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public ne l'ignorerait pas long-temps; et l'abbé Delille n'aura pas été trop fâché sans doute d'avoir trouvé, sans la chercher, une réponse si chrétienne au vers de la fable du Chou et du Navet.

Ma feuille t'a nourri, mon ombre t'a vu naître.

Pour occuper la séance, nos Quarante immortels ont été réduits à évoquer les mânes de leurs confrères. M. le marquis de Condorcet a lu un Eloge historique de Fontenelle, composé de fragmens trouvés dans le porte-feuille de feu M. Duclos, retouchés et rédigés par lui. Cet éloge, quoique semé d'idées et d'anecdotes piquantes, a paru long; la plupart de ces anecdotes étaient déjà fort connues. En voici une que nous ne nous rappelons pas d'avoir vue ailleurs. On parlait devant M. de Fontenelle du projet de réunir l'église presbytérienne et l'église anglicane: Ce projet, dit-il, ne réussira pas, ce sont des ennemies qui ne se réconcilieront qu'à la mort.

M. Lemierre a terminé la séance par la lecture du premier acte de sa tragédie de Barnevelt ; cet acte a beaucoup mieux réussi que celui qu'il lut le jour de sa réception on y a trouvé des idées fortes et brillantes, des vers pleins de chaleur et d'énergie; les portraits de Henri IV et de Philippe II ont été applaudis avec enthousiasme. Ces portraits sont dans la bouche de Barnevelt :

Quand des rives du Tage aux rives de la Seine
Philippe encourageait une ligue inhumaine,
Quand il payait les Seize et leurs noires fureurs
Du même or que jadis, parmi d'autres horreurs,

La même violence aveugle et fanatique
Avait couru ravir aux peuples du Mexique,
Des Harlay, des Potier fascina-t-il les yeux?
Ils ne virent en lui qu'un sombre ambitieux,
Qui divisait la France en ces momens d'orage,
Pour saisir les débris d'un superbe naufrage,
Qui voulait régner seul, et réunir enfin

Les sceptres de l'Europe en faisceau dans sa main.

....Heuri n'est plus, c'est sa mort qui nous perd.
Regretté parmi nous comme il l'est dans la France,
Il manque aux Hollandais que servait sa puissance.
Le Ciel de ce héros parut avoir fait choix
Pour réconcilier la terre avec les Rois.

Elevé loin des Cours et le malheur pour maitre,
Plus tard il devint Roi, plus il fut fait pour l'être.
Souverain par le droit, par le cœur citoyen,

Il fut son propre ouvrage et nous-mêmes le sien....

Il paraît quatre nouveaux volumes du Tableau de Paris; cela ne fait que huit en tout: après cela M. Mercier n'a-t-il pas raison de se plaindre que l'Encyclopédie est trop volumineuse? On trouve dans ces derniers volumes, comme dans les autres, beaucoup de minuties, beaucoup de choses de mauvais goût, mais de l'intérêt, une grande variété d'objets et des vues utiles. Quelqu'un disait avec assez de raison que cet ouvrage était un excellent Bréviaire pour un lieutenant de police.

Septembre 1788.

La physique, la chimie et la mécanique ont produit de nos jours plus de miracles que le fanatisme et la superstition n'en avaient fait croire dans des siècles d'ignorance et de barbarie. Il y a long

