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Quelquefois la conclusion peut être omise, ou il suffit de conclure en quelques mots; l'effet n'en est que mieux produit. Certains sujets permettent d'y joindre quelque développement oratoire, mais il faut se défier de l'excès. Cet appendice oratoire souvent ne sert qu'à dissimuler la faiblesse ou la maigreur du corps de la dissertation. Soyez donc sobre de ces développements et évitez la déclamation; vous gâteriez l'effet de tout votre raisonnement. Les maîtres de l'art oratoire savent très-bien observer cette règle, surtout quand ils sont philosophes. Le Traité de la connaissance de Dieu de Bossuet ne se termine pas comme une oraison funèbre, ni le de Officiis comme une Catilinaire. La conclusion de chacun des cinq chapitres du Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même peut servir de modèle de récapitulation et de conclusion; on y trouve tous les mérites que nous recommandons.

TROISIÈME PARTIE

DES DIVERSES ESPÈCES DE DISSERTATION

MÉTHODE ET RÈGLES PARTICULIÈRES

La dissertation philosophique a des caractères généraux qui la distinguent de toute autre production de l'esprit; ils doivent se retrouver partout, quelle que soit la nature des questions sur lesquelles on raisonne, et la manière de raisonner nécessaire pour les traiter. Néanmoins, la diversité des sujets amène des différences essentielles qui doivent être observées, et dont il faut d'abord se rendre compte, si on ne veut s'exposer à manquer à la règle de convenance ou d'appropriation des moyens à la fin, non moins importante à considérer dans un travail philosophique ou logique que dans une œuvre d'imagination.

Les différences proviennent 1° de la nature logique des questions, 2o de celle des sujets comme étant empruntés aux diverses parties de la philosophie. C'est sous le premier point de vue que nous devons envisager ces questions. Les unes sont de simples faits à décrire, d'autres des vérités à démontrer, d'autres de véritables problèmes. Ici c'est une interprétation de doctrines; là c'est une comparaison à établir entre des points à la fois semblables et différents. Ces sujets se traitent par des méthodes différentes; le caractère

et la couleur générale de la dissertation doivent y répondre et être appropriés à la nature de la question (1).

J. Analyses.

La dissertation peut avoir simplement pour objet de faire une analyse. Il s'agit de décrire un fait de l'ordre intellectuel et moral, un acte de l'esprit, une faculté de l'âme humaine, etc.

Comment doivent se traiter ces sortes de sujets? Il suffit de se rappeler les règles de la méthode psychologique. Puisque c'est une œuvre de simple analyse, il n'y a ici ni à raisonner ni à discuter. Ce n'est pas non plus le lieu de faire des hypothèses ou des suppositions, ni d'en appeler à des autorités, de répéter ce qu'a pensé et dit tel ou tel philosophe, ni de faire de longues phrases oratoires, ou bien encore de se livrer à des considérations soit morales, soit théoriques. La seule autorité à invoquer est celle de la conscience. Il faut, par la réflexion, se placer en face du fait, le considérer attentivement, le démêler, le décrire tel qu'il est sans y rien changer ni ajouter. Tâchez de le bien saisir et de faire ressortir ses caractères essentiels et distinctifs, ainsi que ses conditions et ses rapports, l'action des autres faits sur lui et son action sur eux, de déterminer ainsi son rôle. Cette analyse sera bien faite, 1o si elle est exacte et fidèle; 2o si elle est approfondie et non superficielle; 3° si elle est complète. Elle doit mettre en parfaite lumière le fait en lui-même et dans ses rapports avec les autres faits qui l'accompagnent ou qui le suivent. Que le langage soit simple, clair, naturel, sans aucune prétention oratoire soyez sobre de comparaisons. Celles qui sont tirées du monde extérieur font plutôt obstacle à la vraie clarté, et, loin d'expliquer les faits de l'ordre spirituel, les faussent en les matérialisant.

