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lorsque son travail se trouva trop avancé pour qu'il fût possible de rectifier cette petite négligence. Lorsque l'automate a un coup à jouer, son bras se lève lentement, mais avec aisance, même avec une sorte de grâce, et se dirige sur la case de l'échiquier où se trouve la pièce qu'il faut mouvoir; sa main se porte sur cette pièce, ses doigts s'ouvrent pour la saisir, la prennent, la transportent et la posent à la place qui lui est destinée; la pièce posée, le bras se retire et se repose sur son coussin. Lorsqu'il est question de prendre une des pièces de son adversaire, il fait les mêmes mouvemens pour s'en saisir, la placer hors de l'échiquier, etc. A chaque coup qu'il joue, on entend un bruit sourd des rouages à-peuprès comme celui d'une pendule à répétition; ce bruit cesse lorsque le coup est fini et que le bras de l'automate se retrouve sur le coussin, et ce n'est qu'alors que son adversaire peut recommencer un nouveau coup. A chaque coup de l'adversaire il remue la tête, et semble parcourir des yeux tout l'échiquier. En donnant échec à la Reine, il incline la tête deux fois, il l'incline trois fois en donnant échec au roi. Fait-on une fausse marche, il branle la tête, répare la faute, et continue à jouer son coup. On a grand soin de recommander aux personnes qui entreprennent de jouer contre l'automate d'avoir l'attention de placer les pièces juste au milieu des cases, de peur que sa main ne porte à faux et ne souffre du dommage, si l'un ou l'autre de ses doigts se trouvait appuyé sur la pièce au lieu de

la saisir par le côté. La machine ne peut jouer que dix ou douze conps sans être remontée.

Lorsque tous les échecs sont enlevés, un des spectateurs place un cavalier à volonté sur une case quelconque; l'automate y porte aussitôt la main, et lui fait parcourir, en partant de cette case et en observant exactement la marche du cavalier, les soixante-quatre cases de l'échiquier sans en manquer une, et sans revenir deux fois à la même, ce qui se vérifie par les jetons que l'un des spectateurs place lui-même sur chaque case qu'a touchée le cavalier, en observant de mettre un jeton blanc sur celle d'où il part, et des jetons rouges sur toutes celles qu'il parcourt ensuite successivement. Philidor luimême tenterait peut-être ce tour sans succès.

La partie d'échecs finie, on place sur l'échiquier la tablette dont nous avons parlé au commencement de notre description. L'automate satisfait aux questions de l'assemblée, en portant le doigt successivement sur les différentes lettres né-> cessaires pour énoncer ses réponses.

Nos plus grands physiciens, nos plus habiles mécaniciens n'ont pas été plus heureux que ceux d'Allemagne à découvrir l'agent employé à diriger les mouvemens de l'automate. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on n'aperçoit aucune trace sensible de la manière dont l'inventeur influe sur la machine, et ce qui ne l'est sûrement pas moins, c'est que la machine ne saurait exécuter une si grande multitude de mouvemens différens, dont la détermination ne

pouvait étre prévue d'avance, sans être soumise à l'influence continuelle d'un être intelligent. On n'a pas manqué ici comme ailleurs d'attribuer ce nouveau prodige aux merveilles du magnétisme; mais, pour détruire ce soupçon, M. de Kempelen permet à qui voudra l'essayer, de placer sur la machine l'aimant le plus fort et le mieux monté, sans craindre le mécanisme de cette étonnante machine puisse en souffrir la moindre altération.

que

M. de Vindisch raconte qu'en 1769 M. de Kempelen se trouvant à Vienne pour des objets relatifs à son service (1), il fut mandé à la Cour pour assister comme connaisseur à quelques jeux magnétiques qu'un Français, nommé Pelletier, devait produire en présence de feu Sa Majesté l'Impératrice; que l'entretien familier que cette auguste souveraine daigna avoir avec M. de Kempelen pendant ces jeux ayant entraîné ce dernier à laisser échapper le propos qu'il se croirait en état de faire une machine dont les effets seraient bien plus surprenans et l'illusion bien plus complète que dans tout ce que S. M. venait de voir, elle saisit aussitôt cette ouverture, et lui témoigna un désir si vif de voir cette idée se réaliser, qu'elle lui fit promettre de s'en occuper sans délai; qu'il tint parole, et compléta, dans l'espace de six mois, l'exécution entière de la machine qu'on vient de décrire, machine qui est pour l'esprit et les

(1) M. Wolfang de Kempelen, âgé de 46 ans, est gentilhomme hongrois et conseiller aulique de la chambre royale des domaines de Hongrie.

yeux ce qu'est pour l'oreille le Joueur de Flûte de M. de Vaucanson, mais qui nous paraît à tous égards bien supérieure; car, en supposant même que l'agent secret de M. de Kempelen une fois connu, on ne soit plus surpris de l'adresse avec laquelle il en dirige tous les mouvemens, que d'admiration ne devra-t-on pas encore au mécanisme qui exécute, à la volonté de l'inventeur, dix-sept à dix-huit cents mouvemens différens, tous déterminés avec la plus grande justesse, sans aucune confusion, sans le moindre embarras, et avec toutes les apparences de la plus extrême facilité! L'automate n'est qu'un joueur de la troisième ou de la quatrième classe. On demandait au sieur Bernard, le plus digne émule de Philidor, devant une compagnie nombreuse dont était le marquis de Ximenès: De quelle force, M. Bernard, trouvez-vous l'automate ? L'automate est de la force de M. le Marquis. M. de Ximenès a paru piqué de la comparaison, et l'épigramme, faite sans le vouloir, n'a pas manqué de courir toute la ville.

Une machine plus merveilleuse, plus étonnante encore que le Joueur d'Echecs, est une machine qui parle, et c'est des moyens de la perfectionner que M. de Kempelen s'occupe depuis quelques années. Telle qu'elle est aujourd'hui, la machine répond déjà très-clairement à plusieurs questions; la voix en est agréable et douce; il n'y a que l'R qu'elle prononce en grasseyant et avec un certain ronflement pénible. Lorsqu'on n'a pas bien compris sa

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réponse, elle la répète de nouveau, mais avec le ton d'une humeur et d'une impatience enfantine. Nous lui avons entendu prononcer fort distinctement, en différentes langues, les mots et les phrases que voici : Papa, maman, ma femme, mon mari, à propos, Marianna, Roma, Madame, la Reine, le Roi, à Paris, allons, Abraham; maman, aimez-moi; ma femme st mon amie, etc. Cette machine n'a encore que la fo me d'une petite caisse, de la grandeur d'une cage moyenne, et couverte d'un rideau ; à l'un des côtés tie t un soufflet d'orgue, et à chaque réponse l'inviteur est obligé de passer la main sous le rideau

ur en faire jouer les différens ressorts et les différens clapets, suivant les mots que la machine doit articuler. Lorsqu'il l'aura portée au degré de perfection dont il la croit susceptible, il se propose de lui donner pour revêtement extérieur la figure d'un enfant de cinq à six ans, les sons qu'elle produit étant fort analogues à la voix de cet âge. M. de Kempelen lui-même ne regarde cette machine que comme une ébauche, et il est bien loin de la croire ou de l'annoncer comme achevée. M. l'abbé M*** (nous ignorons quelles raisons l'obligent à garder encore l'anonyme) est parvenu à construire aussi quelques têtes parlantes qui prononcent des phrases entières composées de plusieurs mots; mais leur prononciation n'est pas à beaucoup près aussi nette, aussi distincte que celle de la machine de M. de Kempelen.

Il y a long-temps que le célèbre Euler avait

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