mauvaise augure: 1 Une autrefois dans le Temple & en faifant des libations, 2 il lui échapera des mains une coupe ou quelque autre vase, & il rira enfuite de cette avanture, comme s'il avoit fait quelque chofe de merveilleux. Un homme si extraordinaire ne fait point écouter un concert d'excellens joueurs de flûtes, il bat des mains avec violence comme pour leur aplaudir,ou bien il fuit d'une voix défagreable le même air qu'ils joüent; il s'ennuie de la fimphonie,& demande si elle ne doit pas bien-tôt finir. Enfin fi étant affis à table, il veut cracher, c'est justement fur celui qui eft derriere lui pour donner à boire.

1 Les Anciens avoient un grand égard pour les paroles qui étoient proferées, méme par hazard, par ceux qui venoient confulter les Devins & les Augures, prier ou facrifier dans les Temples.

2 Ceremonies où l'on répandoit du vin ou du lait dans les facrifices.

C

D'un homme incommode.

E qu'on apelle un fâcheux, eft celui qui fans faire à quelqu'un un fort grand tort,ne laiffe pas de l'embaraffer beaucoup ; qui entrant dans la chambre de fon ami qui commence à s'endormir, le reveille pour l'entretenir de vains difcours ; qui fe trouvant fur le bord de la mer, fur le point qu'un homme eft prêt de partir de mon-> ter dans fon vaiffeau,l'arrête fans nal befoin, l'engage infenfiblement à fe promener avec lui fur le rivage; qui arrachant un petit enfant du fein de fa nourrice pendant qu'il tette, lui fait avaler quelque chofe qu'il a mâché, bat des mains devant lui, le careffe, & lui parle d'une voix contrefaite; qui choifit le tems du repas, & que le po

tage eft fur la table, pour dire qu'aiant pris medecine depuis deux jours, il eft alé par haut & par bas, & qu'une bile noire & recuite étoit mêlée dans fes dejections; qui devant toute une af femblée s'avife de demander à fa mere quel jour elle a acouché de lui; qui ne fachant que dire, aprend que l'eau de fa cifterne eft fraîche, qu'il croît dans fon jardin de bonnes legumes, ou que fa maison eft ouverte à tout le monde comme une hôtellerie; qui s'empreffe de faire connoître à fes hôtes un parafite qu'il a chez lui,qui l'invite à table à fe mettre en bonne humeur, & à réjouïr la compagnie.

*Mot grec qui fignifie celui qui ne mange que chez les autres.

De la fotte vanité.

A fotte vanité femble être une passion

Linquiete de le faire valoir par les plus petites chofes, ou de chercher dans les plus frivoles du nom & de la diftinction. Ainfi un homme vain, s'il fe trouve à un repas, afecte toujours de s'affeoir proche de celui qui l'a convié: il confacre à Apollon la chevelure d'un fils qui lui vient de naître ; & dés qu'il eft parvenu à l'âge de puberté, il le conduit lui-même à Delphes, * lui coupe les cheveux, & les dépofe dans le Temple comme un monument d'un væru folemnel qu'il a acompli: il aime à fe faire fuivre par un More ; s'il fait un paiement, il afecte que ce foit dans une monnoie toute neuve, & qui ne vienne que i

* Le peuple d'Athenes ou les perfonnes plus modeftes fe contentoient d'affembler leurs farens, de couper en leur prefence les cheveux de leur fils parvenu à l'âge de puberté, & de le confacrer enfuite à Hercule ou à quelque autre divinité qui avoit un Temple dans la Ville.

d'être frapée. Aprés qu'il a immolé un bœuf deVant quelque Autel, il fe fait referver la peau du front de cet animal, il l'orne de rubans & de fleurs, & l'atache à l'endroit de fa maifon le plus expofé à la vûe de ceux qui paffent, afin que perfonne du peuple n'ignore qu'il a facrine un bœuf. Une autrefois au retour d'une cavalcade qu'il aura faite avec d'autres citoiens, il renvoic chez foi par un valet tout fon équipage, & ne garde qu'une riche robe dont il eft habillé, & qu'il traîne le refte du jour dans la place publique s'il lui meurt un petit chien, il l'enterre, lui dreffe un épitaphe avec ces mots, Il étoit de race de Malte. Il confacre un anneau à Efculape, qu'il ufe à force d'y pendre des couronnes de feurs: Il fe parfume tous les jours. Il remplit avec un grand fafte tout le tems de fa Magistrature, & fortant de charge, il rend compte au peuple avec oftentation des facrifices qu'il a faits, comme du nombre & de la qualité des victimes qu'il a immolées. Alors revêtu d'une robe blanche & couronné de fleurs, il paroît dans l'affemblée du peuple; Nous pouvons, dit-il, vous affu rer, ô Atheniens, que pendant le tems de nôtre gouvernement nous avons facrifié à Cibele, & que nous lui avons rendu des honneurs tels que merite de nous la mere des Dieux; efperez done toutes chofes heureufes de cette Deelle: Aprés avoir parlé ainsi, il fe retire dans fa maifon, où il fait un long recit à fa femme de la maniere dont tout lui a réüffi au delà méme de fes fou haits.

