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Du SOUVERAIN,

Ou

DE LA REPUBLIQUE.

Q de

U AND l'on parcourt fans la prévention de fon païs toutes les formes de gouver nement, l'on ne fait à laquelle fe tenir ; il y a dans toutes le moins bon, & le moins mau-. vais. Ce qu'il y a de plus raifonnable & de plus feur, c'est d'eftimer celle où l'on eft né, la meilleure de toutes, & de s'y foûmettre.

¶ Il ne faut ni art ni science pour exercer la tirannie; & la politique qui ne confifte qu'à répandre le fang eft fort bornée & de nul rafinement ; elle infpire de tuer ceux dont la vie eft un obstacle à notre ambition; un homme né cruel fait cela fans peine. C'eft la maniere la plus horrible & la plus groffiere de fe maintenir, ou de s'agrandir.

C'est une politique feure & ancienne dans les Republiques, que d'y laiffer le peuple s'endormir dans les fêtes, dans les fpectacles, dans le luxe, dans le fafte, dans les plaifirs, dans la vanité & la molleffe; le laiffer fe remplir du vuide, & favourer la bagatelle: quelles grandes démarches ne fait on pas au defpotique par cette indulgence!

Il n'y a point de patrie dans le defpotique, d'autres chofes y fupléent, l'interêt, la gloire, le fervice du Prince.

Quand on veut changer & innover dans une Republique, c'eft moins les chofes que le tems que l'on confidere: il y a des conjonctures où l'on fent bien qu'on ne fauroit trop

tenter contre le peuple; & il y en a d'autres où il eft clair qu'on ne peut trop le ménager. Vous pouvez aujourd'hui ôter à cette Ville fes franchifes, fes droits, fes privileges; mais demain ne fongez pas même à reformer fes enfeignes.

Quand le peuple eft en mouvement, on ne comprend pas par où le calme peut y rentrer, & quand il eft paifible, on ne voit pas par où le calme peut en fortir.

f Il y a de certains maux dans la Republique qui y font fouferts, parce qu'ils préviennent ou empêchent de plus grands maux. Ily a d'autres maux qui font tels feulement par leur établiffement, & qui étant dans leur origine un abus ou un mauvais ufage, font moins pernicieux dans leurs fuites & dans la pratique, qu'une loi plus jufte, ou une coûtume plus raifonnable. L'on voit une efpece de maux que l'on peut corriger par le changement ou la noureauté, qui eft un mal, & fort dangereux. Il y en a d'autres cachez & enfoncez comme des ordures dans un cloaque, je veux dire enfevelis fous la honte, fous le fecret & dans l'obscurité; on ne peut les fouiller & les remüer, qu'ils n'exhalent le poifon & l'infamie : les plus fages doutent quelquefois s'il eft mieux de connoître ces maux, que de les ignorer. L'on tolere quelquefois dans un Etat un affez grand mal, mais qui détourne un million de petits maux, ou d'inconveniens qui tous feroient inévitables & irremediables. Il fe trouve des maux dont chaque particulier gemit, & qui deviennent neanmoins un bien public, quoique le public ne foit autre chofe que tous les parti culiers. Il y a des maux perfonnels, qui concourent au bien & à l'avantage de chaque famille. Il y en a qui afligent, ruinent ou des

honorent les familles, mais qui tendent au bien & à la confervation de la machine de l'état & du gouvernement. D'autres maux renversent des Etats, & fur leurs ruines en élevent de nouveaux. On en a vû enfin qui ont fapé par les fondemens de grands Empires,& qui les ont fait évanouir de deffus la terre, pour varier & renouveller la face de l'Univers.

Qu'importe à l'Etat qu'Ergafte foit riche, qu'il ait des chiens qui arrêtent bien, qu'il crée les modes fur les équipages & fur les habits, qu'il abonde en fuperfluitez? Où il s'agit de Finterêt & des commoditez de tout le public, le particulier eft-il compté? La confolation des peuples dans les chofes qui lui pefent un peu, eft de favoir qu'ils foulagent le Prince, ou qu'ils n'enrichiffent que lui; ils ne fe croient point redevables à Ergafte de l'embelliffement de fa fortune.

