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plir cette tâche avec succès et dans la mesure de perfection que l'on peut exiger des élèves. Il y a d'abord une méthode et des règles générales applicables à tous les sujets. Elles sont relatives: 1o à la conception, 2o au plan ou à la division, 3o à l'invention, 4o à la disposition, 5o à l'expression ou à la diction et au style. Nous aurons ensuite à examiner les différentes parties de la dissertation.

ART. I.

DE LA CONCEPTION DU SUJET, DU PLAN, DE L'INVENTION, DE LA DISPOSITION, DU STYLE OU DE LA DICTION.

I. CONCEPTION DU SUJET. La première condition pour bien traiter un sujet, c'est de s'en former une juste idée. Cette observation est si simple, qu'elle pourrait paraître superflue; cependant il n'y a pas de point sur lequel il importe plus d'insister, puisque tout le reste en dépend, et que cette règle de bon sens est si rarement observée. Le maître qui dirige la jeunesse est obligé d'y revenir sans cesse, tant à cause de la légèreté naturelle des esprits auxquels il s'adresse que de la difficulté de la chose en elle-même.

Méditez donc votre sujet, tâchez d'en bien pénétrer le sens. Le sujet mal compris, on manquera le but, et l'œuvre tout entière sera mauvaise; on s'expose ainsi à sortir de la question, à se livrer à des digressions inutiles ou à traiter une autre question. Trop souvent on se contente d'un aperçu vague, on prend aussitôt la plume et on se laisse aller au courant de ses idées. On croit avoir fait un chefd'œuvre, sans s'apercevoir à la fin que le sujet n'est pas traité. De là toutes ces dissertations qui, sous une forme plus ou moins brillante, ne sont que des divagations ou des lieux communs oratoires.

Peu de ces compositions offrent le mérite d'un sujet bien traité, celui-ci ayant été mal conçu dans son ensemble et dans toutes ses parties. Voilà pourquoi nous croyons devoir ajouter quelques conseils plus spéciaux et plus pratiques.

L'intelligence d'un sujet dépend surtout du degré d'attention que l'on aura donnée à ces trois choses: 1o le point précis de la question; 2o son étendue et sa portée; 3o ses limites. Sans la première de ces trois conditions, vous n'avez qu'une notion vague de la question et tous vos raisonnements particuliers participent de cette indétermination; il vous est impossible de réunir et de grouper vos arguments, d'insister sur les points essentiels et de négliger les autres, de raisonner directement et de conclure. Si vous n'avez

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une juste idée de l'étendue de la question, vous ne pouvez lui donner les développements nécessaires; votre vue est trop courte, tout se rétrécit, les objets se rapetissent à vos yeux, l'ensemble manque d'intérêt; vous ne saurez pas même vous faire un plan, ni chercher vos preuves. Enfin si, frappé de cette étendue et du vaste horizon qui s'ouvre devant vous, vous n'en apercevez pas les limites et n'êtes pas capable de les poser vous-même, vous risquez de vous égarer, de vous former un plan trop vaste que vous ne pourrez remplir, d'entreprendre de faire un livre ou une thèse au lieu d'une dissertation, c'est-à-dire un travail disproportionné à vos forces et au temps qui vous est donné.

1 Il faut donc s'attacher d'abord à bien saisir le point précis de la question. En toute question il y a un point essentiel qui en contient le véritable esprit, et c'est à le comprendre que l'élève intelligent et réfléchi doit avant tout s'appliquer. Pour cela, il doit peser le sens de chacun des termes, les définir dans sa pensée, sans subtilité ni raffinement ou fausse profondeur. Il doit les examiner séparément, puis les rapprocher afin d'avoir le sens total, voir s'il n'y a pas un mot principal qui contienne le noeud de la question, rechercher aussi l'intention qui a pu la dicter, se rappeler les questions analogues, remarquer la forme propre sous laquelle celle-ci est présentée, interroger son savoir philosophique, enfin faire preuve de sagacité et de bon sens; car, ici comme en tout, les règles sont insuffisantes sans le savoir préalable et le jugement, qui, nulle part et ici surtout, ne doivent faire défaut.

