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nymphe Egérie; mais je ne sais si cette idée paraîtra fort heureuse, à moins qu'on n'y cherche quelque motif secret, comme celui de justifier l'étrange méprise de M. le cardinal de Rohan. Aurait-il voulu nous prouver que puisqu'un Prince aussi sage, aussi éclairé que Numa Pompilius, a bien pu prendre la petite Anaïs, avec laquelle il avait vécu plusieurs mois, qu'il était sur le point d'épouser, pour une nymphe, pour une divinité destinée, à faire le bonheur des Romains, M. le Cardinal peut bien avoir pris, la nuit, dans les bosquets de Versailles, une demoiselle Oliva pour une personne auguste.

Quoi qu'il en soit, ce nouvel ouvrage de M de Florian, tout léger qu'il est d'idée, tout faible qu'il est de conception, se fait lire sans peine ; si la couleur en est un peu monotone, si le style en est quelquefois maniéré, on ne saurait lui refuser le mérite que l'auteur a montré dans ses autres ouvrages, de la douceur, de la grâce, de la facilité, Le plus grand reproche qu'on puisse lui faire, c'est d'avoir voulu s'essayer dans un genre qui ne paraît pas être le sien. Il a beau chercher le ton épique, il retombe toujours dans celui de la romance et de l'églogue; il a beau donner à son héros des passions ardentes, il a beau lui faire entreprendre des actions et des travaux dignes d'Hercule, ce héros a toujours je ne sais quel air mouton dont il ne saurait se défaire; sous le pinceau de M. de Florian, le furieux Ajax, le bouillant Achille ne seraient que des bergers

en casque.

En lisant Numa, disait l'autre jour la Reine au baron de Besenval, il m'a semblé que je mangeais de la soupe au lait. On exprimerait difficilement d'une manière plus simple, plus vraie et plus plaisante, l'impression que produit le ton qui domine dans cet ouvrage.

Les amis de M. de Florian ont cité comme une preuve de sa modestie la fiction que voici. Numa dans un songe voit la déesse Cérès et lui demande la sagesse. Cérès lui répond: "J'avais prévu ta demande, et j'ai prié ma sœur Minerve de te combler de ses dons. Ne t'attends pas cependant à devenir son favori comme le fut le fils d'Ulysse. Non, mon cher Numa, aucun mortel ne doit se flatter d'approcher du divin Télémaque; c'est le chef-d'oeuvre de Minerve, ellemême n'oserait tenter d'égaler son propre ouvrage. Mais heureux encore celui qui marchera de loin sur ses traces! Heureux le jeune héros sur qui la Déesse laissera tomber quelques regards et qui occupera le second rang, quoique si éloigné de son modèle !"

L'idée est ingénieuse; mais n'eût-il pas été plus modeste encore, plus sage au moins, de ne pas même se permettre ici de rappeler le souvenir de Télémaque?

Avril 1786.

M. le comte de Genlis ayant trouvé dans les papiers de la succession de madame la maréchale

d'Estrées un mémoire de 4,000 livres non acquitté pour du vin de Sillery, vendu à M. le marquis de Conflans, lui a envoyé le mémoire avec ce couplet, sur l'air de Grégoire dans Richard Coeur-de-Lion. Que le marquis de Conflans

Achète du bon vin blanc,

La chose est facile à croire,
Car on sait qu'il aime à boire;
Mais pour donner de l'argent,
Vraiment, vraiment,

Il y pense rarement;

Il veut être comme Grégoire,

Sans payer boire.

M. de Conflans a répondu à M. de Genlis, sur le même air.

Quand au marquis de Conflans
On vend de mauvais vin blanc.
Du vin qu'il ne saurait boire,
Loin d'acquitter le mémoire,
Il le renvoie au marchand,

Pestant, jurant;

C'est très-juste assurément.

Et doit-il donc plus que Grégoire

Payer sans boire !

Quelques conversations sur la manière de faire des synonymes, auxquelles le Livre de l'abbé Roubaud avait donné lieu, ont faire naître à madame de Staël Holstein ambassadrice de Suède l'idée de s'essayer dans ce genre d'écrire. Cet essai a paru un modèle.

VÉRACITÉ, FRANCHISE.

On est franc par caractère, on est vrai par principes; on est franc malgré soi, on est vrai

parce qu'on le veut. La franchise interrogée souvent ne peut pas garder un secret; mais la vérité, étant une vertu, cède toujours le pas à une vertu d'un ordre supérieur alors qu'elle la rencontre. La franchise se trahit, la véracité se montre; la véracité est courageuse, la franchise est imprudente. Un menteur qui se repent peut devenir vrai, mais jamais franc: on pourrait persuader à un homme franc qu'il doit mentir; mais cela n'avancerait à rien, car il ne pourrait exécuter sa résolution; si un homme vrai l'avait prise, le plus difficile serait fait. Je regarde le visage d'un homme franc et j'écoute les paroles d'un homme vrai. Il faut souhaiter de traiter avec un homme franc, mais confier ses intérêts à un homme vrai; car la vertu est plus maîtresse d'elle-même que le caractère. Dans les négociations, la vérité a de l'avantage sur la finesse; la vertu intimide le vice, mais la franchise ne déconcerte pas la fausseté; c'est une manière d'être contre une manière d'être. Cependant, si j'avais à choisir, j'aimerais mieux vivre avec un homme franc; car je saurais de lui ce qu'il doit me dire et quelquefois ce qu'il doit me cacher; je le préférerais aussi, parce qu'il aurait toujours l'air d'être entraîné par moi, et qu'on trouve plus de plaisir à obtenir qu'à recevoir ce qu'on a résolu de nous donner. Je le préférerais enfin, parce que les qualités ont pour les autres cet avantage sur les vertus, qu'elles exigent moins de respect en donnant la même jouis

sance.

TRAIT et Saillie.

Un trait vient de l'esprit, une saillie du caractère; on lance un trait, une saillie échappe. Celui qui dit un trait en a la conscience; celui qui dit une saillie est étonné de l'effet qu'elle produit. Le mouvement qui l'a inspirée fait tout le prix d'une saillie; le mot qui l'a exprimé tout le charme d'un trait. On peut préparer un trait; mais préparer une saillie est un contre-sens. J'aimerais mieux être l'objet d'un trait que d'une saillie; car l'on croit vrai tout ce qui est dit involontairement, et une épigramme faite sans intention est la plus dangereuse de toutes. de toutes. Celui qui dit une saillie le plus souvent se parle à lui-même; celui qui dit un trait pense toujours à ceux qui l'écoutent. Un trait est spirituel, une saillie est originale. Dans la société, j'aime mieux rencontrer un homme qui parle par saillies que par traits; le premier sera sans prétention parce qu'il parlera malgré lui; l'autre sera exigeant parce qu'il voudra le prix de ses efforts; l'un parlera quand la colère, l'enthousiasme ou la gaieté le gagnera, l'autre quand le trait sera arrivé. Je ne demande pas à l'un de m'amuser tous les jours, mais j'y oblige l'autre ; car il en a l'intention. Enfin les envieux pardonneront plus aisément les saillies que les traits; comme elles sont presque toujours inspirées par le caractère, il peut arriver que celui qui

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