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HISTOIRE DE FRANÇOIS I.

s'empresse le premier à demander l'amitié de Mélancthon, et dans quel temps? en 1537, lorsque Rome éclatoit avec le plus de force contre les protestants qui ne l'avoient jamais si hautement bravée, lorsque le pape convoquoit le concile qui devoit les condamner, et dont ils rejetoient d'avance l'autorité après avoir tant de fois offert de s'y soumettre.

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« Nous n'avons pas les mêmes opinions, dit Sadolet « à Mélancthon, mais les mêmes sentiments nous ani«ment. Les lettres, les vertus, l'humanité, nous sont également chères; vos ouvrages ont pénétré mon ame « de tendresse; aimons-nous, mon frère, aimons-nous. « D'honnêtes gens qui cultivent les lettres sont essen« tiellement amis. Je ne sais point haïr pour des opi« nions; c'est l'orgueil qui hait et qui persécute, la religion aime et console, elle est tendre, elle est juste. »

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Non ego enim is sum, qui ut quisque à nobis opinione dissentit, statit eum odio habeam. Arrogantis est hoc et elati animi, non mansueti et comis, quas me potiùs ad partes natura mea vocat. Sed faveo ingenuis, virtutes hominum colo, studia litterarum diligo.

Qu'on juge quel devoit être un cardinal qui en 1537 tenoit un tel langage à Mélancthon. Homme admirable, homme attendrissant, qu'on ne peut lire sans pleurer de joie et d'amour; prélat né pour la gloire de l'église et pour le bonheur de l'humanité, Sadolet remplit toute l'idée que l'homme peut se faire de la vertu.

C'est par ce nom respectable que nous terminerons l'histoire littéraire de la France sous le règne de François I.

FIN DU LIVRE HUITIÈME.

DE

FRANÇOIS IER.

LIVRE NEUVIÈME.

Contenant la vie privée de François I et des anecdotes particulières.

CHAPITRE PREMIER.

Vie privée de François I.

NOUS us avons montré dans François I le guerrier, le roi, le législateur, l'ami des arts, le père des lettres. Nous allons le considérer sous des rapports moins étendus, mais plus intimes; nous allons montrer le fils, le mari, le père, le frère, l'amant, l'ami, l'homme en un mot.

François I eut toujours pour sa mère cette soumission respectueuse que S. Louis avoit eue pour la sienne; mais Louise de Savoie, qui pouvoit avoir les talents de Blanche de Castille, n'en avoit pas les vertus. Nous avons assez dit et le mal et le bien qu'elle fit au royaume; le

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surpassa trop le bien, et c'est ce qui a déterminé le jugement de la postérité sur cette femme. Qu'importe que les auteurs d'anecdotes [a] nous apprennent qu'elle étoit belle et qu'à peine voyoit-on à la cour une taille aussi riche que la sienne? les sommes immenses qu'elle laissa en mourant suffisent pour la condamner [b], sur-tout quand on les compare avec celle de trente-cinq mille livres qu'elle avoit apportée en mariage. Il est clair que son fils lui donna trop, ou lui laissa trop prendre. Il ne commença véritablement à régner, c'est-à-dire à rendre ses sujets heureux, qu'après la mort de sa mère; louons sa piété, plaignons sa foiblesse, et plaçons la duchesse d'Angoulême à une distance égale des vertus de la reine Blanche et des vices de Catherine de Médicis. Elle eut de la première le talent de gouverner, la grandeur, la prudence; elle eut de la seconde l'ambition, les vengeances, les fureurs; elle en eut aussi la superstition, le goût pour l'astrologie, mais ces derniers traits de conformité sont autant du siècle que du caractère.

La duchesse d'Angoulême avoit en effet toutes les foiblesses de son siècle et de son sexe; elle frémissoit chaque fois qu'elle entendoit parler de la mort, elle s'emportoit contre les prédicateurs, dont le devoir est de la rappeler. Apparemment, disoit-elle, ils ne savent que dire, puisqu'ils répètent ce que personne n'ignore. Mais cette vérité si connue est toujours nouvelle par son importance.