Je prendrai un exemple: Quelle est la part de l'expérience et celle de la raison dans l'acquisition de nos connaissances? (Concours général 1831.) Dans ce sujet, il y a plusieurs termes dont vous devez vous faire une idée juste, nette et précise: 1° l'expérience, 2o la raison, 3° l'acquisition de nos connaissances. Sur chacun d'eux, n'allez pas facilement vous contenter d'un vague aperçu. L'expérience est tout ce qui tombe sous l'observation des sens et de la conscience; la raison ici n'est pas, au sens vulgaire, la faculté générale de connaître, mais, par opposition aux sens, la faculté des idées nécessaires et des vérités que l'esprit conçoit à priori. L'acquisition des connaissances, c'est la manière dont elles naissent dans notre esprit et aussi dont elles s'y forment et s'y développent. Tout cela entre dans le problème à résoudre. Mais ce qu'il faut surtout déterminer, c'est la proportion

dans laquelle les sens et la raison concourent dans cette acquisition. C'est là le point difficile et précis sur lequel vous serez jugé comme ayant bien ou mal compris le sujet. Pourquoi ? C'est que, dans les systèmes philosophiques, cette part n'est pas gardée, les uns accordant tout aux sens et à l'expérience, rien ou pas assez à la raison, les autres dépréciant la connaissance sensible et dédaignant l'expérience. Vous n'avez pas simplement à vous prononcer entre le sensualisme et l'idéalisme, mais à garder vous-même une sage mesure entre ces opinions extrêmes, et à montrer la conciliation possible dans certaines conditions. C'est là le vrai sens et l'esprit de la question. Vous ne le perdrez pas de vue dans toute votre dissertation; cette pensée en fera l'unité, l'intérêt et le mérite distingué, si l'exécution répond à la conception. 20 Nous avons dit qu'il fallait comprendre l'étendue et la portée d'une question pour en avoir l'intelligence. Dans le sujet proposé, celui qui n'apercevrait pas que là sont engagés les problèmes les plus graves et les plus élevés de la métaphysique et de la philosophie, n'en verrait pas l'étendue et n'en soupçonnerait pas l'importance. Il s'agit des deux grands moyens de connaître qui s'appliquent à toute vérité spéculative ou pratique, scientifique, morale ou religieuse; les conséquences de la solution doivent rayonner dans toutes les directions du monde intellectuel et moral. Il n'y a pas une vérité, pas un principe, pas un dogme ou une croyance qui échappe à ce problème de pure métaphysique. Dans la part plus ou moins exagérée faite aux sens ou à la raison est le vice radical de tous les systèmes. Cette pensée, si elle n'est pas formellement énoncée, apparaîtra dans votre préambule, dans toute votre manière de traiter la question, dans vos exemples. Si vous comprenez le sujet d'une manière étroite, vous aurez la lettre, non l'esprit, et cette étroitesse de vues percera dans l'ensemble de votre travail; en réalité, vous n'aurez pas compris.

3o Mais, par cela même que ce sujet est si vaste et d'une si haute portée, vous avez à le renfermer dans de justes limites. C'est le propre des questions philosophiques qui roulent sur des principes d'aller à tout et d'être, en quelque sorte, illimitées. Elles n'en doivent être que mieux circonscrites et c'est une raison de plus pour ne rien entreprendre au delà de ce qu'on doit faire. Il s'agit ici d'une analyse psychologique ou métaphysique. Ne le perdez pas de vue et n'allez pas entamer une longue réfutation des systèmes. Si vous dis

cutez les deux opinions contraires, que ce soit brièvement, pour faire mieux ressortir les résultats de votre analyse. Montrer par l'observation des faits et par des exemples la part de l'expérience et de la raison dans l'acquisition de nos connaissances, voilà votre tâche; vous ne devez pas la dépasser. Ainsi, en général, les limites d'un sujet sont déterminées par sa nature même et par la forme sous laquelle la question est posée. Il y a toujours dans cette forme une borne qu'il est facile de reconnaître et que vous devez respecter. Mais il faut la remarquer et s'en rendre compte, et c'est ce qui échappe souvent aux meilleurs esprits.

