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Et sur son dos le fit asseoir

Si gravement qu'on eût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le dauphin l'allait mettre à bord
Quand, par hasard, il lui demande:
"Êtes-vous d'Athènes la grande?

Oui, dit l'autre; on m'y connaît fort:
S'il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi; car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est juge-maire."
Le dauphin dit: "Bien grand merci.
Et le Pirée a part aussi

A l'honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense?

Tous les jours: il est mon ami;

C'est une vieille connaissance."

Notre magot prit, pour ce coup,

Le nom d'un port pour un nom d'homme.

De telles gens il est beaucoup
Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetant au plus dru,

Parlent de tout, et n'ont rien vu.

Le dauphin rit, tourne la tête,
Et le magot considéré,

Il s'aperçoit qu'il n'a tiré

Du fond des eaux rien qu'une bête :
Il l'y replonge, et va trouver
Quelque homme afin de la sauver.

P

LE NOURRISSON DES MUSES FAVORISÉ DU SOLEIL.

Le Soleil, ayant laissé le vaste tour du ciel en paix, avait fini sa course, et plongé ses chevaux fougueux dans le sein des ondes de l'Hespérie. Le bord de l'horizon était encore rouge comme la pourpre, et enflammé des rayons ardents qu'il y avait répandus sur son passage. La brûlante Canicule desséchait la terre; toutes les plantes altérées languissaient; les fleurs ternies penchaient leurs têtes, et leurs tiges malades ne pouvaient plus les soutenir; les Zéphyrs mêmes retenaient leurs douces haleines; l'air que les animaux respiraient était semblable à de l'eau tiède. La nuit, qui répand avec ses ombres une douce fraîcheur, ne pouvait tempérer la chaleur dévorante que le jour avait causée: elle ne pouvait verser sur les hommes abattus et défaillants, ni la rosée qu'elle fait distiller quand Vesper brille à la queue des autres étoiles, ni cette moisson de pavots qui font sentir les charmes du sommeil à toute la nature fatiguée. Le Soleil seul, dans le sein de Thétys, jouissait d'un profond repos; mais ensuite, quand il fut obligé de remonter sur son char attelé par les Heures et devancé par l'Aurore, qui sème son chemin de roses, il aperçut tout l'Olympe couvert de nuages; il vit les restes d'une tempête qui avait effrayé les mortels pendant toute la nuit. Les nuages étaient encore empestés de l'odeur des vapeurs soufrées qui avaient allumé les éclairs et fait gronder le menaçant tonnerre; les Vents séditieux, ayant rompu leurs chaînes et forcé leurs cachots profonds, mugissaient encore dans les vastes plaines de l'air; des torrents tombaient des montagnes dans tous les vallons. Celui dont l'œil plein de rayons anime toute la nature, voyait de toutes parts, en se levant, le reste d'un cruel orage. Mais ce qui l'émut davantage, il vit un jeune nourrisson des Muses, qui lui était fort cher, et à qui la tempête avait dérobé le sommeil, lorsqu'il commençait déjà à étendre ses sombres ailes sur ses paupières. Il fut sur le point de ramener ses chevaux en arrière, et de retarder le jour, pour rendre le repos à celui qui l'avait perdu.

Je veux, dit-il, qu'il dorme : le sommeil rafraîchira son sang, apaisera sa bile, lui donnera la santé et la force dont il aura besoin pour imiter les travaux d'Hercule, lui inspirera je ne sais quelle douceur tendre qui pourrait seule lui manquer. Pourvu qu'il dorme, qu'il rie, qu'il adoucisse son tempérament, qu'il aime les jeux de la société, qu'il prenne plaisir à aimer les hommes et à se faire aimer d'eux, toutes les grâces de l'esprit et du corps viendront en foule pour l'orner.

LE GEAI PARÉ DES PLUMES DU PAON.

Un paon muait: un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui:'
Ce ne sont pas là mes
affaires.

HISTOIRE DE ROSIMOND ET DE BRAMINTE.

