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interrogative ne doit pas être trop fréquente. On interroge quelquefois parce qu'on ne saurait répondre; mieux vaut dire la raison que de la demander. Cette forme doit être réservée plutôt à la discussion. Soyez calme et que votre style soit égal, mais craignez la monotonie et l'uniformité. Comment se préserver de ce défaut? En variant habilement l'expression, en donnant un tour facile, libre et vif à la pensée, à votre style une certaine animation intérieure, qui vient du mouvement même de la pensée, de l'intérêt que vous prenez à la vérité et que vous savez inspirer aux autres. Que l'on sente circuler partout cette vie intérieure, et rayonner cette clarté qui vient du dedans. Vous tiendrez ainsi l'attention enéveil; vous préviendrez l'ennui et la fatigue, tout en restant calme et sans viser à l'effet. Il en sera de même si l'on vous suit facilement, si vous avancez vers le but lentement, mais sûrement.

Point de ces transitions brusques et imprévues qui sont du genre oratoire. Ne craignez pas de marquer le lien logique qui unit toutes les parties et forme les articulations du discours, mais faites-le brièvement. Evitez les locutions banales Nous avons dit, nous dirons maintenant, à présent; etc.

N'épuisez pas votre pensée sur chaque objet, laissez quelque chose à l'intelligence du lecteur, évitez les répétitions. Neque diutius quam satis sit in eisdem locis commoremur, neque eodem identidem revolvamur. (Cic., Rhet. ad Her., II, XVIII.) Ceci est facile quand les idées sont disposées avec ordre, mais impossible autrement.

Quant aux qualités accessoires du style philosophique, et qui s'y rencontrent accidentellement, la richesse, l'élévation, l'éclat, il n'y a point de préceptes à donner, car elles viennent du talent. Nous nous bornons ici à une remarque générale.

Ce style, en conservant les qualités qui le distinguent, doit se modifier selon les sujets. Le langage ne peut être le même quand il s'agit d'une analyse logique ou métaphysique, ou d'une vérité morale et religieuse à exposer ou à défendre. Il varie aussi selon le genre de lecteurs auxquels on s'adresse, selon qu'il s'agit de formuler les vérités de la science ou de les propager. Ici, le mélange des qualités oratoires et des qualités logiques et philosophiques peut être nécessaire, mais la diction doit toujours conserver son caractère propre et ses conditions essentielles.

Il y a même une éloquence philosophique qui rentre dans le genre démonstratif et dont il nous suffit d'indiquer le caractère en empruntant ces paroles de Quintilien : « Nam, quæ potest materia repeririad graviter copioseque dicendum, magis abundans quam de virtute, de republica, de providentia, de origine animorum, de amicitia? Hæc sunt quibus mens pariter atque oratio insurgant, quæ vere bona mitigent metus, quid coerceat cupiditates, eximat nos opinionibus vulgi, animumque celestem pariat. » (XII, ch. i.)

Beaucoup d'élèves façonnés au style oratoire ou poétique ne savent pas se plier aux conditions et aux allures du style philosophique. Ce qu'ils prennent pour du style est une certaine forme générale et convenue, dont le principal inconvénient n'est pas d'être banale, mais d'arrêter l'essor de la pensée, de gêner et de paralyser tous ses mouvements, de rendre incapable de penser comme d'écrire. C'est un mécanisme analogue à la forme scolastique, qui se compose de mots convenus et de phrases toutes faites. A ceux qui ont contracté cette habitude, nous disons: Secouez cette forme, dépouillez-vous de ce vêtement qui cache une grande misère; son grand défaut est de stériliser l'esprit et de l'asservir, de le rendre incapable de tout effort intellectuel. Quintilien luimême le dit Ad certas quasdam dicendi leges alligati, conatum omnem reformidant. (VIII, Proœm.)

Pour donner du corps et de l'autorité à ces préceptes, il faudrait ajouter des exemples. Les modèles du style philosophique sont les grands écrivains qui sont à la fois des maîtres dans l'art de penser et d'écrire; c'est Platon, Aristote, Descartes, Leibnitz, Pascal, etc. Il faut les lire et les relire.

