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niversité (dont il se sépara depuis), et mis sous la direction du grand aumônier, qui paroît avoir nommé aux chaires jusque vers l'an 1661. Il n'y eut point alors d'inspecteur nommé, mais Jacques Collin, qui n'étoit point encore disgracié, fut chargé du détail de cet établissement.

Quoique le collège royal eût été fondé dans l'université comme un nouvel ornement pour ce grand corps, il n'y excita d'abord que de la jalousie et des soulèvements, j'en ai dit la raison, les nouveaux professeurs étoient dotés (1), ils donnoient des leçons gratuites; les anciens vivoient du produit de leurs leçons, ils craignoient que leurs écoles ne fussent abandonnées pour les nouvelles. Par cette raison l'on avoit eu l'attention de ne point fonder d'abord de chaires pour le latin dans le collège royal, afin que les leçons de l'université fussent toujours nécessaires; mais ce n'étoit pas assez; on pouvoit encore négliger des leçons de latin qu'il falloit payer, pour des leçons de grec et d'hébreu qui ne coûtoient rien. Les rois font la guerre pour des provinces, les particuliers plaident pour de moindres possessions, des professeurs se disputent cent écus d'appointement; c'est par-tout le même principe de cupidité, c'est par

(1) Il paroît que leurs appointements furent d'abord de quatre cent cinquante liv., somme alors suffisante; nous apprenons par la préface d'un des livres de Ramus, adressée à Catherine de Médicis, que François 1, outre ces appointements, avoit donné à tous ses lecteurs ou professeurs ensemble une bonne abbaye; « Mais, dit Ramus, je ne sais quel écornifleur empêcha que l'abbaye ne fût af« fectée à leur compagnie; il en départit à chacun autant qu'il lui plut, et ne s'en fit pas la pire part; or, avec la vie éteinte de tous <ces lecteurs d'alors, le bienfait du roi s'est éteint aussi. »

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tout aussi la même méthode de couvrir les petites vues d'intérêt particulier des grandes considérations de l'intérêt général; l'université cita les professeurs royaux au parlement, et demanda qu'ils fussent soumis à l'examen de l'université même et obligés d'obtenir sa permission pour enseigner. Un motif de jalousie qu'on avouoit encore moins que le motif d'intérêt venoit s'y joindre et le redoubler. Les professeurs royaux étoient des hommes choisis que la voix publique avoit seule indiqués au roi; les professeurs de l'université avoient quelquefois été pris au hasard, comme il arrive dans les corps nombreux. Le fameux Béda reparoît ici sur la scène [a]; c'est lui qui soulève l'université contre le collége royal, c'est lui qui, joignant aux motifs d'intérêt et de jalousie la haine du savoir et le besoin de persécuter, excite les murmures et invente les prétextes; c'est lui qui veut plaider lui-même au parlement la cause de l'université : « La religion étoit perdue, si l'on enseignoit le grec et l'hébreu ; l'autorité de la vulgate alloit « être détruite; déja l'on entendoit de toutes parts ces paroles si suspectes: ainsi porte le texte hébreu; c'est « ainsi qu'on lit dans le grec des septante. Mais ces gens « étoient-ils théologiens pour oser expliquer la bible? * D'ailleurs les bibles dont ils se servoient étoient pour << la plupart imprimées en Allemagne, pays d'hérésie, « ou bien elles nous venoient des Juifs. »

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« Non, répondoient les professeurs royaux par l'orde Marillac leur avocat, nous ne sommes point théologiens, ce n'est que comme grammairiens que

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[a] D'Argentré, collect, judic. de nov. errorib., t. 2, p. 101, 102. Du Boulay, t. 6, p. 222, 224. Hist. de Paris, t. 2, p. 882.

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<< nous expliquons les bibles hébraïques et grecques. « Mais vous qui êtes théologiens, entendez-vous le grec « et l'hébreu? Si vous les entendez, venez à nos leçons, « et quand vous nous surprendrez à enseigner quelque hérésie, dénoncez-nous, c'est un métier que vous sa« vez faire. Que si vous n'entendez ni le grec ni l'hé«< breu, comment pouvez-vous demander à nous examiner, et sur quel fondement nous défendrez-vous ou « nous permettrez-vous d'enseigner? osez-vous bien étaler << votre mépris barbare pour des connoissances que vous « n'avez point acquises? Instituteurs publics, vous sied<< il de combattre l'instruction, de résister aux efforts « que fait un grand roi pour chasser l'ignorance de ses États? Quant aux livres que nous expliquons, nous « avons à la vérité le choix des livres grecs, et si quel« ques uns parmi nous donnent la préférence à la bi«ble, c'est par un motif que vous devez approuver: << mais quel autre livre hébreu que la bible voulez« vous que nous expliquions?»