les

* Cette Ifle portoit de petits chiens fort estimez,

E vice eft dans l'homme un oubli de l'honneur & de la gloire, quand il s'agit d'éviter la moindre dépenfe. Si un homme a remporté le prix de la tragedie, il confacre à Bachus des guirlandes ou des bandelettes faites d'écorce de bois, & il fait graver fon nom fur un prefent fi magnifique. Quelquefois dans les tems dificiles, le peuple eft obligé de s'affembler pour regler une Contribution capable de fubvenir aux befoins de la Republique; alors il fe leve & garde le filence, 2 ou le plus fouvent-il fend la preffe & fe retire. Lorfqu'il marie fa fille, & qu'il facrifie felon la coûtume, il p'abandonne de la victime que les parties 3 feules qui doivent être brûlées fur l'Autel, il referve les autres pour les vendre, & com me il manque de domestiques pour fervir à table & être chargez du foin des nôces, il louë des gens pour tout le tems de la fête qui fe nourriffent à leurs dépens, & à qui il donne une certaine fomme. S'il eft Capitaine de Galere, voulant ménager fon lit, il fe contente de coucher.indiferemment avec les autres fur de la natte qu'il emprunte de fon Pilote. Vous verrez une autre fois cet homme fordide acheter en plein marché des viandes cuites, toutes fortes d'herbes, & les porter hardiment dans fon fein & dans fa robe : s'il l'a un jour envoiée chez le Teinturier pour la détacher, comme il n'en a pas une feconde pour fortir, il eft obligé de garder la chambre. II fait éviter dans la place la rencontre d'un ami 1 Qu'il a faite ou recitée.

2 Ceux qui vouloient donner fe levoient & offroient une fomme; ceux qui ne vouloient rien donner fe levoient fe taifoient.

3 C'étoit les cuiffes i les intestins.

pauvre qui pourroit lui demander ✶ comme aux autres quelque fecours, il fe détourne de lui, & reprend le chemin de fa maison : il ne donne point de fervantes à fa femme, content de lui en louer quelques-unes pour l'acompagner à la ville toutes les fois qu'elle fort. Enfin ne penfez pas.. que ce foit un autre que lui qui ballie le matin fa chambre, qui faffe fon lit & le nettoie. Il faut ajoûter qu'il porte un manteau ufé, fale & tout couvert de taches, qu'en aiant honte lui-même, il le retourne quand il eft obligé d'aller tenir fa place dans quelque affemblée.

* Par forme de contribution. V. les chap. de la Diffimulation & de l'Esprit chagrin.

De l'Oftentation.

E n'eftime pas que l'on puiffe donner une idée plus jufte de l'oftcntation, qu'en difant que c'eft dans l'homme une paffion de faire montre d'un bien ou des avantages qu'il n'a pas. Celui en qui elle domine s'arrête dans l'endroit du Pirée. i où les Marchands étalent, & où fe trouve un plus grand nombre d'étrangers; il entre en ma tiere avec eux, il leur dit qu'il a beaucoup d'ar-gent fur la mer, il difcourt avec eux des avantages de ce commerce, des gains immenfes qu'ilya à efperer pour ceux qui y entrent,& de ceux fur tout que lui qui leur parle y a faits. Il aborde dans un voiage le premier qu'il trouve fur fon. chemin, lui fait compagnie, & lui dit bien-tôt. qu'il a fervi fous Alexandre, quels beaux vafes & tout enrichis de pierreries il a raporté de l'Asic, quels excellens ouvriers s'y rencontrent, & com-bien ceux de l'Europe leur font inferieurs.2. Il fe vante dans une autre ocafion d'une lettre qu'il a I Port à Athenes fort celebre.

2. C'étoit contre l'opinion commune de toute la

Grece.