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idée qu'on a de lui? S'il fe livre une bataille, il doit la gagner, & en perfonne; fi l'ennemi fait un fiege, il doit le lui faire lever, & avec honte, à moins que tout l'Ocean ne foit entre lui & l'ennemi ; il ne fçauroit moins faire en faveur de fes Courtifans: Cefar lui-même ne doit-il pas venir en groffir le nombre, il en attend du moins d'importans services; car ou l'Arconte échouëra avec fes alliez, ce qui eft plus difficile qu'impoffible à concevoir; ou s'il réüffit, & que rien ne lui refifte, le voilà tout porté avec fes alliez jaloux de la religion & de Ja puiffance de Gefar,pour fondre fur lui, pour lui enlever l'Aigle, & le reduire lui & fon heritier à la fafce d'argent & aux païs hereditaires. Enfin ç'en eft fait, ils fe font tous livrez à lui volontairement, à celui peut-être de qui ils devoient se défier davantage: Efope ne leur diroit-il pas, La gent volatile d'une certaine contrée prend l'allarme, & s'effraye du voifinage du Lion, dont le feul rugiffement lui fait peur; elle fe refugie auprés de la bête, qui lui fait parler d'accommodement & le prend fous fo protection,qui fe termine enfin à les croquer tous l'un aprés l'autre.

DE LA MODE.

Ne chofe folle & qui découvre bien nôtre petiteffe, c'eft l'affujertiffement aux modes quand on l'étend à ce qui concerne le goût, le vivre, la fanté & la confcience. La viande noire eft hors de mode,& par cette raifon infipide: ce feroit pêcher contre la mode que de guérir de la fiévre par la faignée: de même l'on ne mouroit plus depuis long-tems par Theotime;les tendres exhortations ne fauvoient plus que le peuple, & Theotime a vu fon fucceffeur.

La curiofité n'est pas un goût pour ce qui eft bon ou ce qui eft beau, mais pour ce qui eft rare, unique, pour ce qu'on a, & ce que les autres n'ont point. Ce n'eft pas un attachement à ce qui eft parfait,mais à ce qui eft couru, à ce qui eft à la mode. Ce n'est pas un amusement, mais une paffion, & fouvent fi violente, qu'elle ne cede à l'amour & à l'ambition que par la petiteffe de fon objet. Ce n'eft pas une paffion qu'on a generalement pour les choses rares & qui ont cours,mais qu'on a feulement pour une certaine chofe qui eft rare > & pourtant à la

mode,

Le fleuriste a un jardin dans un Faubourg, il y court au lever du Soleil,& il en revient à fon coucher; vous le voyez planté, & qui a pris racine au milieu de fes tulippes & devant la folitaire, il ouvre de grands yeux, il frotte fes mains, il fe baiff, il la voit de plus prés, il ne l'a jamais vûë fi belle, il a le cœur épanoui de joye; il la quitte pour l'orientale, de là il va à la veuve, il paffe au drap a'or de celle-ci à l'agathe, d'où il revient enfin à la folitaire, & *

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où il fe fixe, où il fẹ laffe, où il s'affit ou ik oublie de dîner; auffi eft-elle nuancée, bordée, huilée,à pieces emportées, elle a un beau vase ou un beau calice; il la contemple,il l'admire; DIEU & la nature font en tout cela ce qu'il n'admire point,il ne va pas plus loin que l'oignon de fa tulippe qu'il ne livreroit pas pour mille écus,& qu'il donnera pour rien quand les tulippes feront negligées,& que les œiliers auront prévalu. Cet homme raifonnable,qui a une ame, qui a un culte & une religion, revient chez foi fatigué,affamé, mais fort content de fa journée; il a vû des tulippes.

Paricz à cet autre de la richeffe des moissons,. d'une ample recolte, d'une bonne vandange, il eft curicux de fruits, vous n'articulez pas,vous ne vous faites pas entendre;parlez lui de figues & de melons, dires que les poiriers rompent de fruit de cette année, que les pêches ont donné avec abondance, c'eft pour lui un idiome inconru, il s'attache aux feuls pruniers, il ne vous répond pas;ne l'entretenez pas de même de vos runiers, il n'a de l'amour que pour une cerraine efpece, toute autre que vous lui nommez le fait fourire & fe mocquer; il vous mene à l'arbre, cüeille artiftement cette prune exquife, il l'ouvre, vous en donne une moitié, & prend J'autre, quelle chair, dit-il, goûtez-vous cela? cela cft-il divin? voilà ce que vous ne trouverez pas ailleurs & là deffus fes narrines s'enfent, il cache avec peine fa joye & fa vanité par quelques dehors de modeftie. O l'homme divin en effet homme qu'on ne peut jamais affez louer & admirer homme dont il fera parlé dans plufieurs ficcles! que je voye fa taille & fon vifage pendant qu'il vit, que j'ob-. ferve les traits & la contenance d'un homme qui feul entre les mortels poffede une telle pruno...