La guerre a pour elle l'antiquité, elle a été dans tous les ficcles: on l'a toujours vûë remplir le monde de veuves & d'orphelins, épuifer les familles d'heritiers, & faire perir les freres à une même bataille. Jeune So I ECouR! je regrette ta vertu, ta pudeur, ton efprit déja meur, penetrant, élevé, fociable: je plains cette mort prématurée qui te joint à ton intrepide frere, & t'enleve à une Cour où tu n'as fait que te montrer : malheur déplorable, mais ordinaire! De tout tems les hommes pour quelque morceau de terre de plus nu de moins font convenus entr'eux de fe dépoüiller, fe brûler, fe tuer, s'égorger les uns les autres ; & pour le faire plus ingenieufement & avec plus de feureté, ils ont inventé de belles regles qu'on apelle l'art militaire; ils ont ataché à la pratique de ces regles la gloire, ou la plus folide reputation, & ils ont depuis encheri

de fiecle en fiecle fur la maniere de fe détruire reciproquement. De l'injuftice des premiers hommes comme de fon unique fource eft venuë la guerre; ainfi que la neceffité où ils fe font trouvez de fe donner des maîtres qui fixaflent leurs droits & leurs prétentions: fi content du fien on cût pû s'abftenir du bien de fes voifins, on avoit pour toûjours la paix & la liberté.

Le peuple paifible dans fes foiers, au milieu des fiens, & dans le fein d'une grande Ville où il n'a rien à craindre ni pour fes biens, ni pour fa vie, refpire le feu & le fang, s'ocupe de guerres, de ruines, d'embrafemens & de maffacres foufre impatiemment que des armées qui tiennent la campagne, ne viennent point à fe rencontrer, ou fi elles font une fois en prefence, qu'elles ne combattent point, ou fi elles fe mêlent, que le combat ne foit pas fanglant, & qu'il y ait moins de dix mille hommes fur la place: il va même fouvent jufques à oublier fes interêts les plus chers, le repos & la feureté, par l'amour qu'il a pour le changement, & par le goût de la nouveauté, ou des chofes extraordinaires : quelques-uns confentiroient à voir une autre fois les ennemis aux portes de Dijon ou de Corbie, à voir tendre des chaines, & faire des barricades, pour le feul plaifir d'en dire ou d'en aprendre la nouvelle.

Demophile à ma droite fe lamente & s'écrie, tout eft perdu, c'eft fait de l'Etat, il eft du moins fur le penchant de fa ruine. Comment refifter à une fi forte & fi generale conjuration? quel moien, je ne dis pas d'être fuperieur, mais de fufire feul à tant & de fi puiflans ennemis cela eft fans exemple dans la Monarchie. Un Heros, un ACHILLES y fuccomberoit. On a fait, ajoûte-t'il, de lourdes fautes; je fai

:

bien ce que je dis, je fuis du métier, j'ai vu la guerre, & l'hiftoire m'en a beaucoup apris. Il parle là deffus avec admiration d'Olivier le Diam & de Jacques Cœur, c'étoient là des hommes, dit-il, c'étoient des Miniftres. II debite fes nouvelles, qui font toutes les plus triftes & les plus defavantageufes que l'on pour roit feindre tantôt un parti des notres a été atiré dans une embuscade, & taillé en pieces; tantôt quelques troupes renfermées dans un Château fe font rendues aux ennemis à difcretion & ont paffé par le fil de l'épée ; & fi vous lui dites que ce bruit eft faux & qu'il ne fe confirme point, il ne vous écoute pas, il ajoûte qu'un tel General a été tué; & bien qu'il foit vrai qu'il n'a reçû qu'une legere bleffure, & que vous l'en affuriez, il déplore fa mort, il plaint fa veuve, fes enfans, l'état, il fe plaint lui-même, il a perdu un bon ami, & une grande protection. Il dit que la Cavalerie Allemande eft invincible; il pâlit au feul nom des Cuiraffiers de l'Empereur. Si l'on ataque cette pla ce, continue-t'il, on levera le fiege. Ou l'on demeurera fur la défenfive fans livrer de combat, ou fi on le livre, on le doit perdre ; & fi on le perd, voilà l'ennemi fur la frontiere ; & comme Demophile le fait voler, le voilà dans le cœur du Roiaume; il entend déja fonner le beffroi des Villes, & crier à l'alarme il fonge à fon bien & à fes terres; où conduira-t'il fon argent, fes meubles, fa famille ? où fe refugieratil, en Suiffe ou à Venife?

Mais à ma gauche Bafilide met tout d'un coup fur pied une armée de trois cens mille hommes, il n'en rabatroit pas une feule brigade: il a la lifte des efcadrons & des bataillons des generaux & des oficiers, il n'oublie pas l'artillerie ni le bagage. Il difpofe abfolument

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