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qui en ont borné la puissance, conserve toujours le droit de persécuter avec plus ou moins d'avantage.

La santé de M. de Gebelin avait été prodigieusement éprouvée par son application continuelle à l'étude; une pierre formée dans les reins, et dont la nature le délivra sans aucun secours étranger, en fut la triste suite. Il était dans l'état de dépérissement le plus désespéré au moment où la folie du Mesmérisme commençait à tourner toutes les têtes. Le mystère de cette doctrine le séduisit peut-être par les rapports qu'il lui trouva avec les initiations mystérieuses des anciens. Le Magnétisme n'ôta point la cause de ses souffrances; mais il parut les suspendre un moment, et ce fut assez pour la reconnaissance de M. de Gebelin; il écrivit en faveur de Mesmer avec l'enthousiasme d'un apôtre, et le jour même de sa mort il donna encore la preuve la plus forte de sa confiance pour le nouveau Thaumaturge. Ses chagrins et ses maux lui avaient rendu la vie insupportable; il résista long-temps à ses amis qui l'exhortaient à se faire transporter chez Mesmer, en leur disant: Non, je crains de n'y pas mourir. Enfin il y consentit pourtant, et n'en expira pas moins au bout de quelques heures, à la grande consternation de tous les adeptes qui pleurèrent sa perte, mais bien moins sans doute que celle du plus beau miracele dont leur saint eût encore à se vanter.

Nous ignorons l'auteur d'un ouvrage qui a paru sous le titre d'Analyse des ouvrages de J. J.

Rousseau, de Genève, et de M. Court de Gebelin, auteur du Monde primitif, par un solitaire; à Genève, un volume in-8vo; mais c'est un précis assez exact de la philosophie de ces deux écrivains. Il résulte de ce dépouillement de leurs principes que l'un et l'autre ont eu pour objet de conduire les hommes an bonheur, mais par des méthodes très-différentes. Rousseau pense que ce sont les institutions sociales qui ont dépravé l'espèce humaine, qui ont altéré chez elle le sentiment naturel du vrai, du beau, du juste. M. de Gebelin soutient au contraire que c'est la société qui a élevé notre instinct à l'idée de ce grand ordre qui règne dans la nature, et qui doit nous diriger dans le choix des moyens les plus propres à nous rendre heureux.

Tout cela pourrait bien n'être au fond qu'une dispute de mots. Isolé de toute société, l'homme est à peine un être moral. A mesure que A mesure que la société développe nos facultés, elle a nécessairement augmenté la masse de nos forces et de nos lumières ; elle a par concéquent donné beaucoup plus d'étendue à la possibilité de nous rendre ou beaucoup plus heureux ou beaucoup plus malheureux que la nature ne nous a faits. Si l'on était libre de choisir entre la simplicité de l'état de nature et la plus grande perfection de la vie sociale, le problème en question mériterait sans doute encore la peine d'être discuté; mais, vu le point d'où nous sommes forcés de partir, il paraît évident que c'est à perfectionner

par tous les moyens possibles la société où le sort nous a fait naître que doivent tendre aujourd'hui

nos vœux et nos travaux.

On voyait autre fois dans l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois l'épitaphe suivante, que l'abbé Mignon en fit ôter lorsqu'il en était doyen:

Ci-gît qui en son temps faisait
Quatre métiers de gueuserie:
Il peignait, rimait, soufflait,
Et cultivait philosophie.

EPIGRAMME de M. Watelet sur Mesmer, qui avait décidé qu'il ne passerait pas l'automne.

Docteur, tu me dis mort, j'ignore ton dessein;
Mais je dois admirer ta profonde science:
Tu ne prédirais pas avec plus d'assurance
Quand tu serais mon médecin.

Mémoires authentiques pour servir à l'Histoire du comte de Cagliostro; brochure in-12: on la croit imprimée à Bâle. Comme cette singulière production est encore fort peu répandue, nous nous pressons de vous en offrir ici les traits les plus

curieux.

"Le comte de Cagliostro était né sans fortune, d'une famille obscure (1), avec des passions

(1) On le croit Napolitain; il a non-seulement l'accent de Naples, mais encore des tournures de phrase qui n'appartiennent, dit-on, qu'à l'idiôme des Lazaronis.

fougueuses: il voulut essayer si la fortune, qui favorise tant d'ineptes personnages, le dédaignerait.... Il commença par se titrer; ce n'était pas trop de se faire comte. C'est dans les mauvais lieux de Venise qu'il chercha une femme propre à ses projets. Des malheurs inouïs avaient conduit dans les asiles de la misère bien plus que de la volupté une marquise génoise. Taille svelte, oil ardent, gorge à l'épreuve, démarche légère, haleine pure, voilà pour le physique. Le moral ne lui cédait pas propos libertins, profonde dans les spéculations, calculatrice sous les dehors de l'étourderie, incapable du moindre sentiment; bref, un sujet précieux pour séduire, tromper, parler de la vertu, employer le vice, et en imposer à la multitude.

"Ce couple bien assorti ne crut pas devoir se hasarder d'abord à Paris: Nous ne sommes pas encore assez forts pour ce pays, dit la marquise; c'est là que sont les premiers roués de la terre ; la Cour, la ville, le clergé, la robe, la finance ont des sujets consommés.... Il fixa ses regards sur la Russie ; l'argent manquait, la marquise fut chargée d'y pourvoir. Il y avait alors à Rome une foule d'Anglais; elle y vole pour les imposer. Un mois lui suffit pour réaliser cinq mille guinées. Il fallait là-dessus payer.. ; quoique les Bonneaux romains soient extrêmement chers, il lui resta encore de quoi acheter de mauvais diamans et tout l'équipage de la charlatanerie..."

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Telle est l'esquisse du portrait que l'auteur trace de ses héros. Il les conduit d'abord dans le Holstein pour faire au fameux comte de Saint-Germain l'hommage du désir de devenir ses esclaves, ses apótres et ses martyrs, et d'acquérir un des quatorze mille sept cents secrets qu'il porte dans son sein. Ce célèbre adepte n'est pas peint avec des couleurs plus favorables.

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"Le comte de Saint-Germain, mort depuis quelques années et déjà oublié, était un fou sé"rieux, avait peu d'esprit, quelques connaissances en chimie, n'ayant ni l'impudence qui convient à 66 un charlatan, ni l'éloquence nécessaire à un fana"tique, ni la séduction qui entraîne les demi-savans (1). Étant à Chambéry, il offrit sa chimie

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au marquis de Bellegarde. Ils se mettent à souf"fler, le creuset donne une matière qui avait la "couleur et le poids, mais non la ductilité de l'or. "Ces opérations se faisaient dans une terre, où "dans l'espace de sept mois le comte fut trois fois

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père. L'argenterie devint incomplète; il avait "emprunté de tous côtés, on lui conseilla de partir. "A Paris, même aventure, etc...."

(1) Ce portrait est faux à beaucoup d'égards. Le comte de Saint-Germain a paru à tous ceux qui l'ont connu un homme de beaucoup d'esprit. Il avait cette éloquence naturelle qui est la plus propre à séduire; il savait beaucoup de chimie et l'Histoire comme peu de personnes l'ont apprise. Il avait le talent de rappeler dans la conversation les événemens les plus importans de l'Histoire Ancienne, et de les raconter comme on raconte l'anecdote du jour, avec les mêmes détails, le même degré d'intérêt et de vivacité.

TOME III.

2 A

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