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Camarade épongier prit exemple sur lui,

Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon âne à l'eau; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur, et l'éponge.

Tous trois burent d'autant: l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison.

Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassait, dans l'attente
D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours: qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J'en voulais venir à ce point.

LE ROSSIGNOL ET LA FAUVETTE.

Sur les borda toujours verts du fleuve Alphée, il y a un bocage sacré, où trois Naïades répandent à grand bruit leurs eaux claires, et arrosent les fleurs naissantes: les Grâces y vont souvent se baigner. Les arbres de ce bocage ne sont jamais agités par les vents, qui les respectent; ils sont seulement caressés par le souffle des doux Zéphyrs. Les Nymphes et les Faunes y font, la nuit, des danses au son de la flûte de Pan. Le soleil ne saurait percer de ses rayons l'ombre épaisse que forment les rameaux entrelacés de ce bocage. Le silence, l'obscurité et la délicieuse fraîcheur y régnent le jour comme la nuit. Sous ce feuillage, on entend Philomèle qui chante d'une voix plaintive et mélodieuse ses anciens malheurs, dont elle n'est pas encore consolée. Une jeune fauvette, au contraire, y chante ses plaisirs, et elle annonce le printemps à tous les bergers d'alentour. Philomèle même est jalouse des chansons tendres de sa compagne. Un jour, elles aperçurent un jeune berger qu'elles n'avaient point

encore vu dans ces bois; il leur parut gracieux, noble, aimant les Muses et l'harmonie: elles crurent que c'était Apollon tel qu'il fut autrefois chez le roi Admète, ou du moins quelque jeune héros du sang de ce dieu. Les deux oiseaux, inspirés par les Muses, commencèrent aussitôt à chanter ainsi : "Quel est donc ce berger, ou ce dieu inconnu qui vient orner notre bocage? Il est sensible à nos chansons; il aime la poésie: elle adoucira son cœur, et le rendra aussi aimable qu'il est fier."

Alors Philomèle continua seule: "Que ce jeune héros croisse en vertu, comme une fleur que le printemps fait éclore; qu'il aime les doux jeux de l'esprit! que les Grâces soient sur ses lèvres ! que la sagesse de Minerve règne dans son cœur!" La Fauvette lui répondit: "Qu'il égale Orphée par les charmes de sa voix, et Hercule par ses hauts faits! qu'il porte dans son cœur l'audace d'Achille, sans en avoir la férocité! Qu'il soit bon, qu'il soit sage, bienfaisant, tendre pour les hommes, et aimé d'eux! Que les Muses fassent naître en lui toutes les vertus!"

Puis les deux oiseaux inspirés reprirent ensemble: “Il aime nos douces chansons; elles entrent dans son cœur, comme la rosée tombe sur nos gazons brûlés par le soleil. Que les dieux le modèrent, et le rendent toujours fortuné! qu'il tienne en sa main la corne d'abondance! que l'âge d'or revienne par lui! que la sagesse se répande de son cœur sur tous les mortels! et que les fleurs naissent sous ses pas!"

Pendant qu'elles chantèrent, les Zéphyrs retinrent leurs haleines; toutes les fleurs du bocage s'épanouirent; les ruisseaux formés par les trois fontaines suspendirent leur cours; les Satyres et les Faunes, pour mieux écouter, dressaient leurs oreilles aiguës; Écho redisait ces belles paroles à tous les rochers d'alentour; et toutes les Dryades sortirent du sein des arbres verts, pour admirer celui que Philomèle et sa compagne venaient de chanter.

LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE.

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,

Un corbeau, témoin de l'affaire,

Et plus faible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau,

Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai mouton de sacrifice :

On l'avait réservé pour la bouche des dieux.
Gaillard corbeau disait, en le couvant des yeux:
"Je ne sais qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paraît en merveilleux état:
Tu me serviras de pâture."

Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat.
La moutonnière créature

Pesait plus qu'un fromage; outre que sa toison
Était d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon
Que la barbe de Polyphême.

Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite:
Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau,
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.

Il faut se mesurer; la conséquence est nette:
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre:

Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs;
Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

LE DÉPART DE LYCON.