Il était une fois un jeune homme plus beau que le jour, nommé Rosimond, et qui avait autant d'esprit et de vertu, que son frère aîné Braminte était mal fait, désagréable, brutal et méchant. Leur mère, qui avait horreur de son fils aîné,

n'avait des yeux que pour voir le cadet. L'aîné, jaloux, invente une calomnie horrible, pour perdre son frère; il dit à son père que Rosimond allait souvent chez un voisin, qui était son ennemi, pour lui rapporter tout ce qui se passait au logis, et pour lui donner le moyen d'empoisonner son père. Le père, fort emporté, battit cruellement son fils, le mit en sang, puis le tint trois jours en prison, sans nourriture, et enfin le chassa de sa maison, en le menaçant de le tuer, s'il revenait jamais. La mère, épouvantée, n'osa rien dire; elle ne fit que gémir. L'enfant s'en alla pleurant; et, ne sachant où se retirer, il traversa sur le soir un grand bois: la nuit le surprit au pied d'un rocher; il se mit à l'entrée d'une caverne, sur un tapis de mousse où coulait un clair ruisseau, et il s'y endormit de lassitude. Au point du jour, en s'éveillant, il vit une belle femme, montée sur un cheval gris, avec une housse en broderie d'or, qui paraissait aller à la chasse. N'avez-vous point vu passer un cerf et des chiens? lui dit-elle, Il répondit que non. Puis elle ajouta : Il me semble que vous êtes affligé. Qu'avez-vous ? lui dit-elle. Tenez, voilà une bague qui vous rendra le plus heureux et le plus puissant des hommes, pourvu que vous n'en abusiez jamais. Quand vous tournerez le diamant en dedans, vous serez d'abord invisible; dès que vous le tournerez en dehors, vous paraîtrez à découvert. Quand vous mettrez l'anneau à votre petit doigt, vous paraîtrez le fils du roi, suivi de toute une cour magnifique; quand vous le mettrez au quatrième doigt, vous paraîtrez dans votre figure naturelle. Aussitôt le jeune homme comprit que c'était une fée qui lui parlait. Après ces paroles elle s'enfonça dans le bois. Pour lui, il s'en retourna aussitôt chez son père, avec impatience de faire l'essai de sa bague. Il vit et entendit tout ce qu'il voulut, sans être découvert. Il ne tint qu'à lui de se venger de son frère, sans s'exposer à aucun danger. I se montra seulement à sa mère, l'embrassa, et lui dit toute sa merveilleuse aventure. Ensuite, mettant l'anneau enchanté à son petit doigt, il parut tout à coup comme le prince, fils du roi, avec cent beaux chevaux, et un grand nombre d'officiers

tune.

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richement vêtus. Son père fut bien étonné de voir le fils du roi dans sa petite maison; il était embarrassé, ne sachant quels respects il devait lui rendre. Alors Rosimond lui demanda combien il avait de fils. Deux, répondit le père. Je les veux voir, faites-les venir-tout à l'heure, lui dit Rosimond; je les veux emmener tous deux à la cour pour faire leur forLe père timide répondit en hésitant: Voilà l'aîné que je vous présente. Où est donc le cadet? je le veux voir aussi, dit encore Rosimond. Il n'est pas ici, dit le père. Je l'avais châtié pour une faute, et il m'a quitté. Alors Rosimond lui dit: Il fallait l'instruire, mais non pas le chasser. Donnezmoi toujours l'aîné; qu'il me suive. Et vous, dit-il, parlant au père, suivez deux gardes qui vous conduiront au lieu que je leur marquerai. Aussitôt deux gardes emmenèrent le père; et la fée dont nous avons parlé l'ayant trouvé dans une forêt, elle le frappa d'une verge d'or, et le fit entrer dans une caverne sombre et profonde, où il demeura enchanté. Demeurez-y, dit-elle, jusqu'à ce que votre fils vienne vous en tirer. Cependant le fils alla à la cour du roi, dans un temps où le jeune prince s'était embarqué pour aller faire la guerre dans une île éloignée. Il avait été emporté par les vents sur des côtes inconnues, où, après un naufrage, il était captif chez un peuple sauvage. Rosimond parut à la cour, comme s'il eût été le prince qu'on croyait perdu, et que tout le monde pleurait. Il dit qu'il était revenu par le secours de quelques marchands, sans lesquels il serait péri. Il fit la joie publique. Le roi parut si transporté, qu'il ne pouvait parler: et il ne se lassait point d'embrasser ce fils qu'il avait cru mort. La reine fut encore plus attendrie. On fit de grandes réjouissances dans tout le royaume. Un jour, celui qui passait pour le prince dit à son véritable frère : Braminte, vous voyez que je vous ai tiré de votre village pour faire votre fortune; mais je sais que vous êtes un menteur, et que vous avez, par vos impostures, causé le malheur de votre frère Rosimond: il est ici caché. Je veux que vous parliez à lui, et qu'il vous reproche vos impostures. Braminte, tremblant, se jeta à ses pieds,

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