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Soit que ces raisons aient fait impression sur les juges, soit que l'autorité, jalouse de conserver son ouvrage, soit venue au secours des professeurs royaux, il paroît que le parlement ne prononça rien, et le collège royal subsista et s'agrandit. Gabriel de Marillac (1), qui avoit plaidé la cause des professeurs royaux, fut depuis avocat général au parlement. L'élévation des avocats distingués par l'éloquence et les lumières est encore une

(1) C'étoit le frère du fameux Charles,de Marillac, archevêque de Vienne, employé en diverses ambassades à Constantinople, en Angleterre, en Allemagne, etc. Tous deux étoient oncles du maréchal décapité en 1632, et du garde des sceaux.

des heureuses suites de la faveur répandue sur les lettres pendant le règne de François I. Le chancelier Duprat, le chancelier Poyet, le garde des sceaux de Monthelon, le premier président Lizet, l'avocat du roi Marillac et plusieurs autres, sont des avocats que leur mérite a élevés, et qui resteroient aujourd'hui avocats. Monthelon parla en qualité d'avocat du roi dans l'affaire du collège royal et ne se montra point favorable aux professeurs royaux; le préjugé est toujours contre la nouveauté, mais Monthelon conclut qu'il falloit prier le roi de s'expliquer sur les priviléges qu'il avoit voulu accorder à ces professeurs, et leurs intérêts ne pouvoient être remis dans des mains plus propices.

On voit par ces tracasseries combien le roi étoit contrarié dans le bien qu'il vouloit faire aux lettres..

Claude Despence, ce fameux théologien, persécuté par les théologiens ses confrères, parcequ'il savoit plus qu'eux, déclare que de son temps on passoit pour hérétique, quand on savoit un peu de grec et de latin. Le jurisconsulte Conrad Héresbach soutient qu'il a entendu un moine dire en chaire : « On a trouvé une nouvelle langue que l'on appelle grecque, il faut s'en garantir a avec soin. Cette langue enfante toutes les hérésies. « Je vois dans les mains d'un grand nombre de person« nes un livre écrit en cette langue; on le nomme Nou«veau Testament : c'est un livre plein de ronces et de « vipères. Quant à la langue hébraïque, tous ceux qui « l'apprennent deviennent juifs aussitôt. »

Tels étoient les obstacles que l'instruction avoit à vaincre en France et en Allemagne.

On peut juger que les gens de lettres prirent parti pour

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les professeurs royaux. Érasme ne cessa de les encourager, de les consoler, de leur rappeler les contradictions qu'il avoit lui-même éprouvées pour l'établissement du college de Busleiden à Louvain; c'est, leur disoit-il, le sort inévitable de tout ce «qui est à-la-fois nouveau et utile, on ne peut faire le bien sans rencontrer d'obstacles, et je n'avois pas comme vous un grand roi qui m'appuyat de toute sa faveur. J'ai persisté pourtant, et * Louvain jouit des bienfaits de Busleiden et du fruit de « mes soins; mais Tournay moins heureux n'a pu avoir « le même avantage, les franciscains ne l'ont pas voulu; * pour vous, vous réussirez malgré les franciscains et Béda, en n'opposant à l'envie que la douceur, la poli« tesse et l'exactitude à remplir vos devoirs. »

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Clément Marot étoit alors retiré à Ferrare auprès de la duchesse pour échapper à quelques persécutions qu'il éprouvoit en France. Le procès suscité aux professeurs royaux fut une occasion qu'il saisit de faire cause commune avec eux; après avoir dit dans une épître au roi qu'il n'a (lui Marot) pour ennemis que les pédants et les fanatiques, il ajoute :

Autant comme eux, sans cause qui soit bonne,

Me veult de mal l'ignorante Sorbonne;

Bien ignorante elle est d'être ennemie

De la trilingue et noble académie
Qu'as érigée. Il est tout manifeste
Que là-dedans, contre ton vueil céleste
Est défendu qu'on ne voise allégant
Hébrieu ni grec ni latin élégant:
Disant que c'est langage d'hérétiques;
O povres gens de savoir tout éthiques!
Bien faites vray ce proverbe courant
Science n'ha hayneux que l'ignorant.

!

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