ART. II. DES DIVERSES PARTIES DE LA DISSERTATION : DU
PRÉAMBULE; DU CORPS DE LA DISSERTATION; DE LA CONCLU-
SION.

Comme toute œuvre de l'esprit, la dissertation forme un tout qui se compose de plusieurs parties; chacune demande à être traitée selon sa nature et ses règles propres. On ne trouve pas ici la division du discours en exorde, narration, confirmation, etc., mais il y a une entrée en matière qui répond à l'exorde, et à laquelle peuvent se joindre une exposition et une division. Puis viennent l'analyse ou la démonstration, la discussion, la réfutation, enfin la conclu

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sion. Toutes ces parties ne sont pas nécessaires et varient selon les sujets; mais, quelque matière que l'on traite, il y a toujours un commençement, un milieu et une fin (1). Le commencement, c'est le préambule; le milieu, c'est le corps même de la dissertation, et la fin est la conclusion. C'est dans ce cadre que nous renfermerons nos avis.

Auparavant, il est une remarque à faire, c'est que la dissertation, en elle-même, est un tout complet, non un fragment d'un autre tout, comme une leçon ou une rédaction qui se rattachent à un cours. La dissertation se suffit à ellemême, elle ne suppose rien en deçà ni au delà. Elle prend le lecteur dans l'état d'esprit où doit être tout homme intelligent versé en ces matières. Mais elle ne doit exiger de lui rien d'accordé ni d'antérieurement démontré, si ce n'est les faits et les vérités que les hommes qui n'ont pas d'opinion systématique admettent et reconnaissent. C'est ce qu'oublient souvent les élèves; ils en appellent à des choses précédemment expliquées ou démontrées; ceci est permis dans une rédaction, jamais dans une dissertation. Partez des notions communes admises dans la science que vous traitez, ou des faits et des principes que le bon sens ne peut nier. Servez-vous de ces données, le reste est à établir ou à démontrer. Cette règle est vraie surtout pour le préambule.

I. DU PRÉAMBULE. L'importance de l'exorde dans le discours est très-connue; celle du préambule, dans la dissertation, n'est pas assez remarquée. D'abord, comme dans le discours, c'est le premier point sur lequel l'attention se porte; vous avez à l'exciter et à la captiver. Indépendamment de l'effet à produire sur l'esprit du lecteur, il y a pour vous un intérêt très-grand à bien commencer et à bien poser la question (2). Une question bien posée est, dit-on, à moitié résolue. Soignez donc votre début. Ce n'est pas chose facile à faire qu'un bon préambule. Ne prenez jamais la plume surle-champ, au hasard, sans avoir mûri le sujet dans votre esprit. Alors le préambule se présentera de lui-même, non

(1) Tout discours doit être composé comme un animal, avoir un corps qui lui soit propre, une tête et des pieds, un milieu et des extrémités, dans une convenance parfaite entre eux et avec l'ensemble.» (Platon, Phèdre.)

(2) Vitiosum exordium est, quod in plures causas potest accommodari. Item vitiosum est, quod nimium apparatis verbis compositum est aut nimis longum est, et quod non ex ipsa causa natum videatur. (Cic., Rhet. ad Her., I, vII.)

banal, mais approprié à la question. Autrement vous débuterez mal. Vous risquez d'être trop long et de vous noyer dans votre préambule, ou vous ferez quelques phrases de convention qui inviteront peu à vous lire. Si le lecteur consent à vous suivre, arrivé au terme, il revient au point de départ; s'il est satisfait, il regrette cette imperfection dans votre travail. C'est une tache à l'endroit le plus visible de votre habit.

Quelles sont les conditions d'un bon préambule? Elles sont les mêmes que celles de l'exorde dans le discours. 1o Il doit être simple, court, naturel. 2o Il doit intéresser d'avance le lecteur au sujet. 3° Par la manière dont il pose la question, il doit en préparer la solution.

