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a permis qu'on le vit souper. Les grenadiers formaient une haie en avant du peuple.

Le lendemain il est parti à huit heures pour Caen. Il y est arrivé à dix, et est venu relayer aux casernes, où le régiment d'Artois commençait une double haie jusqu'à l'extrémité de la ville. Sa voiture s'étant arrêtée, le corps-de-ville s'est avancé, ayant M. de Brou, intendant, à la tête; M. le duc d'Harconrt et M. le duc de Coigny, gouverneur de Caen, en sont descendus pour prendre les clefs de là ville que leur présenta le maire, et ils les offrirent au roi; il y en avait une d'or et une d'argent avec cette inscription: Cordibus apertis inutiles. Le roi a ensuite traversé la ville au pas, pour éviter les accidens qu'aurait pu occasionner la grande affluence de peuple, au nombre de plus de 30 mille âmes répandues dans les rues, qui ont fait retentir les airs des cris de vive le roi.

Le premier acte d'humanité que S. M. à fait dans cette ville a été d'accorder, aux sollicitations de madame la duchesse d'Harcourt, la grâce de six déserteurs détenus dans les prisons, dont quatre du régiment d'Artois et deux autres. MM. les maréchaux de Ségur et de Castries avaient précédé partout le roi d'un jour. Le premier a passé en revue le régiment d'Artois."

Le roi est arrivé à Cherbourg à une heure après minuit, et dès quatre heures du matin il était sur un canot portant le pavillou royal pour aller voir partir le cône, qui s'est mis sur-le-champ en

mouvement par un calme superbe. Cette marche ayant duré huit heures, le roi a été visiter les anciens cônes, l'île Pélée, qu'il a permis qu'on nommât le Fort Royal. Le Patriote, vaisseau amiral de l'observation, est venu de Brest. Pendant sa marche, tous les bâtimens et les forts l'ont salué de trois décharges de canon. Il a été voir couler le cône. Sur le dernier placé on avait dressé une tente sous laquelle madame la duchesse d'Harcourt, venue exprès toute la nuit, lui avait fait préparer à déjeûner. La manoeuvre s'est exécutée avec le plus grand succès. S. M. a témoigné le plus grand contentement; elle n'a été interrompue que pour faire place à la sensibilité qu'elle a témoignée à un accident causé par une barre du cabestan qui a manqué, et a tué un homme, et blessé deux autres. S. M. leur a sur-le-champ envoyé le sieur Andouillé, son chirurgien, pour les panser et lui en rendre compte tous les jours.

Le roi, après avoir fait à M. le duc d'Harcourt tous les complimens que cet ouvrage à jamais mémorable lui mérite, en a témoigné tout son contentement au sieur Cessart, ingénieur des ponts et chaussées, qui a inventé les cônes, et à M. de la Millière, chef de ce corps, devenu respectable dans la province de Normandie.

Le 24, le roi s'est embarqué après avoir déjeûné avec tous les seigneurs de sa suite, et a été à bord du Patriote, vaisseau de 74, commandé,

ainsi que l'escadre de 18 bâtimens, par M. d'Al bert de Reins; le pavillon royal y était. Le roi, accompagné de M. d'Hector, commandant de Brest, a visité le vaisseau dans le plus grand détail, et a témoigné le plus grand contentement. Il a vu ensuite manoeuvrer l'escadre d'évolution, qui a fait tous les simulacres de combat corps à corps et તે en ligne, tous les signaux étant faits par le vaisseau. Le roi n'a pas bougé de dessus la lunette. Il s'est aperçu que son bâtiment ne tirait point, il en a demandé la raison; on lui a dit qu'il n'était point d'usage qu'il y eût ni feu ni poudre sur un bâtiment où était S. M. Il a sur-le-champ secoué cette étiquette, et a ordonné qu'on tirât à boulets plusieurs pièces de 18 et de 36, pour voir l'effet du ricochet dans l'eau.

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Le roi se rembarqua à six heures sur son canot, et trouva plus de vingt mille personnes sur le quai qui l'attendaient, et qui voulaient marcher dans l'eau pour amener le canot à terre, s'il ne l'eût empêché.

Le 25, le roi étant parfaitement content de tout ce qu'il avait vu à bord, y retourna déjeûner sur le Patriote, où il fit ressentir à l'escadre l'effet de ses bontés.

Le roi est parti le 26 pour Caen, où il a éprouvé de nouveaux effets de l'attachement de ses sujets. Cinquante jeunes gens, tous en uniforme et en écharpe, furent au-devant lui demander la permission de dételer ses chevaux et l'amener

à la ville, ce qu'il refusa; mais il leur permit d'entourer sa voiture, ainsi qu'à cinquante jeunes filles qui lui présentèrent des fleurs, et l'accompagnèrent chez lui, ayant de la musique à leur tête.

Le roi, craignant les accidens des chevaux, avait fait ordonner qu'on lui envoyât un détachement de troupes pour le précéder; la compagnie des chasseurs du régiment d'Artois fut au-devant de lui, et entoura sa voiture jusqu'à l'hôtel d'Harcourt, où il trouva son bataillon de gardes, commandé par M. de Guerchy, mestre-de-camp. S. M. fut descendre de voiture aux casernes, accompa gnée des grenadiers qui la précédaient, car elle défendit que personne fût autour d'elle, ce qui rappelle le propos qu'elle tint aux troupes de Valogne : Laissez-les approcher, ce sont mes enfans. Le roi entra aux casernes, accompagné de son capitaine des gardes, du colonel de garde et de M. le duc d'Harcourt.

S. M. fut de là, toujours à pied, visiter les travaux de la rivière, qu'elle passa dans un petit bateau avec six personnes. Les plans des opérarendre navigable lui

tions qu'on a faites pour la

furent présentés par M. de Brou et M. Le Fêvre, ingénieur de la province. Le roi, après avoir ordonné qu'on mît la plus grande diligence dans ces travaux, rentra chez lui par les jardins de l'Intendance et de l'hôtel d'Harcourt, qui étaient illu minés.

Tous les pas de S. M. ont été marqués par des

bienfaits. MM. les administrateurs de l'hôpital lui représentèrent les besoins des pauvres ; elle leur acccorda 8,000 liv. Les officiers municipaux lui présentèrent une orpheline, elle la marie et lui donne une dot. Huit paroisses ont été grêlées depuis son passage, elle donne 20,000 liv. à M. l'intendant.

S. M. est partie ce matin aux acclamations du peuple, en emportant les regrets de tout ce qui l'a vue, et laissant l'espoir à ses bons sujets normands de la revoir dans quelques années.

La reine, qui n'a point quitté Versailles, a reçu tous les jours des nouvelles du roi. Par un des derniers couriers, S. M. lui mandait: "Vous "serez, j'espère, contente, car je ne crois pas "avoir fait encore une seule fois ma grosse voix..” Il y a dans cette attention et dans ce souvenir une grâce et une bonté qui ne sauraient échapper aux âmes sensibles.

LA ROSE.-Chanson.

Près de Daphnis une rose nouvelle
Venait d'éclore avec tous ses appas.
Elle est pour moi, se disait-il tout bas;

Ah! quel plaisir de la trouver si belle !
Mais par malheur elle est trop jeune encore ;
Un jour de plus suffit pour l'embellir.
Il sera temps de venir la cueillir
Demain matin au lever de l'aurore.

Lindor plus fin, la guette à la sourdine,
Saisit l'instant, et rend grâce au hasard,
Daphnis revint, mais il revint trop tard,
Et de la fleur ne trouva que l'épine.
TOME III.

2 F

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