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Tout le monde dit d'un fat, qu'il est an fat; perfonne n'ofe le lui dire à lui-même, il meurt fans le favoir, & fans que perfonne se foit vangé.

Quelle mefintellgence entre l'efprit & le cœur ! Le Philofophe vit mal avec tous fes préceptes; & le politique rempli de vûës &de reflexions ne fait pas fe gouverner.

L'efprit s'ufe comme toutes chofes ; les fiences font fes alimens, elles le nourriffent & le confument.

Les petits font quelquefois chargez de mille vertus inutiles ils n'ont de quoi les

mettre en œuvre.

Il fe trouve des hommes qui foûtiennent facilement le poids de la faveur & de l'autorité, qui fe familiarifent avec leur propre grandeur, & à qui la tête ne tourne point dans les poftes les plus élevez. Ceux au contraire que la fortune aveugle fans choix & fans difcernement & a comme acablez de fes bienfaits, en joüissent avec orgueil & fans moderation; leurs yeux, leur démarche, leur ton de voix & leur accez marquent long-tems en eux l'admiration où ils font d'eux-mêmes, & de fe voir fi éminens; & ils deviennent fi farouches,que leur chûte feule peut les aprivoiser.

Un homme haut & robufte, qui a une poitrine large, & de larges épaules porte legerement & de bonne grace un lourd fardeau,il lui refte encore un bras de libre; un nain feroit écrafé de la moitié de fa charge: ainfi les poftes éminens rendent les grands hommes encore plus grands, & les petits beaucoup plus petits.

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SII y a des gens qui gagnent à être extraordinaires; ils voguent,ils cinglent dans une mer où les autres échoüent & fe brifent; ils parvien

nent, en bleffant toutes les regles de parvenir ; ils tirent de leur irregularité & de leur folie tous les fruits d'une fageffe la plus confommée, hommes dévouez à d'autres hommes, aux Grands à qui ils ont facrifié, en qui ils ont placé leurs dernieres efperances : ils ne les fervent point, mais ils les amufent; les perfonnes. de merite & de fervices font utiles aux Grands, ceux-ci leur font neceffaires, ils blanchiffent auprés d'eux dans la pratique des bons mots, qui leur tiennent lieu d'exploits dont ils atendent la récompenfe: ils s'atirent à force d'être plaifans, des emplois graves, & s'élevent par un continuel enjouement jufqu'aux ferieux des dignitez; ils finiffent enfin,& rencontrent inopinément un avenir qu'ils n'ont ni craint ni efperé; ce qui refte d'eux fur la terre, c'est l'exemple de leur fortune, fatal à ceux qui voudroient le fuivre.

L'on exigeroit de certains perfonnages. qui ont une fois été capables d'une action noble, heroique, & qui a été fûe de toute la terre, que fans paroître comme épuifez par un fi grand éfort, ils euffent du moins dans le refte de leur vie cette conduite fage & judicieufe qui fe remarque même dans les homes ordinaires, qu'ils ne tombaffent point dans des petiteffes indignes, de la haute reputation qu'ils avoient aquife; que fe mêlant moins dans le peuple, & ne lui laiffant pas le le loifir de les voir de prés,ils ne le fiffent point paffer de la curiofité & de l'admiration à l'indiference, & peut-être au mépris. ¶ Il coûte moins à certains hommes de s'enrichir de mille vertus de fe corriger d'un , que feul défaut : ils font mêmes fi malheureux, que ce vice eft fouvent celui qui convenoit le moins à leur état : & qui pouvoit leur donner dans le monde plus de ridicule; il afoiblit l'éclat de

leurs grandes qualitez, empêche qu'ils ne foient des hommes parfaits, & que leur reputation ne foit entiere: on ne leur demande point qu'ils foient plus éclairez & plus incorruptibles;qu'ils foient plus amis de l'ordre & de la discipline ; plus fideles à leurs devoirs, plus zelez pour le bien public, plus graves: on veut feulement qu'ils ne foient point amoureux.

Quelques hommes dans le cours de leur vie font fi diferens d'eux-mêmes par le cœur & par l'efprit, qu'on eft feur de fe méprendre, fi T'on en juge feulement par ce qui a paru d'eux dans leur premiere jeunelle.Tels étoient pieux, fages, favans, qui par cette moleffe infeparable d'une trop riante fortune ne le font plus. L'on en fait d'autres qui ont commencé leur vie par les plaifirs, & qui ont mis ce qu'ils avoient d'efprit à les connoitre; que les difgraces enfuite ont rendu religieux, fages, temperans : ces derniers font pour l'ordinaire de grands fujets, & fur qui l'on peut faire beaucoup de fond; ils ont une probité éprouvée par la parience & par l'adverfité; ils entent fur cette extrême politeffe que le commerce des femmes leur a donnée, & dont ils ne fe défont jamais, un efprit de regle, de reflexion, & quelquefois une haute capacité, qu'ils doivent à la chambre & au loifir d'une mauvaise for

tune.