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Un troifiéme que vous allez voir, vous parle des curieux fes confreres, & fur tout de Diognete.Je l'admire, dit-il, & je le comprends moins que jamais; penfez-vous qu'il cherche à s'inftruire par les médailles, & qu'il les regarde comme des preuves parlantes de certains faits, & des monumens fixes & indubitables de l'anciéne hiftoire, rien moins; vous croyez peut-eftre que toute la peine qu'il fe donne pour recouvrer une tête, vient du plaifir qu'il fe fait de ne voir pas une fuite d'Empereurs interrompue, c'est encore moins: Diognete fçait d'une medaille le fruft, le feloux & la fleur de coin, il a une tablette dont toutes les places font garnies à l'exception d'une feile, ce vuide lui blesse la vûë, & c'est précisement & à la lettre pour le remplir, qu'il employe fon bien & fa vie.

Vous voulez, ajoûte Democede, voir mes étampes, & bien-tôt il les étale & vous les montre; vous en rencontrez une qui n'eft ni noire, ni nette, ni deffinée, & d'ailleurs moins propre à être gardée dans un cabinet, qu'à tapiffer un jour de fête le petit-pont ou la rue neuve;il convient qu'elle eft mal gravée,. plus mal deffinée, mais il affure qu'elle eft d'un ' Italien qui a travaillé peu, qu'elle n'a prefque pas été tirée, que c'eft la feule qui foit en France de ce deffein, qu'il l'a achetée trescher, & qu'il ne la changeroit pas pour ce qu'il a de meilleur: j'ai, continuë-t-il, une fenfible affliction, & qui m'obligera de renoncer aux étampes pour le reste de mes jours, j'ai } tout Calot hormis une feule qui n'est pas à la verité de fes bons ouvrages, au contraire c'eft un des moindres, mais qui m'acheveroit Calor, je travaille depuis vingt ans à recouvrer cette étampe, & je defefpere entit. d'y réüffirtecla ck-t bien-rude...

Tel autre fait la fatyre de ces gens qui s'engagent par inquietude ou par curiofité dans de longs voyages,qui ne font ni memoires ni relations, qui ne portent point de tablettes, qui vont pour voir, & qui ne voyent pas, ou qui oublient ce qu'ils ont vû, qui defirent feulement de connoître de nouvelles tours ou de nouveaux clochers, & de paffer des rivieres. qu'on n'appelle ai la Seine ni la Loire ; qui fortent de leur patrie pour y retourner, qui aiment à estre abfens, qui veulent un jour être revenus de loin : & ce fatyrique parle jufte, & fe fait écouter.

or

Mais quand il ajoûte que les livres en aprennent plus que les voyages, & qu'il m'a fait comprendre par fes difcours qu'ilà une bibliotheque, je fouhaite de la voir, je vais trouver cet homme qui me reçoit dans une maison, où dés l'efcalier je tombe en foibleffe d'une odeur de maroquin noir dont fes livres font tous couverts; il a beau me crier aux oreilles pour me ranimer, qu'ils font dorez fur tranche, nez de filets d'or, & de la bonne édition, me sommer les meilleurs l'un aprés l'autre, dire: que fa gallerie eft remplie à quelques endroits prés, qui font peints de maniere, qu'on les prend pour de vrais livres arrangez, fur des. tablettes, & que l'œil s'y trompe; ajoûter qu'il me lit jamais, qu'il ne met pas le pied dans cette gallerie, qu'il y viendra pour me faire plaifir; je le remercie de fa complaifance, &: ne veux non plus que lui voir fa tanniere, qu'il. appelle bibliotheque..

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Quelques uns par une intemperance de fçavoir, & par ne pouvoir ferefoudre à renoncer à aucune forte de connoiffance, les embraffent toutes & n'en poffedét aucune;ils aiment mieux fçavoir beaucoup, que de fçavoir bien, & étre foibles & fuperficiels dans diverfes fciences,

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