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"On doit regretter que l'abbé Raynal ait mêlé "à d'utiles vérités des erreurs repréhensibles et des "déclamations téméraires. Lorsqu'un général ro"main voulait conquérir un pays, il n'insultait (6 pas les Dieux qui en étaient les protecteurs ; il "leur offrait des sacrifices et les priait de passer "dans son armée."

"L'Histoire de M. Hume pourrait s'intituler "l'Histoire des Passions Anglaises par la raison "humaine."

"L'enthousiasme est le père des grandes choses. Lorsque Jupiter enfanta Minerve, ce fut, "selon la Fable, Vulcain, le dieu du Feu, qui, " ouvrant la tête de Jupiter, aida la Sagesse à

éclore toute armée. C'est l'emblême de l'enthou"siasme. Rien de divin n'est produit à froid. M.

Levesque, dans son Histoire de Russie, blâme le "Czar d'être venu de si loin chercher la lumière; "il n'avait, dit-il, qu'à la faire venir elle-même. "Mahomet commanda, en présence de son armée, " à des montagnes éloignées de s'approcher de lui ; comme elles demeuraient immobiles, il ajouta : "Puisque vous refusez d'avancer vers moi, c'est à "moi d'avancer vers vous. Il marcha et son ar "mée suivit."

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"Le commerce du monde a fait sur les

gens

"de lettres ce que le cardinal de Richelieu fit sur "les seigneurs de châteaux; ceux-ci ont beaucoup "perdu en sortant de leurs terres, et ceux-là en sor"tant de leur retraite."

Peut-être n'a-t-on rien écrit de plus spécieux en faveur des Chinois que ce qu'en dit M. Cérutti dans une de ses notes. Nous n'entreprendrons point d'analyser ici toutes les raisons par lesquelles il justifie l'éloge de ce peuple, qu'il appelle très-poéfiquement le peuple aîné du globe; nous nous contenterons d'observer qu'une grande partie des titres qui fondent sou enthousiasme pour ce peuple se trouve détruite par les dernières relations que nous avons vues de ce pays. Ce qui nous explique la longue durée du gouvernement chinois sert à nous prouver en même temps tout ce que ce gouvernement laisse à désirer pour le bonheur des peuples qui lui sont soumis. La langue, les usages et les coutumes les plus propres à borner l'essor et les progrès de l'esprit ont fait vieillir cette Nation dans une longue enfance, et c'est pour ainsi dire l'impossibilité d'étendre les limites de sa puissance et de sa prospérité qui l'a fait triompher ainsi de la révolution des temps et de l'inconstance des choses humaines. On ne voudrait être ni Juif, ni Spartiate, ni Chinois ; mais qui n'admirerait pas la législation de Moïse, celle de Lycurgue et celle du peuple chinois comme autant de prodiges du pouvoir législatif, comme autant de monumens mémorables de l'empire que la loi peut exercer et sur la nature de l'homme et

s'il est permis de le dire, sur la chaîne même de ses destinées!

Revenons encore un instant à M. Cérutti. II n'y a point de souverain philosophe, il n'y a point d'homme de lettres célèbre qui n'ait reçu de lui un tribut d'hommages distingué. Félicitons la philosophie de voir l'apologiste des jésuites devenir aujourd'hui le panégyriste des sages du siècle, vanter le progrès des lumières, et conseiller aux Rois de n'avoir pour confesseur que leur conscience, de bons ouvrages ou quelque poëte philosophe. Tout cela n'est peut-être pas si loin d'un jésuite qu'on le dirait bien. Quelle que soit l'intention de l'auteur, sa brochure nous a fait grand plaisir; les défauts même qu'on lui reproche sont d'un esprit fin, d'une imagination vive et brillante ; ce sont des défauts dont nous n'avons guère à nous plaindre; ils sont devenus moins communs que jamais.

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Avril 1783.

M. D.... vient de justifier enfin les titres de la pension de douze mille livres qui lui fut accordée par M. Turgot, pour être revenu de Pologne en poste, prêt à rendre à sa patrie, sous de si heureux auspices, toutes les lumières que nous avions osé méconnaître jusqu'alors, et dont son juste dépit allait enrichir à nos dépens une puissance étrangère. Il serait difficile au moins de ne pas conve nir que cette pension lui est bien justement acquise aujourd'hui par toutes les peines, et surtout par les

prodigieux calculs qu'a dû lui coûter un écrit intitulé Mémoire sur la Vie et les Ouvrages de M. Turgot, Ministre d'Etat ; un volume in-8°, avec cette épigraphe: Le germe le plus fécond des grands hommes est dans la justice rendue à la mémoire des grands hommes qui ne sont plus. Philadelphie, 1782.

Ce qui concerne la personne de M. Turgot dans le Mémoire de M. D.... nous a paru plus digne d'être remarqué que tout le détail fastidieux de sa vie publique. Nous rassemblerons ici diffé-rens morceaux de cette partie de l'ouvrage, dont l'ensemble, à quelques exagérations près qu'il n'est pas besoin d'indiquer, nous a paru former un portrait assez ressemblant.

"M. Turgot était d'une ancienne noblesse attachée aux ducs de Normandie en 1281.... Un caractère qui n'est pas commun a toujours distingué les Turgot, et ce caractère est une bonté douce et courageuse qui unit le charme de la bienfaisance à la sévérité de la vertu.

"Sortant à vingt-troisans de Sorbonne, plein de connaissances profondes, formé par des études sérieuses, ayant même beaucoup de goûts littéraires (1), M. Turgot était cet homme d'esprit un

(1) Il avait fait dès-lors plusieurs dissertations théologiques, beaucoup de vers blancs et quelques ouvrages de philosophie et de géométrie. Il a traduit de l'allemand le commencement de la Messiade de Klopstock, la plus grande partie du premier Chant de la Mort d'Abel, et une partie du quatrième; le commencement du Premier Navigateur et le premier livre des Idylles de Gessner, qui

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peu neuf dans la société, que les gens du monde font éclipser dans la conversation, même avec trèspeu de fonds réel. Cet inconvénient, léger en luimême, a peut-être influé d'une manière assez grave sur le destin de sa vie. N'aimant à développer ses pensées et n'y réussissant bien qu'avec ses amis intimes, il n'y avait qu'eux qui lui rendissent justice. Tandis qu'ils adoraient sa bonté, sa raison lumi、 neuse, son intéressante sensibilité, il paraissait froid et sévère au reste des hommes; ceux-ci par conséquent se contenaient eux-mêmes ou se masquaient devant lui. Il en avait plus de peine à les connaître; il perdait l'avantage d'en être connu, et cette gêne réciproque a dû lui nuire plus d'une fois.

"L'âme de M. Turgot était si heureusement constituée, que tous les sentimens bons, nobles et honnêtes, même ceux qui semblent les plus incompatibles, y régnaient à-la-fois, et que nul des autres n'y pouvait trouver place. Il joignait la sensibilité d'un bon jeune homme et la pudeur d'une femme estimable au caractère d'un législateur fait pour réformer et constituer des Empires et pour changer la face du monde.... (substituer la poste aux messageries et les vers blancs à la la rime.)

"Sa figure était belle, sa taille haute et pro

a été imprimé sous le nom de M. Huber, avec les autres Poëmes du même auteur, dont nous devons la traduction à M. Huber. La préface générale de cette Traduction de Gessner est aussi l'ouvrage de M. Turgot.

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