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leurs caprices; & que nous pouffions la complaifance plus loin, en mourant, non de la maniere qui eft la plus fure pour nous, mais de celle qui leur plaît davantage.

J'exigerois de ceux qui vont contre le train commun & les grandes regles,qu'ils fçuffent plus que les autres, qu'ils euffent des raifons claires,& de ces argumeus qui emportent conviction.

Je voudrois voir un homme fobre, moderé, chafte, équitable prononcer qu'il n'y a point de Dieu;il parleroit du moins fans interêt,mais cet homme ne fe trouve point.

J'aurois une extrême curiofité de voir celuy qui feroit perfuadé que Dieu n'eft point; il me diroit du moins la raifon invincible qui a fçû le convaincre.

L'impoffibilité où je fais de prouver que Dieu n'eft pas, me découvre fon existence.

Dieu condamne &punit ceux qui l'offenfent, feul Juge en fa propre caufe, ce qui repugne s'il n'eft luy-même la Juftice & la Verité, c'est-àdire s'il n'eft Dieu.

Je fens qu'il y a un Dieu,& je ne fens pas qu'il n'y en ait point, cela me fuffit, tout le raifonnement du monde m'eft utile; je conclus que Dieu exifte: cette conclufion eft dans ma nature; j'en ay reçû les principes trop aisement dans mon enfance, & je les ay conservez depuis trop naturellement dans un âge plus avancé, pour les foupçonner de fauffeté: mais il y a des efprits qui fe defont de ces principes; c'est une grande queftion s'il s'en trouve de tels;& quand il feroit ainfi, cela prouve feulement, qu'il y a des monftres.

¶ L'atheisme n'eft point : les Grands qui en font le plus foupçonnez,sót trop pareffeux pour décider en leur efprit que Dieu n'eft pas;leur indolence va jufqu'à les rendre froids &indifferés.

T

fur cet article fi capital, comme fur la nature de leur ame,& fur les confequences d'une vraie Religion: ils ne nient ces chofes, ni ne les accordent; ils n'y penfent point.

Nous n'avons pas trop de toute nôtre fanté, de toutes nos forces &de tout nôtre esprit pour penfer aux hommes ou au plus petit interêt: il femble au contraire que la bienféance &la coû tume exigent de nous, que nous ne pensions à nous que dans un état où il ne reste en nous qu'autant de raison qu'il faut pour ne pas dire qu'il n'y en a plus.

Un grand croit s'évanouir,& il meurt; un autre Grand perit infenfiblement,&perd chaque jour quelque chofe de foy-même avat qu'il foit éteint: formidables leçons, mais inutiles ! des circonftances fi marquées &fi fenfiblement opofées ne fe relevent point, & ne touchent perfonne:les hommes n'y ont pas plus d'atention qu'à unifieur qui fe fane, ou à une feuille qui tombe; ils envient les places qui demeurent vacâtes,ou ils s'informent fi elles font remplies, & par qui.

Les hommes font-ils affez-bons,affez fideles, affez équitables, pour mériter toute nôtre confiance,& ne nous pas faire defirer du moins que Dieu exiftât,à qui nous puffions apeller de leurs jugemens, & avoir recours quand nous en fommes perfecutez ou trahis.

Si c'est le grand & le fublime de la Religion qui éblouit, ou qui confond les efprits forts, ils ne font plus des efprits, forts, mais de fotules genies & de petits efprits; & fi c'eft au contraite ce qu'il y a d'humble & de fimple qui les rebute, ils font à la verité des efprits forts, & plus forts que tant de grands hommes fi é cairez,fi élevez,&neanmoins fi fideles, que les LIONS, les BASILES, les E RÔMES, les AE GUSTINS,

Un Pere de l'Eglife, un Docteur de l'Eglife,

quels noms quelle trifteffe dans leurs écrits! quelle fechereffe, quelle froide devotion, & peut-être, quelle fcholaftique ! difent ceux qui ne les ont jamais lûs: mais plûtôt quel étonnemet pour tous ceux qui fe font fait une idée des Peres fi éloignée de la verité!s'ils voyoient dans leurs ouvrages plus de tour & de délicateffe, plus de politeffe & d'efprit, plus de richeffe d'expreffion & plus de force de raifonnement, des traits plus vifs & des graces plus naturelles, que l'on n'en remarque dans la plupart des livres de ce tems, qui font lûs avec goût, qui donnent du nom & de la vanité à leurs Auteurs. Quels plaifirs d'aimer la Religion, & de la voir crûë,foûtenuë, expliquée par de fi beaux genies & par de fi folides efprits! fur tout, lorsque l'on vient à connoître, que pour l'étenduë de connoiffance, pour la profondeur & la penetration, pour les principes de la pure Philofophie, pour leur aplication & leur dévelopement, pour la jufteffe des conclufions, pour la dignité du difla beauté de la morale & des fen

Cours

pour > timens,il n'y a rien, par exemple,que l'on puisse comparer à S. AUGUSTIN, que PLATON, & que CICERON.