Le préambule est vicieux quand il est trop long, recherché, pompeux, quand il est banal ou convient à plusieurs sujets, quand il est tiré de loin et ne paraît pas naître du sujet lui-même (1). Ces règles de l'exorde sont parfaitement applicables à la dissertation.

Comment obtenir ces qualités, éviter ces défauts ? D'abord en se rappelant ces règles, puis en cherchant à bien concevoir le sujet et à se pénétrer de son importance. Il est rare que nous n'intéressions pas les autres à ce qui nous intéresse vivement nous-mêmes. Quand on voit clairement la portée d'une chose, cela se fait sentir au début en termes simples, mais significatifs. Est-on pénétré de son sujet? on est pressé de le traiter et on y arrive par le plus court chemin. Il faut aussi se rappeler les circonstances qui peuvent répandre sur lui de l'intérêt. Une manière naturelle de s'emparer de l'esprit du lecteur, c'est de lui faire embrasser l'ensemble des choses que l'on va dire et de lui faire entrevoir d'avance le résultat (2).

Dans le préambule, nous comprenons l'exposition et la division. Pour une dissertation courte, ordinairement il est inutile d'énoncer la division. Mais il y a une manière adroite et indirecte de l'indiquer en quelques mots. Si vous l'énoncez, faites-le très-brièvement, en termes clairs et qui se gravent dans l'esprit.

Une grande adresse est de déposer dans le préambule le germe des développements ultérieurs, et comme les prémisses de la thèse que l'on va soutenir. Mais prenez garde de

(1) La plupart de nos Esquisses et Programmes ont surtout pour but d'apprendre à poser une question.

(2) Dociles auditores habere poterimus si summam causæ breviter exponemus. (Cic., Ret. ad Her., Ì, IV.)

paraître faire un cercle vicieux. Vous annoncez ce que vous allez démontrer; n'allez pas ensuite raisonner comme si vous l'aviez prouvé. Les commençants tombent souvent dans ce défaut. Cette précaution est nécessaire surtout quand on suit une marche synthétique.

Quelquefois, comme pour le discours, on fait bien de supprimer tout à fait le préambule. C'est lorsque celui-ci ne peut être que banal, et que la question, d'ailleurs très-claire. et très-simple, appelle une réponse immédiate.

Il est clair qu'il faut laisser ici beaucoup à la sagacité des élèves. Il est bien des manières différentes et très-bonnes d'entrer en matière et d'aborder un sujet; il suffit ici de maintenir les règles générales. Mais nous ne pouvons trop répéter ce conseil: soignez votre début et pour la pensée et pour la forme. Ici, la plus petite négligence ne peut être permise. L'attention est toute fraîche, rien ne la distrait : la plus légère incorrection ou dissonnance sera remarquée et choquera. C'est le premier coup d'archet du musicien.

II. DU CORPS DE LA DISSERTATION. La partie qui vient ensuite est la plus importante, ou plutôt c'est la dissertation même. Elle renferme l'analyse du fait à décrire, la solution du problème à résoudre, la démonstration de la vérité à prouver, la discussion du point de doctrine à examiner, la réfutation desobjections, etc.

Cette tâche, qui varie selon la nature des questions, doit être exécutée d'une manière approfondie, complète, et conduite à bonne fin. Ici, nous ne pouvons faire que des remarques très-générales. Entrer dans le détail, ce serait reproduire l'ensemble des règles de la logique. Nous supposons que l'élève sait analyser, définir, démontrer, discuter, exposer des raisons, donner des preuves, réfuter des arguments, résoudre des objections, apprécier la vérité ou la fausseté d'une doctrine, en un mot, qu'il connaît les règles de la logique et de la dialectique. Les préceptes donnés plus haut sur la conception, l'invention, la disposition, l'élocution, l'ont mis à même de trouver des idées, de les exposer et de les exprimer, en un mot, de traiter le sujet. Nous ne pouvons que rappeler les conditions générales de ce travail, et les défauts qui pourraient le déparer. Auparavant, nous reviendrons sur une observation déjà faite, en y en joignant une autre qui trouve ici sa place.

Avant d'entamer le sujet, sachez bien ce qu'il exige de

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