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derniere reffource, & il en profite. Si quelquefois il eft lezé dans quelques chefs qui ont enfin été reglez, il crie haut; fi c'eft le contraire, il crie plus haut, & jette ceux qui perdent fur la justification & la défensive. Il a fon fait digeré par la Cour, toutes fes démarches font mefurées, les moindres avances qu'il fait lui font prefcriptes; & il agit neanmoins dans les points dificiles, & dans les articles conteftez, comme s'il fe relâchoit de lui-même fur le champ, & comme par un efprit d'acommodement; il ofe même promettre à l'Affemblée qu'il fera goûter la propofition, & qu'il n'en fera pas défavoüé; il fait courir un bruit faux des chofes feulement dont il eft chargé, muni d'ailleurs de pouvoirs particuliers, qu'il ne découvre jamais qu'à l'extremité,& dans les momens où il lui feroit pernicieux de ne les pas mettre en ufage.Il tend fur tout par fes intrigues au folide & à l'effentiel, toujours prêt de leur facrifier les minuties & les points d'honneur imaginaires. Il a du flegme, il s'arme de courage & de patience, il ne fe laffe point,il fatigue les autres, & les pouffe jufqu'au découragement; il fe précautionne & s'endurcit contre les lenteurs & les remifes, contre les reproches, les foupçons, les défiances, contre les dificultez & les obftacles, perfuadé que le tems feul & les conjonctures amenent les chofes, & conduifent les efprits au point où on les fouhaite. Il va jufques à feindre un interêt fecret à la rupture de la negociation, lors qu'il defire le plus ardemment qu'elle foit continuée ; & fi au contraire il a des ordres précis de faire les derniers éforts pour la rompre, il croit devoir pour y réüffir en preffer la continuation & la fin. S'il furviét un grand évenement,il fe roidit ou il fe relâche felon qu'il lui eft utile ou préjudiciable; & fi par une grande prudence il fait le prévoir, il preffe &

il temporife felon que l'Etat pour qui il travaille en doit craindre ou efperer,& il regle fur fes befoins fes conditions. Il prend confeil du tems, du lieu, des ocafions, de fa puillance ou de fa foibleffe,du genie des nations avec qui il traite, du temperament & du caractere des perfonnes avec qui il negocie : toutes fes vues, toutes fes maximes, tous les rafinemens de fa politique tendent à une feule fin,qui eft de n'être point trompé, & de tromper les autres.

Le caractere des François demande du ferieux dans le Souverain.

L'un des malheurs du Prince eft d'être fouvent trop plein de fon fecret, par le peril qu'ily a à le répandre; fon bonheur eft de rencontrer une perfonne feure qui l'en décharge.

Il ne manque rien à un Roi que les douceurs d'une vie privée, il ne peut être confolé d'une fi grande perte que par le charme de l'amitié, & par la fidelité de ses amis.

Le plaifir d'un Roi qui merite de l'être,eft de l'être moins quelquefois; de fortir du theatre,de quitter le bas de faie & les brodequins,& de jouer avec une perfonne de confiance un rôle plus familier.

Rien ne fait plus d'honneur au Prince,que la modeftie de fon favori.

¶ Le favori n'a point de fuite; il eft fans engagement & fans liaifon;il peut être entouré de parens & de creatures, mais il n'y tient pas;il est détaché de tout,& comme ifolé.

Je ne doute point qu'un favori s'il a quelque force & quelque élevation, ne fe trouve fouvent confus & déconcerté des bassesses, des petiteffes, de la flaterie, des foins fuperflus & des atentions frivoles de ceux qui le courent, qui le fuivent, & qui s'atachent à lui comme fes viles creatures ; & qu'il ne fe dédommage dans

le particulier d'une fi grande fervitude, par le ris & la moquerie.

Hommes en place, Miniftres, Favoris, me permetrez-vous de le dire,ne vous repofez point. fur vos defcendans pour le foin de vôtre memoire & pour la durée de vôtre nom: les titres paffent,la faveur s'évanouit,les dignitez fe perdent, les richeffes fe diffipent, & le merite dégenere: vous avez des enfans, il eft vrai, dignes de vous, j'ajoûte même capables de foûtenir toute vôtre fortune; mais qui peut vous en promettre autant de vos petits fils? Ne m'en croiez pas,regardez cette unique fois de certains hommes que vous ne regardez jamais,que vous dédaignez;ils ont des aiculs,à qui tout grands que vous êtes, vous ne faites que fucceder. Aiez de la vertu & de l'humanité, & fi vous me dites, qu'aurons-nous de plus ? je vous répondrai, de l'humanité & de la vertu : maîtres alors de l'a venir, & indépendans d'une pofterité, vous êtes feurs de durer autant que la Monarchie;& dans le tems que l'on montrera les ruines de vos Châteaux, & peut-être la feule place où ils étoient conftruits,l'idée de vos loüables actions fera encore fraiche dans l'efprit des peuples, ils confidereront avidement vos portraits & vos medailles,ils diront : cet homme dont vous regardez la peinture a parlé à fon maître avec for ce & avec liberté, & a plus craint de lui nuire que de lui déplaire;il lui a permis d'être bon & bien faifant,de dire de fes villes,ma bonne ville, & de fon Peuple, mon peuple. Cet autre dont Vous voiez l'image, & en qui l'on remarque une phifionomie forte,jointe à un air grave, auftere & majestueux, augmente d'année à autre de reputation; les plus grands politiques foufrent. de lui être comparez: fon grand dessein a été d'afermir l'autorité du Prince & la feureté des