L'homme eft né menteur; la verité eft fimple & ingenue,& il veut du fpecieux & de l'ornement; elle n'eft pas à luy, elle vient du Ciel toute faite, pour ainfi dire, & dans toute fa perfection, & l'homme naime que fon propre ouvrage, la fiction & la fable : voyez le peuple, il controuve, il augmente, il charge par groffiereté & par fottife;demâdez même au plus honnête homme, s'il eft toûjours vray dans fes difcours, s'il ne fe furprend pas quelques fois dans des déguifemens où engagét neceffairemét la vanité & la legereté, fi pour faire un leur conte il ne luy échape pas fouvent d'àjoûter à un fait qu'il recite une circonftance

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qui y manque.Une chofe arrive aujourd'huy, & prefque fous nos yeux,cent perfonnes qui l'ont vue, la racontent en cent façons differentes, celuy-cy,s'il est écouté, la dira encore d'une maniere qui n'a pas été dite quelle créance donc pourrois-je donner à des faits qui font anciens & éloignez de nous par plufieurs ficcles? quel fondement dois-je faire fur les plus graves Hiftoriens que devient l'Hiftoire ? Cefar a t'il efté massacré au milieu du Senat? y a t'il eu un Cefar quelle confequence, me dites-vous? quels doutes? quelle demande? vous riez, vous ne me jugez pas digne d'aucune réponse; & je crois méme que vous avez raifon je fupofe neanmoins que le livre qui fait mention de Cefar, ne foit pas un livre profane, écrit de la main des hommes qui font menteurs, trouvé par hazard dans les Bibliotheques parmi d'autres manufcrits qui contiennent des Hiftoires vrayes ou apocriphes, qu'au contraire il foit infpiré, faint, divin, qu'il porte en foy ces caracteres, qu'il fe trouve depuis prés de deux mil dans une focieté nombreuse qui n'a pas permis qu'on y ait fait pendant tout ce temps la moindre alteration, & qui s'est fait une reli gion de le conferver dans toute fon integrité, qu'il y ait méme un engagement Religieux & indifpenfable d'avoir de la foy pour les faits contenus dans ce volume où il eft parlé de Cefar & de fa Dictature; ávoüez-le, Lucille, vous douterez alors qu'il y ait un Cefar.

Toute Mufique n'eft pas propre à louer Dieu, & à étre entendue dans le Sanctuaire; toute Philofophie ne parle pas dignement de Dieu,de fa puiffance,des principes de fes operations, & de fes myfteres: plus cette Philophie eft fubtile & ideale, plus elle eft vaine & inutile pour expliquer des chofes, qui ne demandent des hommes qu'un fens droit pour étre connuës

jufques à un certain point, & qui au delà font inexplicables vouloir rendre raifon de Dieu, de fes perfections, & fi j'ofe ainfi parler, de fes actions,c'eft aller plus loin_ue les anciens Philofophes, que les Apôtres, que les premiers Docteurs, mais ce n'eft pas rencontrer fi jufte; c'eft creufer long-tems & profondément, fans trouver les fources de la vérité dés qu'on a abandonné les termes de bonté, de mifericorde, de juftice & de toute-puiffance, qui donnent de Dieu de fi hautes & de fi aimables idées, quelque grand effort d'imagination qu'on puifle faire,il faut recevoir les expreffions feches, fteriles,vuides de fens, admettre les penfées creufes, écartées des notions communes,ou tout au plus les fubtiles & les ingenieuses, & à mesure que l'on acquiert d'ouverture dans une nouvelle Metaphysique, perdre un peu de fa Religion.

Jufques où les hommes ne fe portent-ils point par l'interêt de la Religion, dont ils font fi peu perfuadez, & qu'ils pratiquent fi

mal.

¶ Gette même Religion que les hommes défendent avec chaleur & avec zele contre ceux qui en ont une toute contraire,ils l'alteret euxmêmes dans leur efprit par des fentimens particuliers,ils y ajoûtent, & ils en retranchent mille chofes fouvent effentielles felon ce qui leur convient, & ils demeurent fermes & inébranla bles dans cette forme qu'ils luy ont donnée. Ainfi,à parler populairement, on peut dire d'une feule nation, qu'elle vit fous un même culte ; & qu'elle n'a qu'une feule Religion; mais à parler exactement, il eft vray qu'elle en a plufieurs, & que chacun prefque y a la fienne.

Deux fortes de gens fleuriffent dans les Cours, & y dominent dans divers tems, les libertins & les hypocrites, ceux-là gayement ouvertement, fans art & fans diffimulation,ceux

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