Nous aurions encore quelques recommandations à faire sur la manière de bien concevoir un sujet ; elles porteraient principalement sur certains défauts à éviter et qui sont trèscommuns chez les commençants: ne pas subtiliser sur le sens des mots, s'attacher plutôt à l'esprit qu'à la lettre, ne inventer des difficultés ou des obscurités là où le sens pas est clair et facile; ne pas recourir à des sens éloignés, voir l'ensemble de la question quand quelques-uns des termes peuvent prêter à une interprétation plus difficile.

II. LAN OU DIVISION.- Diviser le sujet, en ordonner les parties, c'est une des premières règles de la méthode. Ce plan ne sera pas toujours énoncé, mais il doit être présent à votre esprit avant de rien entreprendre. Sans un cadre nettement tracé, vous ne pouvez vous orienter ni trouver vos preuves, en un mot, traiter le sujet le plus facile. Une bonne division répand la lumière sur tout l'ensemble. Il semble qu'il suffit de rappeler ces principes et les règles de la division, telles que les donne la logique et avec elle la rhétorique : 1° qu'elle soit claire, simple, naturelle; 2° que les membres en soient distincts; 3° qu'elle soit entière ou complète. Voilà les préceptes généraux, mais il est des observations particulières qui doivent s'y joindre et qui sont spéciales au genre de travail dont nous nous occupons.

Deux cas peuvent se présenter: ou la division est indiquée ou elle ne l'est pas; le plan vous est donné ou vous avez à le faire. Dans l'un et l'autre cas, il y a certaines conditions à observer et qu'il est bon d'indiquer.

1 La division générale est ordinairement toute tracée par la manière même dont la question est posée. Encore faut-il saisir le lien logique qui unit ses parties. Il faut aussi nonseulement n'omettre aucune partie, mais respecter l'ordre

indiqué; vous n'avez le droit ni de l'intervertir ni de le modifier. Vous devez supposer qu'il n'est pas arbitraire; en le modifiant, vous risquez de changer la question ou de n'en pas comprendre l'esprit. Ce n'est pas tout un plan ne consiste pas seulement dans la juxtaposition des parties, ni même leur disposition, mais aussi dans la proportion et l'importance à donner à chacune d'elles et à l'ensemble. Cela s'appelle organiser un sujet, et c'est ce qu'il faut avoir fait d'avance, si on ne veut s'exposer à développer outre mesure certaines parties et à en négliger ou en écourter d'autres. Toute œuvre de l'esprit doit être ainsi organisée, ou elle manque d'unité. Cela est vrai d'une dissertation comme d'un discours ou d'un drame. Pour y arriver, outre ce qui a été dit plus haut des limites imposées au sujet par sa nature même et sa forme, il faut savoir distinguer le point principal, la maîtresse partie qui doit servir de centre et de but, vers laquelle toutes les autres doivent tendre. Il faut aussi tenir compte de la nature de votre travail et des conditions de son exécution.

Il est clair qu'une dissertation d'élève, n'étant ni une thèse ni un livre, doit être renfermée dans des limites étroites, même quand on traite les sujets les plus vastes. Mais il y a toujours un point spécial qui doit être approfondi et développé. Dans de telles questions, n'essayez donc pas de traiter également toutes les parties, n'en choisissez pas non plus une à votre fantaisie pour vous y étendre avec complaisance. Cette licence ne vous est pas permise. Il est facile de reconnaître le point principal et d'y subordonner tout le reste. Vous obtiendrez ainsi l'unité et votre travail y gagnera en force et en intérêt. C'est le vrai mérite d'une composition philosophique. La pensée n'aime pas à se disperser sur plusieurs objets dans un temps limité; la raison n'est satisfaite que quand la diversité est ramenée à l'unité. Ce point bien éclairé doit éclairer tous les autres; tâchez donc de le dégager et d'y relier les parties diverses de la question proposée ; c'est le moyen de ménager vos forces et votre temps, de restreindre un sujet peut-être trop étendu et de le ramener aux proportions d'une simple dissertation élémentaire.

Caractères de la Certitude; facultés qui la donnent; discuter les opinions des philosophes sur la certitude, en suivre les conséquences théoriques et pratiques. Il est certain qu'une pareille question, donnée au concours général (1838), eût pu aussi bien être proposée par l'Académie des sciences morales pour être traitée en trois ans. Vous n'avez que quelques

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