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On fe nourrit des Anciens & des habiles Modernes, on les preffe, on en tire le plus que l'on peut, on en renfle fes ouvrages; & quand enfin l'on eft Auteur, & que l'on croit marcher tout feul, on s'éleve contre eux on les maltraite, femblable à ces enfans drus & forts d'un bon dait qu'ils ont fuccé,qui battent leur nourrice.

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Un Auteur moderne prouve ordinairement que les Anciens nous font inferieurs en deur manieres, par raifon & par exemple; il tire la raifon de fon goût particulier, & l'exemple de fes ouvrages.

Il avoue que les Anciens, quelque inégaux & peu corrects qu'ils foient, ont de beaux traits, il les cite, & ils font fi beaux qu'ils font lire fa critique.

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Quelques habiles prononcent en faveur des Anciens contre les Modernes, mais ils font fufpects, & femblent juger en leur propre caufe, tant leurs ouvrages font faits fur le goût de l'antiquité on les recufe.

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¶ L'on devroit aimer à faire lire fes ouvrages. à ceux qui en favent affez pour les corriger & les eftimer.

Ne vouloir être ni confeillé ni corrigé fur fon ouvrage, eft un pedantifme.

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Il faut qu'un Auteur reçoive avec une égale modeftie les éloges & la critique que l'on fait de. fes ouvrages.

Entre toutes les diferentes expreffions que peuvent rendre une feule de nos pensées, il n'y. en a qu'une qui foit la bonne ; on ne la rencontre pas toûjours en parlant, ou en écrivant : il eft vrai neanmoins qu'elle exifte, que tout ce qui ne l'eft point est foible, & ne fatisfait point un homme d'efprit qui veut fe faire entendre.

Un bon Auteur, & qui écrit avec foin, éprouve.:

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fouvent que l'expreffion qu'il cherchoit depuis
long-tems fans la connoître, & qu'il a enfia
trouvée, est celle qui étoit la plus fimple
plus naturelle, qui fembloit devoir fe prefenter
d'abord & fans éfort.

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Ceux qui écrivent par humeur, font fujets à retoucher à leurs ouvrages; comme elle n'eft pas =toûjours fixe, & qu'elle varie en eux felon les ocafions, ils fe refroidiffent bien-tôt pour les expreffions & les termes qu'ils ont le plus aimez.

La même jufteffe d'efprit qui nous fait écrire des bonnes chofes, nous fait aprehender qu'elles ne le foient pas allez pour meriter d'être lues.

Un efprit mediocre croit écrire divinement;un bon efprit croit écrire raisonnablement.

L'on m'a engagé, dit Arifie, à lire mes. ouvrages à Zoile, je l'ai fait, ils l'ont faifi d'abord, & avant qu'il ait eu le loifir de les trouver mauvais, il les a loüez modeftement en ma prefence, & il ne les a pas loüez depuis devant perfonne : je l'excufe & je n'en demande pas davantage à un Auteur, je le plains même d'avoir écouté de belles chofes qu'il n'a point faites.

Ceux qui par leur condition fe trouvent exempts de la jaloufie d'Auteur, ont ou des paffions, ou des befoins qui les diftraient & les rendent froids fur les conceptions d'autrui : perfonne prefque par la difpofition de fon efprit, de fon cœur & de fa fortune, n'est en état de fe livrer au plaifir que donne la perfection d'un a ouvrage.

Le plaifir de la crítique nous ôte celui d'être vivement touchez de tres-belles chofes,

¶ Bien des gens vont jufques à fentir le merite d'un manufcrit qu'on leur lit, qui ne peuvent fe déclarer en få faveur, jufques à ce qu'ils

aient vû le cours qu'il aura dans le monde par Fimpreffion, ou quel fera fon fort parmi les habiles : ils ne hazardent point leurs fufrages, & ils veulent être portez par la foule & entraînez par la multitude; ils difent alors qu'ils ont les premiers aprouvé cet ouvrage, & que le public eft de leur avis.

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Ces gens laiffent échaper les plus belles ocafions de nous convaincre qu'ils ont de la capacité & des lumieres, qu'ils favent juger, trouver bon ce qui eft bon, & meilleur ce qui eft meilleur. Un bel ouvrage tombe chrte feurs mains, c'eft un premier ouvrage, l'Auteur heeft pas encore fait un grand nom,il n'a rien qui prévienne en fa faveur; il ne s'agit point de faire fa cour ou de flater les Grands en aplaudiffant à ses

écrits: on ne vous vous récrier, Ceft un chef-d'œuvre de l'efprit: Cimahide pås; Zelotes, de l'humanité ne va pas plus loin: c'eft jusqu'où la parole humaine peut s'élever on ne jugera à l'avenir du goût de quelqu'un qu'à proportion qu'il en aura pour cette piece; phrafes outrées, dégoûtantes, qui fentent la penfion où l'abaie ; nuiffbles à cela même qui eft louable & qu'on veut, louer que ne difiez-vous feulement Voilà un bon livre; vous le dites, il eft vrai, avec toute la France, avec les Etrangers comme avec vos. Compatriotes, quand il eft imprimé par toute. l'Europe, & qu'il eft traduit en plufieurs langues; il n'est plus tems.

