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portionnée; ennemi de toute affectation, il ne se tenait pas fort droit. Ses yeux, d'un beau brun clair, exprimaient parfaitement le mélange de fermeté et de douceur qui faisait son caractère. Son front était arrondi, élevé, ouvert, noble et serein, ses traits prononcés, sa bouché vermeille et naïve, ses dents blanches et bien rangées. Il avait eu surtout dans sa jeunesse un demi-sourire qui lui a fait tort, parce que les gens qui ne le connaissaient pas y croyaient presque toujours voir l'expression du dédain, quoiqu'il ne fût le plus souvent que l'effet de la naïveté et d'un peu d'embarras; il s'en était corrigé par degrés en vivant dans le monde, et l'était totalement vers la fin de son ministère. Ses cheveux étaient bruns, abondans, parfaitement beaux; il les avait tous conservés ; et lorsqu'il était vêtu en magistrat, sa manière de porter la tête les répandait sur ses épaules avec une sorte de grâce naturelle et négligée. Il avait la couleur assez vive sur un teint fort blanc, et qui trahissait les moindres mouvemens de son âme. Jamais homme n'a été, au physique et au moral, moins propre à dissimuler; il rougissait avec une facilité trop grande et de toute espèce d'émotion, soit d'impatience ou de sensibilité. Ses mœurs étaient infiniment régulières. Il aimait la société des femmes, et avait presqu'autant d'amies que d'amis; mais son res. pect pour elles était celui de l'honnêteté, dont l'accent diffère un peu de celui de la galanterie. Il a manqué sans doute au bonheur de M. Turgot, dont

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tous les sentimens étaient rapprochés de la nature, et qui regardait la famille comme le sanctuaire dont la société est le temple et la félicité domestique comme la première des félicités; il lui a manqué une épouse et des enfans. C'est une espèce de malheur public qu'il n'ait point laissé de postérité ; mais M. Turgot avait une trop haute idée de la sainteté du mariage, et méprisait trop la façon dont on contracte parmi nous cet engagement, pour être facile à marier. (Facile à marier!)

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Quoique la parodie Roi Lir ou Lear, en un acte et en vers, du sieur Parisau, représentée avec succès sur le théâtre des grands Danseurs du Roi, soit en général une assez mauvaise chose, on y a cependant remarqué quelques saillies heureuses. La manière dont le parodiste a travesti la terrible imprécation du second acte est passablement comique. Nature! s'écrie le Roi Lu.

Nature, à ces époux dont tu connais les crimes,
Ravis tous les plaisirs, jusques aux légitimes.
Verdrille, qu'au mépris de tes jeunes appas
Le Duc à tout moment vieillisse dans tes bras;
Et si jamais le sort, démentant mes promesses,
D'un enfant à tous deux accordait les caresses,

(A LA PRINCESSE.)

Qu'il insulte sans cesse à ton attachement;

(AU DUC.)

Qu'il t'appelle son père et mente effrontément....

Chassé du palais au milieu d'une nuit orageuse, le

Roi paraît errant dans la forêt, tenant un parapluie
dont il ne se sert pas. Après l'avoir laissé quelque
temps seul pour
rendre le tableau plus touchant,
son ami Kinkin vient le rejoindre. Philosophons,
lui dit alors le Roi, philosophons à l'air sur ce ter-
rible orage.-On est Roi.-C'est égal.-Tu vois.-
Il pleut sur vous....-Il débite encore quelques
réflexions de la même sublimité: Je n'ai pas un
ami, cependant j'étais Roi.-A ce mot, Kinkin
s'aperçoit que la téte se perd.-Eh! je remarque
une chose, dit Lu:

C'est en pleine raison que j'ai fait cent folies.
Depuis que je suis fou je disserte en Caton,
Et je fais de l'esprit en oubliant mon nom'.