Il est rare qu'en décrivant un fait on n'ait pas à réfuter quelque théorie ou opinion célèbre qui l'altère ou le défigure. La discussion se mêle ainsi à l'analyse, mais il ne faut pas qu'elle empiète trop sur elle ou la fasse oublier. Qu'en attaquant ces opinions on voie que votre but est de rétablir le fait lui-même et que l'analyse est la chose principale. Nulle part ne doit percer l'intention d'engager une polémi

(1) On distinguera facilement parmi nos Questions la catégorie à laquelle chacune d'elles appartient.

que et de soutenir une opinion personnelle. Au fait à décrire se rattachent souvent des questions importantes et d'un haut intérêt. Elles ne doivent venir ni interrompre ni troubler votre travail. Vous pouvez les indiquer et montrer comment le fait décrit sert à les résoudre. Cela est bien placé au début et fournit un préambule naturel, mais doit être dit brièvement. En réalité, vous n'avez ni problème à résoudre, ni question à débattre; le travail doit conserver son caractère propre, celui d'une description impartiale et fidèle.

Les

Les qualités qu'il faut s'efforcer d'avoir sont: la vérité, l'exactitude, la clarté; le style doit être lui-même net et précis, calme, sans prétention ni recherche, mais d'autant plus soigné et non dépourvu d'élégance. La justesse et la propriété des termes en feront le principal mérite. défauts sont par là même indiqués. Eviter d'être superficiel, vague, inexact, embarrassé, diffus. Se défendre de toute préoccupation étrangère à la tâche entreprise; se défier des analogies, des métaphores et des comparaisons, et ne s'en servir que comme d'accessoires, jamais pour combler une -lacune de l'analyse; s'interdire les mouvements oratoires, les images et les tours poétiques, les interrogations trop fréquentes, les accumulations de mots ou de pensées, le style pressé, saccadé, trop vif ou véhément. La clarté précise et calme prévient ou éloigne tous ces défauts.

Ainsi se fait une bonne dissertation de ce genre. Par cet exercice répété et bien conduit, se développe le talent de l'observation intérieure. On prend l'habitude de démêler et de décrire les faits si délicats de la pensée, talent plus rare et plus précieux que celui de raisonner et d'argumenter sur des objets qu'on n'a pas soi-même observés, plus rare et non moins utile que celui de faire ou de répéter des expériences sur des faits de l'ordre matériel ou physique.

II. Définitions, principes.

Une dissertation peut avoir pour but d'établir ou de vérifier une définition, de discuter ou de légitimer un principe. Qu'est-ce que le vrai? qu'est-ce que le bien, le beau? Quel principe doit servir de base à la logique, à la morale, à l'art? etc. On sait qu'il n'en est pas en philosophie comme en mathématiques. Les notions premières de l'ordre moral ou métaphysique s'offrent rarement avec cette clarté précise

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et cette simplicité qui forcent sur-le-champ à les admettre. Presque toujours ces principes sont contestés, il faut savoir les établir et les défendre. L'idée est mêlée à d'autres idées avec lesquelles on les confond; elle est obscurcie par des notions vulgaires ou par des préjugés; de faux systèmes la méconnaissent ou la défigurent. La discussion est nécessaire pour rétablir la vérité, l'analyse doit être employée pour dégager des notions superficielles ou erronées l'idée vraie, en montrer la légitimité. Tout un traité, souvent tout un livre ici serait à faire. Dans une simple dissertation la tâche est plus courte, mais elle impose les mêmes conditions. Cette tâche est double: 1° réfuter les fausses définitions, 2o établir la vraie ou démontrer le principe. La dialectique et l'analyse doivent être ici tour à tour employées.