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Quelques-uns de ceux qui ont lû un ouvrage en raportent certains traits dont ils n'ont pas compris le fens, & qu'ils alterent encore par tout ce qu'ils y mettent du leur; & ces traits amfi corrompus & défigurez, qui ne font autre chofe que leurs propres penfées & leurs expreffions, ils les expofent à la cenfure, foûtiennent,

qu'ils

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qu'ils font mauvais, & tout le monde convient qu'ils font mauvais mais l'endroit de l'ouvrage que ces critiques croient citer, qu'en éfet ils ne citent point, n'en eft pas pire.

Que dites-vous du livre d'Hermodore? qu'il eft mauvais, répond Anthime; qu'il eft mauvais t qu'il eft tel, continue-t-il, que ce n'est pas un livre, ou qui merite du moins que le monde en parle Mais l'avez-vous lû? Non, dit Anthime, que n'ajoute-t-il qué Fulvie & Melanie l'ont condamné fans l'avoir lû, & qu'il est ami de Fulvie & de Melanie.

Arfene du plus haut de fon efprit contemple les hommes, & dans l'éloignement d'où il les voit, il est comme éfraié de leur petiteffe : loué, exalté, & porté jufqu'aux cieux par de certaines gens qui fe font promis de s'admirer reciproquement, il croit avec quelque merite qu'il a, poffeder tout celui qu'on peut avoir, & qu'il n'aura jamais ocupé & rempli de fes fublimes idées, il fe donne à peine le loifir de prononcer quelques oracles: élevé par fon caractere au deffus des jugemens humains, il abandonne aux ames communes le merite d'une vie fuivie & uniforme, & il n'eft refponfable de fes inconftances qu'à ce cercle d'amis qui les idolâtrent, eux feuls favent juger, favent penfer, favent écrire, doivent écri re; il n'y a point d'autre ouvrage d'efprit fi bien reçû dans le monde, & fi univerfellement goûté des honnêtes gens, je ne dis pas qu'il veuille aprouver, mais qu'il daigne lire; incapable d'être corrigé par cette peinture qu'il ne lira point.

¶ Theocrine fait des chofes affez inutiles, il a des fentimens toujours finguliers; il eft moins profond que metodique, il n'exerce que fa memoire;il eft abftrait, dédaigneux,& il femble toujours rire en lui même de ceux qu'il croit ne le

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valoir pas : le hazard fait que je lui lis mon ouvrage;il l'écoute; en-il lû, il me parle du fien : & du vôtre, me direz-vous, qu'en penfe-t-il? je vous l'ai dé a dit, il me parle du fien.

Il n'y a point d'ouvrage fi acompli qui ne fondit tout entier au milieu de la critique, fi son auteur vouloit en croire tous les cenfeurs, qui ôtent chacun l'endroit qui leur plaît le moins.

C'eft une experience faite, que s'il fe trouve dix perfonnes qui éfacent d'un livre une expreffion ou un fentiment, l'on en fournit aifément un pareil nombre qui les reclame : ceuxci s'écrient, pourquoi fuprimer cette pensée ? elle eft neuve, elle eft belle, & le tour en eft admirable; & ceux-là afirment au contraire, ou qu'ils auroient negligé cette penfée, ou qu'ils lui auroient donné un autre tour. Il y a un terme, difent les uns, dans votre ouvrage, qui eft rencontré, & qui peint la chofe au naturel; il y a un mot, difent les autres, qui eft hazardé, & qui d'ailleurs ne fignifie pas affez ce que vous voulez peut-être faire entendre: & c'eft du même trait & du même mot que tous ces gens s'expliquent ainfi ; & tous font connoiffeurs & paflent pour tels. Quel autre parti pour un Auteur, que d'ofer pour lors être de l'avis de ceux qui l'aprouvent?

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Un Auteur ferieux n'eft pas obligé de remplir fon efprit de toutes les extravagances, toutes les faletez, de tous les mauvais mots que l'on dire peut & de toutes les ineptes aplications que l'on peut faire au fujet de quelques endroits de fon ouvrage, & encore moins de les fuprimer; il eft convaincu que quelque fcrupuleufe exactitude que l'on ait dans fa maniere d'écrire, la raillerie froide des mauvais plaifans eft un mal inévi

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