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annoncé l'importance et la possibilité d'une semblable machine: La construction, dit-il dans ses excellentes lettres à la princesse Amélie de Prusse, ❝ la construction d'une machine propre à exprimer "tous les sons de nos paroles avec toutes les arti"culations, serait sans doute une découverte bien "importante. Si l'on réussissait à l'exécuter, et "qu'on fût en état de lui faire prononcer toutes les "paroles par le moyen de certaines touches, comme "d'un orgue ou d'un clavecin, tout le monde serait "surpris avec raison d'entendre prononcer à une "machine des discours entiers ou des sermons, qu'il "serait possible d'accompagner avec la meilleure

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grâce. Les prédicateurs et les orateurs dont la "voix n'est pas assez forte et agréable pourraient jouer leurs sermons et leurs discours sur cette ma"chine comme des organistes des pièce sde musique. "La chose ne me paraît pas impossible."

Nous sommes sur le point de perdre MM. d'Alembert et Diderot; le premier, d'un marasme joint à une maladie de vessie, le second d'une hydropisie. Il est bien singulier que deux hommes qui ont donné ensemble le ton à leur siècle, qui ont élevé ensemble l'édifice d'un ouvrage qui leur assure l'immortalité, semblent se réunir encore pour descendre dans le tombeau. M. le marquis de Condorcet, qui rend à M. d'Alembert les devoirs qu'un père pourrait attendre d'un fils, est secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, et dans ce moment direc

teur de l'Académie française; M. d'Alembert, en le chargeant de ses dernières dispositions (il le fait son légataire universel), lui dit en riant, malgré ses douleurs: Mon ami, vous ferez mon éloge dans les deux Académies; vous n'avez pas de temps à perdre pour cette double besogne.

On recueille avec un intérêt mêlé de respect les dernières paroles d'un philosophe mourant; elles deviennent plus précieuses encore quand elles nous peignent la tranquillité de son âme dans ces derniers instans. Nous avons cru devoir les transcrire.

On ne devait pas s'attendre, après les ordres qui avaient arrêté et défendu si sévèrement la représentation du Mariage de Figaro, qu'il fut possible de voir un jour cet ouvrage sur le théâtre français; l'auteur seul n'en a pas désespéré, et il y a lieu de penser aujourd'hui qu'il a eu raison. On a fait naître à M. le comte de Vaudreuil le désir de voir jouer, à sa campagne de Genevilliers, les fameuses Noces; il l'a proposé à l'auteur, qui lui a représenté que les défenses de laisser jouer un ouvrage si innocent avaient élevé contre sa comédie un soupçon d'immoralité qui ne lui permettait d'en souffrir la représentation, quelque part que ce pût être, que lorsque l'approbation d'un censeur l'aurait lavée de cette tache. On a choisi pour censeur M. Gaillard, de l'Académie française; la pièce approu vée, grâce à quelques changemens, a été jouéechez M. de Vaudreuil. Outre les corrections et les

adoucissemens exigés par M. Gaillard, on en a proposé de plus considérables encore, à la faveur des-. quels on assure que le public jouira bientôt de cette comédie; mais ce qui en avait fait arrêter la représentation n'était pas malheureusement la partie la moins piquante de l'ouvrage.

Discours du comte de Lally-Tolendal dans l'interrogatoire qu'il a prété au Parlement de Dijon, en qualité de curateur à la mémoire du comte de Lally son père, le samedi 16 Août 1783. M. de Lally-Tolendal, curateur à la mémoire de son père, dont la cause avait été renvoyée au Parlement de Dijon, y a vu confirmer l'arrêt du Parlement de Paris, qui condamna le comte de Lally à perdre la tête et ses Mémoires à être brûlés par la main du bourreau. Le Discours qu'il a prononcé sur la sellette (forme à laquelle on astreint le défenseur d'un homme condamné) est écrit avec une éloquence rare, que l'on trouve difficilement dans le barreau, et qui fait le plus grand honneur à l'âme et au génie de ce jeune militaire. Nous en transcrirons l'exorde comme un modèle dans ce genre.

"Messieurs, si jamais j'ai eu besoin de votre indulgence, de vos vertus, de votre humanité, c'est surtout aujourd'hui que je les appelle à mon secours. Frappé d'une crainte religieuse en entrant dans ce sanctuaire, saisi par la majesté du lieu, par le respect dû à cette auguste assemblée; le dirai-je, Messieurs? accablé depuis hier d'un deuil public que j'ai par

TOME III.

G

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ticulièrement ressenti (1), et qui a porté la consternation dans vos âmes comme dans la mienne, mille tourmens à-la-fois viennent encore fondre sur moi dans ce moment. Toutes mes douleurs se renouvellent, toutes mes plaies se rouvrent ; cet instant m'en rappelle un autre affreux, déchirant... Je crois voir mon malheureux père, je le vois, Messieurs, s'avançant à ce dernier interrogatoire qui a été le commencement de son long supplice; je le vois dépouillé des marques glorieuses qu'il avait achetées par son sang, se soulevant à l'aspect du siège infâme qui lui est réservé, découvrant sa tête blanchie, montrant à ses juges son sein couvert de cicatrices et demandant si c'est là la récompense de cinquante ans de service... Ah! Messieurs, si quelque erreur allait m'échapper, si le zèle m'emportait, par justice, par pitié, n'imputez point à crime l'égarement de la douleur et les transports de la nature. Qu'il me soit permis de me réfugier au fond de vos entrailles; là j'ai une sauvegarde, là retentiront les noms sacrés dont j'ai les droits à venger et les devoirs à remplir. S'il était possible que le juge se sentit soulever contre moi, alors, Messieurs, que le fils se rappelle son père, que le père songe à ses enfans, et vous me pardonnerez, vous me plaindrez, vous mé chérirez peut-être. La justice m'a ravi mon père; je lui en demande un autre ; j'en vois un dans chaque magistrat qui m'écoute. Cette idée mêle un peu de douceur à l'amertume qui me dévore; elle me rend un peu de force, et je m'écrie en tendant les bras

(1) La mort de madame Vogué.

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vers chacun de vous: "Mon père, soutenez-moi dans la défense de celui que m'avait donné la nature, le vœu de la nature ne peut jamais être en contradiction avec le vœu de la loi."

L'Europe savante vient de perdre M. d'Alemhert; la philosophie, les sciences et les lettres regretteront long-temps cet homme célèbre. Nous nous bornerons dans cet instant à recueillir quelques circonstances de ses derniers momens, et nous y joindrons l'espèce d'éloge qu'en a fait M. le marquis de Condorcet à l'ouverture de la séance publique de l'Académie des Sciences.

M. d'Alembert est mort, le 29 Octobre, âgé de près de soixante-six ans, d'un marasme, suite des douleurs occasionnées par la pierre qu'on lui a trouvée dans la vessie; elle était assez considérable, mais non adhérente. Il n'avait jamais voulu permettre qu'on le sondât, déterminé à ne pas souffrir une opération qui seule eût pu le conserver à la vie; il redoutait de s'assurer de la cause de ses souffrances, et le nom seul de lithotome le faisait frémir. On a quelque peine à pardonner au coryphée des philosophes d'avoir montré si peu de fermeté, lorsqu'un pauvre archevêque de quatre-vingts ans lui en avait donné un si bel exemple (1); mais cette disposition tient moins sans doute an caractère

(1) M. Christophe de Beaumont, taillé très-heureusement à 80 ans passés.

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