Et

Le jeu de théâtre, pendant lequel les soldats du Duc vainqueur se rangent du côté de Deségards 'qu'on vient d'enchaîner sous leurs yeux, est encore assez burlesque. Passez, leur dit Deségards, je vous attends.-Le duc. Moi, je les en défie.-Un Soldat. J'embrasse ta défense. Deségards. d'un. Nous sommes deux contre dix mille au moins.-Un autre Soldat. Et moi donc..?-Le Duc se couvre le visage, et ses soldats filent tous sur la pointe du pied en regardant si le Duc ne les aperçoit pas .... Au dénouement, Remonde dit au

Roi:

Restez auprès de nous; soyez toujours un père
Cher à ses deux enfans et des siens respecté ;

Soyez Lu bien long-temps.

LE ROI.

Lu, non, mais écouté....

Réflexions philosophiques sur le Plaisir, par un Célibataire. Brochure avec cette épigraphe: Legite, Censores; crimen amoris abest. Cette brochure ne contient que des lieux communs de la morale la plus vague et une critique de nos mœurs aussi frivole qu'insipide; l'auteur a cependant eu la satisfaction d'en voir la première édition entièrement épuisée en moins de huit jours. Il faut bien expliquer les raisons d'un si beau succès. L'auteur de ce chef d'œuvre est M. de La R..... le fils; il avait donné, quelques jours avant de le publier, un souper dont l'extravagance était devenue la fable de tout Paris. Tout le monde imagina que la brochure serait marquée au même coin, tout le monde fut curieux de la voir, et jamais curiosité n'a été plus complètement trompée; ainsi donner une idée de ce fameux souper, c'est développer tout le mérite de la production dont il a fait le succès.

M. de La R...... avait choisi ses convives dans tous les rangs de la société pour en former une bigarrure heureuse de gens de lettres, de garçons tailleurs, d'artistes, de militaires, de gens de robe, d'apothicaires, de comédiens, etc. Il avait fait imprimer ses billets d'invitation dans la forme d'un billet d'enterrement, et en voici le modèle copié fidèlement d'après l'édition originale dont Sa Majesté n'a pas dédaigné de faire encadrer un exemplaire pour la rareté du fait. "Vous êtes prié d'assister

au souper-collation de Me. Alexandre-Balthazard"Laurent G. d. L. R., écuyer, avocat au Parlement,

"membre de l'Académie des Arcades de Rome, "associé libre du Musée de Paris et rédacteur de "la partie dramatique du Journal de Neufchâtel,

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qui se fera en son domicile, rue des Champs-Ely, "sées, paroisse de la Madeleine-l'Evêque, le jour "du mois d' 178. On fera son possible pour

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vous recevoir selon vos mérites; et, sans se flatter encore que vous soyez pleinement satisfait, on ose "vous assurer dès aujourd'hui que du côté de l'huile 66 et du cochon vous n'aurez rien à désirer. On s'assemblera à neuf heures et demie pour souper à dix. Vous êtes instamment supplié de n'amener ni chien ni valet, le service devant être fait

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par des servantes ad hoc."-En arrivant à la porte de l'hôtel, le suisse demandait au convive à voir son billet, y faisait une marque, et l'adressait à un autre suisse, lequel était chargé de lui demander si c'était M. de La R..... sangsue du peuple, ou son Fils le défenseur de la veuve et de l'orphelin, qu'il désirait de voir; sur la réponse du convive, on le faisait monter un escalier au haut duquel il était reçu par un savoyard vêtu comme les anciens hérauts d'armes, avec une halebarde dorée à la main. Tout le monde rassemblé dans le salon, le maître du festin, en habit de palais et avec le maintien le plus grave, pria toute l'assemblée de passer dans une autre pièce où il n'y avait pas une seule lumière; on y retint les convives près d'un quart d'heure, les portes soigneusement fermées; elles s'ouvrirent enfin, et l'on passa dans une salle à manger éclairée de mille bou

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