1° Réfulation. - Les règles générales de la réfutation seront posées plus loin. (V. Réfutations.) Pour réfuter une définition, il suffit de rappeler ce en quoi elle peut être fausse ou incomplète. On examine avec soin cette définition. On en montre la fausseté, le caractère superficiel, inconsistant, on en relève les contradictions; on fait voir que non-seulement ce principe est opposé au sens commun et à la raison, mais qu'il ne rend pas compte de ce qu'il prétend expliquer, en un mot, qu'il n'a aucun des caractères d'un véritable principe. S'agit-il, par exemple, du principe qui doit servir de base à la morale; on montre que les idées qui ont été proposées pour remplacer la notion du bien ne remplissent aucune des conditions de la loi morale. On ferait de même pour toute autre idée, celle du beau, du juste, de l'utile, de l'art, etc. Sans s'attaquer à toutes les opinions qui les ont défigurées, on dévoile le vice des principales. Les modèles sont ici les grands philosophes dans la partie critique de leurs écrits: Platon, Aristote, Leibnitz, etc. (1).

2o Démonstration. Déjà d'une discussion bien conduite ressort le caractère de l'idée ou du principe que l'on veut établir; mais il faut ensuite le dégager, le formuler et insister sur ses caractères. On doit montrer qu'il remplit réellement les conditions vainement demandées aux autres principes. Le moyen n'est autre que l'analyse. Si elle est bien faite, exacte et complète, la raison aperçoit la vérité du principe, elle le reconnaît et l'accepte. Si le texte de la dissertation indique ce travail d'analyse comme étant l'objet

(1) Les Questions où nous avons tâché d'imiter ces modèles sont faci les à reconnaître. Voy. du beau, de l'art, etc.

principal, il faut le faire avec l'étendue convenable et resserrer la discussion. Les conditions sont les mêmes que quand il s'agit d'un simple fait, et nous n'avons rien à ajouter à l'article précédent. Faire ressortir l'idée, décrire ses vrais caractères, insister sur celui qui contient l'essence générale et propre et doit servir de base à la définition. Quelquefois l'idée étant simple, la définition n'est pas possible, il faut le faire remarquer; cela ne dispense pas d'énoncer les caractères distinctifs, ni de les analyser.

Quant à la légitimité du principe, je l'ai dit, elle ressort de l'analyse même et des caractères qu'elle a mis en évidence. Il est pourtant nécessaire de le vérifier en l'appliquant à quelques exemples. Ansi le principe de l'honnête est le seul qui rende compte non-seulement de tous les devoirs de la vie humaine, mais des jugements que porte la conscience et des sentiments qui y sont attachés. Il en est de même de l'idée du beau comme règle des jugements en matière de goût, etc. Les exemples doivent être bien choisis, frappants et pris plutôt parmi les cas les plus éloignés qui semblent devoir s'expliquer le moins facilement.

On termine par l'examen des objections qui pourraient être faites et on y répond brièvement. Si elles ont été résolues dans le cours de la discussion, il est inutile d'y revenir.

Les qualités de ce travail doivent être la netteté, la précision, la rigueur dans la critique, la clarté et la lucidité dans l'exposition, le choix habile des exemples dans l'application, la facilité des explications et la manière nette et péremptoire de résoudre les objections.

III. Démonstrations.

Le sujet proposé est-il une vérité à prouver ou à démontrer, les règles de la démonstration doivent être présentes à votre esprit. La première, est d'avoir un principe qui serve de base au raisonnement. Il doit être cherché le plus près possible de la nature même de la chose dont il s'agit (1). Ĉe principe doit être non-seulement vrai mais

(1) Relire les excellents chapitres de la Logique de Port-Royal, IVe partie. Contre l'accumulation des preuves secondaires et la manie des détails je rappelerai ces mots de Bacon: « Ne vaut-il pas mieux dans une salle spacieuse suspendre un seul lustre garni de lumière pour éclairer toutes les parties à la fois, que d'aller promener une penterne dans tous les coins, comme font ceux qui s'étudient moins. cir la vérité par

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