Tout nôtre mal vient de ne pouvoir être feuls ; delà le jeu, le luxe, la diffipation, le vin, les femmes, l'ignorance, la médifance, l'envie, l'oubli de foi-même & de Dieu.

L'homme semble quelquefois ne fe fufire pas à foi-même, les tenebres,la folitude,le troublent, le jettent dans des craintes frivoles, & dans de vaines terreurs ; le moindre mal alors qui puiffe lui arriver eft de s'ennuier.

L'amour est entré dans le monde par la pareffe, elle a beaucoup de part dans la recherche que font les hommes des plaifirs, du jeu, de la focieté, celui qui aime le travail a affez de foimême.

La plupart des hommes emploient la meilleure partie de leur vie à rendre l'autre miferable.

Il y a des ouvrages qui commencent par A & finiffent par Z: le bon, le mauvais, le pire, tout y entre, rien en un certain genre n'eft qublié; quelle recherche, quelle afectation dans ces ouvrages! On les apelle des jeux d'efprit.De même il y a un jeu dans la conduite; on a commencé, il faut finir,on veut fournir toute la carriere, il feroit mieux ou de changer ou de fufpendre,mais il eft plus rare & plus dificile de pourfuivre, on pourfuit, on s'anime par les contradictions, la vanité foûtient, fuplée à la raifon qui cede & qui fe defifte; on porte ce rafinement jufques dans les actions les plus vertueufes dans celles mêmes où il entre de la Religion,

Il n'y a que nos devoirs qui nous coûtents parce que leur pratique ne regardent que les chofes que nous fommes étroitement obligez.de. faire, elle n'eft pas fuivie de grands éloges, qui eft tout ce qui nous excite aux actions louables, & qui nous foûtient dans nos entreprises. N** aime une faftueufe qui lui atire l'intendance des befoins des pauvres, le rend dépofitaire de leur patrimoine, & fait de fa maifon un dépoft public où fe font les diftributions; les gens à petits collets, & les fœurs grifes y ont une libre entrée; toute une ville voit fes aumônes, & les public : qui pourroit douter qu'il foit homme de bien, fi ce n'est peut-être fes creanciers ?

J Geronte meurt de caducité & fans avoir fait ce teftament qu'il projettoit depuis trente années; dix têtes viennent ab inteftat partager la fucceffion: il ne vivoit depuis long-tems que les foins d'Afterie fa femme, qui jeune enco re s'étoit dévouée à fa perfonne, ne le perdoit pas de vûë, fecouroit fa vieilleffe, & lui a enfin fermé les yeux. Il ne lui laisse affez de bien pour pouvoir fe passer pour vivre d'un autre

par

vieillard.

pas

Laiffer perdre charges & benefices plutôt que de vendre ou de refigner même dans fon extrême vieilleffe, c'eft fe perfuader qu'on n'eft pas du nombre de ceux qui meurent; ou fi l'on croit que l'on peut mourir, c'est s'aimer foimême & n'aimer que foi.

¶ Faufte est un diffolu, un prodigue, un libertin, un ingrat, un emporté, qu'Aurele fon oncle n'a pû haïr ni desheriter.

Frontin neveu d'Aurele aprés vingt années d'une probité connuë, & d'une complaifance aveugle pour ce vieillard, ne l'a pû fléchir en sa faveur ; & ne tire de fa dépouille qu'une legere péfion que Faufte unique legataire lui doit paier.

¶ Les haines font fi longues & fi opiniâtrées, que le plus grand figne de mort dans un homme malade, c'eft la reconciliation.

¶ L'on s'infinue auprés de tous les hommes, ou en les flatant dans les paffions qui ocupent leur ame,ou en compatiflant aux infirmitez qui afligent leur corps ; en cela feul confiftent les foins que l'on peut leur rendre: de là vient que celui qui fe porte bien, & qui defire peu de chofe, eft moins facile à gouverner.

La moleffe & la volupté naiffent avec l'homme,& ne finiffent qu'avec lui ; ni les heureux,ni les triftes évenemens ne l'en peuvent feparer: c'est pour lui ou le fruit de la bonne fortune,ou an dédommagement de la mauvaife. C'est

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