Quand la Renommée, par le son éclatant de sa trompette, ent annoncé aux divinités rustiques et aux bergers de Cynthe le départ de Lycon, tous ces bois si sombres retentirent de

plaintes amères. Écho les répétait tristement à tous les vallons d'alentour. On n'entendait plus le doux son de la flûte ni celui du hautbois. Les bergers mêmes, dans leur douleur, brisaient leurs chalumeaux. Tout languissait: la tendre verdure des arbres commençait à s'effacer; le ciel, jusqu'alors si serein, se chargeait de noires, tempêtes; les cruels Aquilons faisaient déjà frémir les bocages comme en hiver. Les divinités même les plus champêtres ne furent pas insensibles à cette perte; Les Dryades sortaient des troncs creux des vieux chênes pour regretter Lycon. Il se fit une assemblée de ces tristes divinités autour d'un grand arbre qui élevait ses branches vers le cieux, et qui couvrait de son ombre épaisse la terre, sa mère, depuis plusieurs siècles. Hélas! autour de ce vieux tronc noueux et d'une grosseur prodigieuse, les Nymphes de ce bois accoutumées à faire leurs danses et leurs jeux folâtres, vinrent raconter leur malheur. C'en est fait! disaient-elles, nous ne reverrons plus Lycon: il nous quitte; la fortune ennemie nous l'enlève; il va être l'ornement et les délices d'un autre bocage plus heureux que le nôtre. Non, il n'est plus permis d'espérer d'entendre sa voix, ni de le voir tirant de l'arc, et perçant de ses flèches les rapides oiseaux. Pan lui même accourut, ayant oublié sa flûte; les Faunes et les Satyres suspendirent leurs danses. Les oiseaux mêmes ne chantaient plus: on n'entendait que les cris affreux des hiboux et des autres oiseaux de mauvais présage. Philomèle et ses campagnes gardaient un morne silence. Alors Flore et Pomone parurent tout à coup, d'un air riant, au milieu du bocage, se tenant par la main: l'une était couronnée de fleurs, et en faisait naître sous ses pas empreints sur le gazon; l'autre portait dans une corne d'abondance tous les fruits que l'automne répand sur la terre pour payer l'homme de ses peines. Consolez-vous, dirent-elles à cette assemblée de dieux consternés: Lycon part, il est vrai mais il n'abandonne pas cette montagne à Apollon. Bientôt vous le reverrez ici cultivant lui-même nos jardins fortunés: sa main y plantera les verts arbustes, les plantes qui nour

rissent l'homme, et les fleurs qui font ses délices. Ô aquilons, gardez-vous de flétrir jamais par vos souffles empestés ces jardins où Lycon prendra des plaisirs innocents. Il préfèrera la simple nature au faste et aux divertissements désordonnés; il aimera ces lieux; il les abandonne à regret. A ces mots la tristesse se change en joie; on chante les louanges de Lycon; on dit qu'il sera amateur des jardins, comme Apollon a été berger conduisant les troupeaux d'Admète: mille chansons divines remplissent le bocage, et le nom de Lycon passe de l'antique forêt jusque dans les campagnes les plus reculées. Les bergers le répètent sur leurs chalumeaux; les oiseaux mêmes, dans leurs doux ramages, font entendre je ne sais quoi qui ressemble au nom de Lycon. La terre se pare de fleurs et s'enrichit de fruits. Les jardins qui attendent son retour lui préparent les grâces du printemps et les magnifiques dons de l'automne. Les seuls regards de Lycon, qu'il jette encore de loin sur cette agréable montagne, la fertilisent. Là, après avoir arraché les plantes sauvages et stériles, il cueillera l'olive et le myrte, en attendant que Mars lui fasse cueillir ailleurs des lauriers.

LE LOUP DEVENU BERGER.

Un loup qui commençait d'avoir petite part.
Aux brebis de son voisinage,

Crut qu'il fallait s'aider de la peau du renard,
Et faire un nouveau personnage.

Ils s'habille en berger, endosse un hoqueton;
Fait sa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemuse.

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

Il aurait volontiers écrit sur son chapeau:
"C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau."
Sa personne étant ainsi faite,

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