pures eaux de la fontaine, et la Naïade se glorifiait de faire les délices de la déesse et de toutes les Nymphes. Un jour, Diane chassa en ces lieux un sanglier plus grand et plus furieux que celui de Calydon. Son dos était orné d'une soie dure, aussi hérissée et aussi horrible que les piques d'un bataillon. Ses yeux étincelants étaient pleins de sang et de feu. Il jetait d'une gueule béante et enflammée une écume mêlée d'un sang noir. Sa hure monstrueuse ressemblait à la proue recourbée d'un navire. Il était sale et couvert de la boue de sa bauge où il s'était vautré. Le souffle brûlant de sa gueule agitait l'air tout autour de lui, et faisait un bruit effroyable. Il s'élançait rapidement comme la foudre; il renversait des moissons dorées, et ravageait toutes les campagnes voisines ; il coupait les hautes tiges des arbres les plus durs pour aiguiser ses défenses contre leurs troncs. Ses défenses étaient aiguës et tranchantes comme les glaives recourbés des Perses. Les laboureurs épouvantés se réfugiaient dans leurs villages. Les bergers, oubliant leurs faibles troupeaux errant dans les pâtu

R

rages, couraient vers leurs cabanes. Tout était consterné; les chasseurs mêmes, avec leurs dards et leurs épieux, n'osaient entrer dans la forêt. Diane seule, ayant pitié de ce pays, s'avance avec son carquois doré et ses flèches. Une troupe de Nymphes la suit, et elle les surpasse de toute la tête. Elle est, dans sa course, plus légère que les Zéphyrs, et plus prompte que les éclairs. Elle atteint le monstre furieux, le perce d'une de ses flèches au-dessous de l'oreille, à l'endroit où l'épaule commence. Le voilà qui se roule dans les flots de son sang; il pousse des cris dont toute la forêt retentit, et montre en vain ses défenses prêtes à déchirer ses ennemis. Les Nymphes en frémissent. Diane seule s'avance, met le pied sur sa tête, et enfonce son dard; puis, se voyant rougie du sang de ce sanglier, qui avait rejailli sur elle, elle se baigne dans la fontaine, et se retire charmée d'avoir délivré les campagnes de ce

monstre.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

Ils n'en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie ;

Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyaient:

Plus d'amour, partant plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait ? nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense
Q'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

-Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur.

Et quant au berger l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.

Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances
Les moins pardonnables offenses:

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun étaient de petits saints.

L'âne vint à son tour, et dit: J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

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