Pendant sa dernière maladie et peu de temps avant [a] Brantôme.

[b] Lettre de Montmorency à l'évêque d'Auxerre, du 7 oct. 1531.

sa mort, elle fut frappée, au milieu de la nuit, d'une clarté extraordinaire qui remplissoit sa chambre; elle crut que c'étoient ses femmes qui faisoient un trop grand feu, elle les gronda ; on lui dit que c'étoit la clarté de la lune qu'elle voyoit ; on tira les rideaux de son lit, elle reconnut une cométe (1). Elle fit fermer les fenêtres. « Ah! dit-elle avec un cri d'effroi, ce signe mena«çant n'est pas pour le peuple; c'est à moi d'entendre « mon arrêt, il faut donc franchir ce terrible passage, «< il le faut, allons, il faut s'y préparer. »

Le lendemain matin, elle envoya chercher son confesseur; ses médecins l'assuroient pourtant qu'ils la trouvoient bien, mais elle en croyoit plus la cométe. « J'ai vu, leur disoit-elle, le signe de ma mort, sans « cela je penserois comme vous, car je ne me sens point « mal.» Elle mourut; la comėte put contribuer à sa mort par la frayeur qu'elle lui inspira, c'est l'effet ordinaire des préjugés superstitieux : la philosophie, qui les dissipe, rend donc quelque service à l'humanité.

La gloire de la duchesse d'Angoulême, ou plutôt son bonheur, est d'avoir été la mère de François I et de la reine de Navarre; mais n'ajoutons point avec Nicolas Bourbon :

Regis mater eram et populi.

Louise de Savoie étoit née au Pont-d'Ain le 11 septembre 1476 [a]. Elle avoit été mariée le 16 février 1488. Elle mourut le 22 septembre 1531, à Grès en Gatinois.

(1) C'est la fameuse comète de 1531, 1607, 1682, 1759.

• J'étois la mère du roi et du peuple.

[a] Journal de Louise de Savoie.

François I eut deux femmes vertueuses, qu'il respecta et qu'il n'aima point. Nous avons presque tout dit de la reine Claude en n'en disant presque rien; son obscurité fait sa gloire. Ce fut une sainte, qui, négligée par son mari, maltraitée par sa belle-mère, ne se plaignit point, n'exigea rien, ne regretta rien, servit Dieu, secourut les malheureux et ne fit jamais de mal. On la nomma pendant sa vie la Bonne-Reine, et personne n'en parle aujourd'hui. Voilà les femmes qui ne sont point célébres. Qu'une femme sans pudeur ait fait dre un vieillard innocent, qu'elle ait forcé un héros désespéré à déchirer sa patrie, à faire son roi prisonnier, qu'on ait tremblé sous elle, on ne l'oubliera jamais.

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Quand j'ai dit que la reine Claude étoit négligée par François I, j'ai voulu dire seulement qu'elle n'avoit ni crédit ni faveur; le crédit étoit entre les mains de la duchesse d'Angoulême, la faveur étoit pour la comtesse de Châteaubriant. D'ailleurs, le roi eut de la reine Claude, en dix ans de mariage, trois fils et quatre filles. Dès le 28 juin 1515, elle lui avoit fait une donation entre-vifs du duché de Bretagne, des comtés de Nantes, de Blois, de Montfort et autres terres.

Claude naquit à Romorentin le 13 octobre 1499, fut mariée le 18 mai 1514, et mourut le 25 juillet 1524 à Blois [a]. Bordigné, du Bouchet et quelques autres parlent de ses miracles, nous nous bornons à parler de ses vertus [b].

Éléonore d'Autriche vint en France sous les mêmes

[a] Bordigné, chronique d'Anjou, part. 3, folio 202, verso. [b] Du Bouchet, annal. d'Aquit., part. 4, p. 382.

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