temps qu'on n'avait entendu parler en France da célèbre Joueur d'Echecs de M. de Kempelen; mais cette admirable machine était presque oubliée; l'auteur l'avait même en partie démontée, et peut-être n'eût-il jamais songé à la rétablir, si l'Empereur ne lui avait pas témoigné le désir de la faire voir au comte et à la comtesse du Nord, pendant le séjour que L. A. I. firent, l'année dernière, à Vienne. Ayant été admirée de ces augustes voyageurs autant qu'elle mérite de l'être, on se réunit pour conseiller à M. de Kempelen d'aller jouir dans les pays étrangers de toute la gloire de son invention, et l'Empereur voulut bien lui permettre de s'absenter à cet effet pendant deux ans ; c'est la circonstance à laquelle nous devons la satisfaction d'avoir vu ce chef-d'œuvre, sans contredit la plus étonnante production qui ait encore paru dans ce genre. On en a donné une description fort détaillée dans une brochure intitulée Lettres de M. Charles Gottlieb de Vindisch, sur le Joueur d'Echecs de M. de Kempelen, traduction libre de l'allemand, accompagnée de trois gravures en taille-douce qui représentent, ce fameux automate; et publiée par Chrétien de Méchet, membre de l'Académie impériale et royale de Vienne et de plusieurs autres. A Bále, chez l'Editeur, 1783. Nous nous bornerons au plus simple précis.

L'armoire à laquelle l'automate est fixé a trois pieds et demi de large, deux pieds de profondeur, et deux pieds et demi de haut; elle porte sur quatre

roulettes, au moyen desquelles elle peut être mue facilement d'un endroit à l'autre. Derrière cette armoire l'on voit une figure de grandeur humaine, habillée à la turque, assise sur une chaise de bois affermie à demeure au corps de l'armoire, et qui se meut avec elle lorsqu'on la promène dans l'appartement. Cette figure est accoudée du bras droit sur la table qui forme le dessus de l'armoire ; de la main gauche elle tient une longue pipe à la turque, dans l'attitude d'une personne qui vient de fumer. C'est avec cette main qu'elle joue lorsqu'on lui a ôté la pipe. Devant l'automate est un échiquier fixé sur la table. M. de Kempelen ouvre les portes de devant de cette armoire et sort le tiroir qui est audessous. L'armoire est divisée par une cloison en deux parties inégales; celle qui est à gauche est la plus étroite, elle n'occupe guère que le tiers de la largeur, et est remplie de rouages, léviers, cylindres et autres pièces d'horlogerie; dans celle à droite, on voit quelques roues, quelques barillets à ressorts, et deux quarts de cercle horizontaux. Le reste est rempli par une cassette, un coussin et une tablette sur laquelle l'on voit des caractères tracés en or. L'inventeur sort la cassette et la pose sur une petite table près de la machine; il en fait de même de la tablette dont l'usage sera expliqué dans la suite de cette description. Les portes de devant de l'armoire ouvertes, on ouvre encore celles de derrière, en sorte que tout le rouage reste à découvert; on y porte de plus une bougie allumée pour en éclairer mieux

tous les recoins. On lève ensuite le cafetan de l'automate, et on le rabat par-dessus sa tête, de manière à découvrir complètement sa structure intérieure, et l'on n'y voit également que des léviers et des rouages qui remplissent tout le corps de l'automate; ainsi l'impossibilité d'y cacher aucun être vivant ne saurait être portée à un plus haut degré d'évidence. Après avoir laissé le loisir de tout examiner, on referme toutes les portes de l'armoire et on la place derrière une balustrade qui a pour objet d'empêcher les spectateurs d'ébranler la machine en s'appuyant sur elle lorsque l'automate joue, et de réserver libre pour l'inventeur une place assez spacieuse dans laquelle il se promène, s'approchant parfois de l'armoire, soit de droite, soit de gauche, sans y toucher néanmoins que pour en remonter par intervalle les ressorts. Il paraît si difficile d'imaginer quelle communication il peut y avoir entre la machine et la table, entre la machine et la cassette à laquelle l'inventeur a cependant assez souvent recours durant le jeu de l'automate, qu'on a été fort tenté de regarder cette cassette comme un hors-d'œuvre employé à distraire l'attention des spectateurs; mais M. de Kempelen assure que cette cassette est si indispensablement nécessaire au mécanisme de son automate, que sans elle il ne pourrait pas jouer, et il ajoute que, lorsqu'il publiera son secret, l'on sera convaincu de la vérité de ce qu'il avance.

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Si l'automate joue de la main gauche, c'est par une distraction de l'auteur, qui ne s'en aperçut que

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