Page images
PDF
EPUB

1

en fuite fe taire, ou pouvoir raporter ce qu'on a lû,& ni plus ni moins que ce qu'on a lû; & fi on le peut quelquefois, ce n'eft pas affez, il faut encore le vouloir faire;fans ces conditions qu'un auteur exact & fcrupuleux eft en droit d'exiger de certains efprits pour l'unique recompenfe de fon traavail, je doute qu'il doive continuer d'écrire, s'il préfere du moins fa propre fatisfaction à l'utilité de plufieurs & au zele de la verité. J'avouë d'ailleurs que j'ai balancé dés l'année M. DC. LXC. ? & avant la cinquième édition, entre l'impatience: de donner à mon livre plus de rondeur & une meilleure forme par de nouveaux Caracteres, & la crainte de faire dire quelques-uns, ne finirontis point ces Caracteres, & ne verrons-nous jamais autre chofe de cet Ecrivain? Des gens fages me difoient d'une part, la matiere eft folide, utile, agreable, inépuifable, vivez long-tems, &traitez-la fans interruption pendant que vous vivrez; que pourriez-vous faire de mieux ? il n'y a point d'année que les folies des hommes ne puiffent vous fournir un volume ; d'autres avec beaucoup de raifon me faifoient redouter les caprices de la multitude & la legereté du public,de qui j'ai neanmoins de fi grands fujets d'être content, & ne manquoient pas de me fuggerer que depuis trente années ne lifant plus que pour lire, il faloit aux hommes pour les amufer, de nouveaux chapitres & un nouveau titre:que cette indolence avoit rempli les boutiques & peuplé le monde de-. puis tout ce tems de livres froids & ennuieux, d'un mauvais ftile & de nulle refsource, fans regles & fans la moindre jufteffe, contraires aux mœurs & aux bienfeances, écrits avec précipitation, & lûs de même,feulement par leur nouveauté ; & que fi je ne favois qu'augmenter un livre raisonnable, le mieux que je pouvois faire, étoit de me repofer: je pris alors quelque chofe de ces deux avis

:

*

fi opofez, & je gardai un temperament qui les raprochoit ; je ne feignis point d'ajoûter quelques nouvelles remarques à celles qui avoient déja groffi du double la premiere édition de mon ouvrage mais afin que le public ne fût point obligé de parcourir ce qui étoit ancien pour paffer à ce qu'il y avoit de nouveau,& qu'il trouvât fous fes yeux ce qu'il avoit feulement envie de lire, je pris foin de lui défigner cette feconde aug mentation par une marque particuliere:je crus auffi qu'il ne feroit pas utile de lui diftinguer la premiere augmentation par une marque † plus fimple , qui fervit à lui montrer le progrés de mes Caracteres, & à aider fon choix dans la lecture qu'il en voudroit faire : & comme il pouvoit craindre que ce progrés n'allât à l'infini,j'ajoûtois à toutes ces exactitudes une promeffe fincere de ne plus rien hazarder en ce genre.Que fr quelqu'un m'acufe d'avoir manqué à ma parole, en inferant dans les trois éditions qui ont suivi, 'un affez grand nombre de nouvelles remarques il verra du moins qu'en les confondant avec les anciennes par la fupreffion entiere de ces diferenees, qui fe voient par apoftille, j'ai moins pensé à lui faire lire rien de nouveau, qu'à laisser peut-, être un ouvrage de mœurs plus complet, plus fini & plus regulier à la pofterité. Ce ne font point au reste des maximes que j'aie voulu écrire;elles font comme des loix dans la morale,&j'avouë que je n'ai ni affez d'autorité ni affez de genie pour faire le Legiflateur: je fai même que j'aurois peché contre l'ufage des maximes, qui veut qu'à la maniere des oracles elles foient courtes & concifes; quelques-unes de ces remarques le font,quelques autres font plus étenduës: on penfe les chofes d'une maniere diferente; & on les explique par un tour auffi tout diferent; par une fentence, par un raifonnement, par une metaphore ou quelque *((¶)) † (9)

i

1

autre figure, par un parallele, par une fimple comparaifon, par un fait tout entier, par un feut trait, par une defcription,par une peinture; de là procede la longueur ou la briéveté de mes reflexions ; ceux enfin qui font des maximes veulent être crûs : je confens au contraire que l'on dife de moi que je n'ai pas quelquefois bien remar qué, pourvû que l'on remarque mieux.

DES OUVRAGES DE L'ESPRIT.

Our eft dit, & l'on vient trop tard depuis

T plus de fept mille ans qu'il y a des hommes,

& qui penfent. Sur ce qui concerne les mœurs le plus beau & le meilleur eft enlevé ; l'on ne fait que glaner aprés les anciens & les habiles.

d'entre les modernes.