peuples par l'abaiffement des Grands; ni les partis, ni les conjurations, ni les trahifons, ni le peril de la mort, ni fes infirmitez n'ont pû l'en détourner : il a eu du tems de refte, pour entamer un ouvrage, continué enfuite & achevé par l'un de nos plus grands & de nos meilleurs Princes, l'extinction de l'herefie.

Le panneau le plus délié & le plus fpecieux qui dans tous les tems ait été tendu aux Grands par leurs gens d'afaires, & aux Rois par leurs Miniftres, eft la leçon qu'ils leur font de s'aquiter & de s'enrichir. Excellent confeil! maxime utile, fructueufe, une mine d'or, perou, du moins pour ceux qui ont fçu jusqu'à prefent l'infpirer à leurs Maitres.

un

C'est un extrême bonheur pour les Peuples, quand le Prince admet dans fa confiance, & choifit pour le miniftere ceux-mêmes qu'ils auroient voulu lui donner, s'ils en avoient été les maîtres.

¶ La fcience des détails, ou une diligente atention aux moindres befoins de la Republique, eft une partie effentielle au bon gouvernement, trop negligée à la verité dans les derniers tems par les Rois ou par les Miniftres, mais qu'on ne peut trop fouhaiter dans le Souverain qui l'ignore, ni affez eftimer dans celui qui la poffede. Que fert en éfet au bien des peuples, & à la douceur de leurs jours, que le Prince place les bornes de fon empire au-delà des terres de fes ennemis, qu'il faffe de leurs Souverainetez des Provinces de fon Roiaume; qu'il leur foit également fuperieur par les fieges & par les batailles, & qu'ils ne foient devant lui en feureté ni dans les plaines ni dás les plus forts bastions: que les nations s'apeilent les unes les autres, fe liguent ensemble pour se défendre & pour l'arrêter; qu'elles fe liguent en vain, qu'il

marche toujours, & qu'il triomphe toujours: que leurs dernieres efperances foient tombées par le rafermiffement d'une fanté qui donnera au Monarque le plaifir de voir les Princes fes petits-fils foûtenir ou acroître fes destinées, se mettre en campagne, s'emparer de redoutables fortereffes, & conquerir de nouveaux Etats ; commander de vieux & experimentez Capitaines, moins par leur rang & leur naiffance, que par leur genie & leur fageffe; fuivre les traces auguftes de leur victorieux pere,imiter fa bonté, fa docilité, fon équité, fa vigilance, fon intrepidité? que me ferviroit en un mot, comme à tout le peuple,que le Prince fût heureux & comblé de gloire par lui-même & par les fiens, que ma patrie fût puissante & formidable ? si triste & inquiet, j'y vivois dans l'opreffion ou dans Findigence;fi à couvert des courfes de l'ennemi, je me trouvois expofé dans les places ou dans les rues d'une ville au fer d'un affaffin, & que je craigniffe moins dans l'horreur de la nuit d'être pillé ou maffacré dans d'épaiffes forêts, que dans fes carrefours; fi la feureté, l'ordre & la propreté ne rendoient pas le fejour des Villes fi délicieux, & n'y avoient pas amené avec l'abondance, la douceur de la focieté; fi foible & feul de mon parti j'avois à foufrir dans ma metairie du voifinage d'un Grand,& fi l'on avoit moins pourvû à me faire justice de fes entreprises; fi je n'avois pas fous ma main autant de maîtres & d'excellens maîtres pour élever mes enfans dans les fciences ou dans les arts qui feront un jour leur établissement ; par la facilité du commerce il m'étoit moins ordinaire de m'habiller de bonnes étofes, & de me nourrir de viandes faïnes, & de les acheter

peu: fi enfin par les foins du Prince je n'étois pas auffi content de ma fortune, qu'il doit luimême par fes vertus l'etre de la fienne.

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