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pouvoient-ils procurer à François I? Ce Triboulet, qui dit un si bon mot sur le passage (1) de Charles-Quint par la France, peut-il être reconnu dans un imbécille qui condamne son cheval à aller à pied pour avoir peté devant le roi, qui vend ce cheval pour avoir du foin, et son foin pour avoir une étrille, qui, ayant suivi le roi à vêpres à la Sainte-Chapelle, et voyant qu'à un profond silence avoit succédé un grand fracas de musique, aussitôt que le célébrant eut entonné Deus in adjutorium, etc. va charger de coups ce célébrant, parceque, disoit-il, c'étoit de lui qu'étoit venue toute la noise, et qu'avant qu'il eût láché ces deux mots latins, tout le monde étoit tranquille.

Triboulet avoit été fou de Louis XII avant de l'être de François I. Voici son portrait, fait par Jean Marot, père de Clément.

Triboulet fut un fou de la tête écorné.

Aussi sage à trente ans, que le jour qu'il fut né.

Petit front et gros yeux, nez grand, taillé à vôte (voûte),
Estomac plat et long, haut dos à porter hotte;
Chacun contrefaisoit, chanta, dansa, prêcha,
Et de tout si plaisant, qu'onc homme ne fâcha.

Des pages attachent Caillette par l'oreille à un poteau, il se croit condamné à passer là toute sa vie, et il s'y soumet [2]. On lui demande qui l'a ainsi attaché? il n'en sait rien. Si ce sont les pages? oui. S'il les reconnoîtra bien? oui. On les fait tous venir, et chacun proteste que ce n'est pas lui qui a fait ce tour; Caillette sou

(1) Voir le ch. 1 du liv. 5. (2) Voir le ch. 1 du liv. 5.

tient que ce n'est pas lui non plus. Je n'y étois pas, disent tous les pages à-la-fois ; je n'y étois pas non plus, dit Caillette. Il faut bien aimer à voir l'humanité dégradée pour s'amuser de tout cela.

Des Perriers fait un meilleur conte de Polite, mais on ne peut le répéter ici non plus que la note de M. de. La Monnoye.

M. de La Monnoye croit que Polite vient d'Hippolite, comme Bastien de Sébastien, Colas de Nicolas, Toinette d'Antoinette; il croit aussi que de Polite on a fait Politon, et ensuite Polisson. Mais il ne croit point que le mot de Caillette vienne du fou de François I. Vers l'an 1440, il y avoit une folle nommée Calletia, elle étoit de Gaëte.

Bonaventure des Perriers et Henri Étienne [a]racontent que François I plaisantant avec les seigneurs de sa cour sur le besoin d'argent où il se trouvoit, matière toujours assez peu plaisante, un plaisant lui dit : « Sire, « j'ai deux expédients infaillibles à vous proposer pour trouver plus d'argent qu'il ne vous en faut; le premier, c'est de rendre votre office alternatif comme le « sont tant d'autres offices dans votre royaume, et pour « ce seul objet je me charge de vous faire toucher plus « de deux millions; l'autre, c'est de faire vendre à votre profit les lits de tous les moines du royaume. Eh! dit « le roi, où coucheront cet pauvres moines? Sire, avec ■ nonnains. "

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Henri Étienne raconte encore que l'empereur préparant une grande irruption contre la France (peut-être

[a] Contes de Bonav. Des Perriers. Henri Etienne, apolog. pour

Пérod.

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étoit-ce en 1536), ses courtisans l'entretenoient des moyens qu'il auroit de repousser cette attaque; l'un lui souhaitoit un grand nombre de Gascons, l'autre un plus grand nombre de Lansquenets; un conseiller au parlement, nommé Godon, plaisant du temps, lui dit: « Sire, s'il n'est question que de souhaits, je prendrai la liberté de faire aussi le mien, et il aura du moins « le mérite de ne vous rien coûter. Je souhaiterois seu«<lement de devenir le diable pour un quart d'heure. Et que feriez-vous? dit le roi. Sire, j'irois tordre le col à « l'empereur. Bon! et n'a-t-il pas de l'eau bénite aussi<< bien que nous pour renvoyer tous les diables du « monde au fond des enfers? Oui, sire, je crois bien « qu'un jeune diablotin qui ne sauroit pas encore son « métier pourroit s'enfuir pour un peu d'eau bénite, « mais un diable qui auroit été autrefois Godon! Toute « l'eau bénite du monde n'y feroit rien. » Bonaventure des Perriers a fait de cette saillie le sujet du cent-unième de ses contes.