Il faut chercher feulement à penfer & à par Ler jufte,fans vouloir amener les autres à nôtre goût & à nos fentimens ; c'est une trop grande entreprife.

¶ C'est un métier que de faire un livre com me de faire une pendule; il faut plus que de l'efprit pour être Auteur. Un Magiftrat aloit par fon merite à la premiere dignité, il étoit homme dé Lié & pratiqué dans les afaires; il a fait imprimer un ouvrage moral qui eft rare par le ridicule..

JIl n'eft pas faifé de fe faire un nom par un ouvrage parfait, que d'en faire valoir un medio Cre par le nom qu'on s'est déja aquis.

Un ouvrage fatirique ou qui contient des faits, qui eft donné en feuilles fous le manteau aux conditions d'être rendu de même, s'il eft mediocre, paffe pour merveilleux; l'impreffion eft l'écueil.

Si l'on ôte de beaucoup d'ouvrages de Morale l'Avertiffement au Lecteur,l'Epître Dedicatoire,la Preface,la Table,les Aprobations, il refte à peine affez de pages pour meriter le nom de livre.

1

Il y a de certaines chofes dont la mediocrité eft infuportable, la Poëfie, la Mufique, la Peinture, le Difcours public.

Quel fuplice que celui d'entendre declamer pompeufement un froid difcours, ou prononcer de mediocres vers avec toute l'emphafe d'un

mauvais Poëte!

[ocr errors]

Certains Poëtes font fujets dans le Dramatique à de longues fuites de vers pompeux, qui femblent fort, élevez, & remplis de grands fentimensile peuple écoute avidement les yeux élevez & la bouche ouverte, croit que cela lui plait, & à mefure qu'il y comprend moins, l'admire davantage, il n'a pas le tems de refpirer,il a à peine ce lui de fe recrier & d'aplaudir: j'ai crû autrefois & dans ma premiere jeuneffe que ces endroits é torent clairs & intelligibles pour les Acteurs, pour le Parterre & l'Amphiteatre; que leurs Auteurs s'entendoient eux-mêmes ; & qu'avec toute l'atention que je donnois à leur recit,j'avois tort de n'y rien entendré je fuis détrompé.

[ocr errors]
[ocr errors]

L'on n'a gueres vû jufques à prefent un chef-d'œuvre d'efprit qui foit l'ouvrage de plufieurs: Homere a fait l'Iliade, Virgile l'Eneide, Tire-Live les Decades, &l'Orateur Romain fes Oraifons.

[ocr errors]
[ocr errors]

Il y a dans lagt un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature, eclui qui le fent & qui l'aime a le goût parfait; celui qui ne le fent pas, & qui aime en deçà ou au delà, a 'le goût défectueux. Il y a donc un bon & un mauvais goût,& l'on difpute des goûts avec fondement.

Il y a beaucoup plus de vivacité que de goût parmi les hommes ; ou, pour mieux dire, il y a peu d'hommes dont l'efprit foit acompag né d'un goût feur & d'une critique judicieufe.

La vie des Heros a enrichi l'Histoire, & l'Hiftoire a embelli les actions des Heros : ainfi je ne fai qui font plus redevables, ou ceux qui ont écrit l'hiftoire, à ceux qui leur en ont fourni une noble matiere ; ou ces grands

Hommes à leurs Hiftoriens.

Amas d'épithetes, mauvaises loüanges; ce font les faits qui loüent, & la maniere de les

raconter.

Tout l'efprit d'un Auteur consiste à bien définir & à bien peindre. Moïse, HOMERE, PLATON, VIRGILE, HORACE, ne font au deffus des autres Ecrivains que par leurs expreffions & par leurs images : il faut exprimer le vrai pour écrire naturellement, fortement, délicate

ment.

¶ On a dû faire du ftile ce qu'on a fait de l'Architecture;on a entierement abandonné l'ordre Gothique que la Barbarie avoit introduit pour les Palais & pour les Temples; on a rapellé le Dorique, l'lonique & le Corinthien: ce qu'on ne voioit plus que dans les ruines de l'ancienne Rome & de la vieille Grece, devenu mo derne, éclate dans nos Portiques & dans nos Per, riftilles. De même on ne fauroit en écrivant rencontrer le parfait, & s'il fe peut, furpaffer les anciens que par leur imitation.

Combien de fiecles fe font écoulez avant que les hommes dans les fiences & dans les arts aient pû revenir au goût des Anciens, & reprendre enfin le fimple & le naturel ?

* Quand même on ne le confidere que comme un homme qui a écrit.

« PreviousContinue »