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Il ne s'agit pas de savoir si tous ces petits traits de gaieté sont bien ingénieux ; tels qu'ils sont, ils peignent l'esprit du siècle et la popularité de François I, voilà leur mérite.

Bonaventure des Perriers, nouvelle quarante-neuvième, rapporte de ce Colin, lecteur du roi, dont nous avons tant parlé, plusieurs bons mots, tous plus mauvais même que les bons mots ordinaires; en voici un pourtant beaucoup moins mauvais que les autres; François I(disoit à Colin : « Vos moines de Saint-Ambroise de « Bourges) se plaignent de vous, ils disent que vous les faites mourir de faim. » Sire, répondit Colin: hoc

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genus dæmoniorum non ejicitur nisi oratione et jejunio. « Cette sorte de démons ne se chasse que par la prière « et par le jeûne. » (Matth. c. 17, vers. 20.)

Les bons mots de La Roche-du-Maine ont un caractère noble, fier et guerrier (1), qui ne permet pas de confondre ce libre et vaillant capitaine avec les plaisants de cour; et du Châtel qui charmoit la cour par ses conversations éloquentes, n'étoit pas non plus un plaisant.

ANAGRAMME DE FRANÇOIS I.

On avoit alors le goût des anagrammes comme de toutes les bagatelles difficiles, et de toutes les rencontres bizarres; Marot fit celle de François I et il trouva dans François de Valois, de façon suis royal, sans autre changement que d'un consonne en U voyelle. Sa figure en effet avoit de l'éclat et de la noblesse; son caractère en avoit encore davantage. Il faut tout dire aux amateurs d'anecdotes, car ils veulent tout savoir. Des Perriers [a] et M. de La Monnoye ne dédaignent pas de leur apprendre que François I avoit un très beau et très grand nez, que Louis Aleaume, lieutenant-général d'Orléans et bon poëte latin, a dit de ce prince :

que

Occupat immenso qui tota numismata naso.

«La longueur de son nez remplit le médaillon. »

le peuple l'appeloit le roi grand nez, ou François

(1) On a vu ses réponses hardies à l'empereur, dans le temps de l'irruption en Provence, liv. 4, chap. 7, année 1536.

[a] Contes de Bonav. des Perriers.

grand nez; que Jacques Colin son lecteur avoit au contraire le nez court et troussé que ce Colin voyant dans l'appartement du roi un homme qui avoit l'air fort désœuvré, alla lui demander à quoi il s'occupoit si sérieusement; que cet homme lui répondit brusquement: à regarder quel est le plus beau nez de ce pays-ci; et que Colin, feignant de ne l'entendre qu'à moitié, lui dit en lui montrant le roi : voilà ce que vous cherchez. SaintGelais a rendu le nez de Colin célébre par cette épigramme contre une femme de son temps:

Pour faire voir en un tableau
Cithérée à la blonde tresse,
Zeuxis print jadis le plus beau
Des plus belles filles de Grèce.
Si tu veux avoir de Lucréce
Le visage un peu masculin,
Prends le teint de Bauguier Melin
Et de Rohan la bouche humaine,
Le beau nez de Jacques Colin,
Et l'œil de La Roche du Maine.

Passons à un objet plus important.

DU CHOIX DES AMBASSADEURS.

Brantôme a reproché à François I ses ambassadeurs de robe longue [a]; en effet, sous son règne, la plupart des ambassadeurs étoient des évêques, des magistrats, des gens de lettres; car, dit Brantôme, il avoit toujours en opinion ces gens savants. Brantôme prétend (et cela étoit vrai, sur-tout du temps de François I) que dans

[a] Capit. franç., art. Franç. I.

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