Page images
PDF
EPUB

M. Lemierre a terminé cette séance par la lecture du quatrième acte de sa tragédie de Barnevelt ; on en a beaucoup applaudi le dernier vers. Le fils de Barnevelt a pénétré dans la prison; il présente, en détournant les yeux, un poignard à son père, et l'exhorte à prévenir la main des bourreaux en se donnant lui-même la mort: Caton, lui dit-il, se la donna. Socrate, répond le père, Socrate l'attendit.

Mémoires pour servir à l'Histoire de M. de Voltaire, dans lesquels on trouvera divers écrits de lui peu connus sur ses différends avec Jean-Baptiste Rousseau et d'autres gens de lettres; un grand nombre d'Anecdotes et une Notice critique de ses Pièces de théâtre. Deux petits volumes in-12mo. A Amsterdam, 1785.

Ces Mémoires rappellent l'anecdote suivante.

On avait découvert que le jeune Arouet voulait enlever mademoiselle Pimpette, la plus jeune des filles de Madame du Noyer. Il fut renvoyé, à Paris, à son père; qui ne voulut pas le voir, et qui obtint une lettre de cachet pour le faire enfermer: "Je n'ose me montrer (écrivait alors le jeune poëte)

j'ai fait parler à mon père: tout ce qu'on a pu "obtenir de lui a été de me faire embarquer pour "les Iles, avec du pain et de l'eau..." Mais le projet ne fut point exécuté.

Il n'y a encore jusqu'ici que cinq Spectacles ouverts tous les jours dans la nouvelle enceinte du

Palais-Royal, les Ombres chinoises, les Pygmées Français, les Vrais Fantoccini italiens, les Variétés amusantes, et les Petits Comédiens de M. de Beaujolais. Cette dernière troupe, voyant que ses grandes marionnettes de bois attiraient peu de monde, vient de hasarder une nouveauté qui lui a parfaitement réussi; ce sont de petits opéras comiques dont dés enfans jouent la pantomime sur le théâtre, tandis qu'on chante ou qu'on joue leur rôle dans la coulisse (1). L'exécution en est conduite avec tant d'intelligence qu'il est difficile, sans l'avoir vue, de se faire une idée de l'illusion qu'elle produit; l'accord du geste et de la parole est si juste et si parfait, que,, même après en avoir été prévenu, on est tenté encore de douter qu'il y ait véritablement deux personnes qui se partagent ainsi le même rôle. Avec quelque clarté que l'abbé Dubos ait tenté d'expliquer tous les passages de Quintilien, de Sénèque et de Cicéron, relatifs à ce partage que les anciens avaient cru devoir faire de la déclamation; comme l'imagination, ainsi qu'il l'observe lui-même, ne supplée point au sentiment, cet essai, fait avec tant de succès sous nos yeux, en a rendu l'explication bien plus sensible encore. Sénèque a remarqué que l'on voyait avec étonnement sur la scène le geste des Comédiens habiles atteindre la parole et la joindre pour ainsi

[ocr errors]

(1) Les deux premiers ouvrages de ce genre qui ont été joués sur ce théâtre sont le Vieux Soldat et l'Amateur de Musique. Nous ignorons l'auteur des paroles; celui de la musique est M. Froment, un des premiers violons de l'Opéra.

dire, malgré la vitesse de la langue; mais tout étonnant sans doute que peut paraître cet accord, il est fondé sur un principe fort naturel, et dont les anciens avaient développé la théorie et la pratique avec un soin extrême; ce principe, c'est qu'il est une musique pour les mouvemens du corps comme pour les progressions de la voix; on distinguait en conséquence la musique hypocritique qui enseignait à suivre la mesure en faisant les gestes, de la musique métrique qui enseignait à la suivre en récitant; ainsi l'acteur qui récitait et l'acteur qui faisait les gestes étaient obligés de suivre une même mesure dont l'un et l'autre devaient également observer les temps, et leur déclamation la plus simple était toujours une véritable musique puisqu'elle était notée.

[ocr errors]

Ce qui avait donné sans doute aux anciens la première idée de partager de cette manière entre deux personnes l'exécution du même rôle, c'est l'immensité de leurs théâtres, où l'acteur récitant, obligé de donner à sa voix toute l'étendue dont elle était susceptible pour se faire entendre, n'aurait plus conservé assez de force pour joindre à ce premier effort ceux qu'exigent les gestes d'une action vive et soutenue. Peut-être est-ce en effet un travail au-dessus des forces humaines que celui de donner en même-temps à sa voix et à ses gestes la chaleur, la vivacité, l'expression, l'harmonie et la force qu'exige une exécution parfaite; car il ne faut pas oublier qu'il n'y a point d'effet dramatique sans une sorte d'exagération, et cette exagération simultanée

des gestes et de la voix suppose même sur nos théâtres ordinaires un effort dont la violence et la fatigue sont extrêmes.

Les Comédiens italiens se sont dispensés de faire toutes ces réflexions; le succès de cette nouveauté leur a paru une atteinte formelle au privilége exclusif de chanter qu'ils ont acheté de l'Académie royale de Musique, et comme leurs parts annuelles ne passent guère de trente à trente-deux mille livres, ils se sont plaints hautement de la ruine prochaine dont les menaçait une concurrence si redoutable. Leurs solicitations ont été si pressantes, qu'on a interdit, au moins provisoirement, à la petite troupe de continuer les représentations de ce genre; il ne lui est plus permis de jouer que des pantomimes muettes ou des bambochades.

Les acteurs du Théâtre français ont jugé sans doute aussi ce moment plus favorable qu'un autre à renouveler leurs persécutions contre tous les Théâtres forains. Ils viennent de répandre un Mémoire très-grave et très moral, dans lequel ils font valoir avec beaucoup de dignité tous les anciens titres qui leur ont été accordés par Louis XIV et par son successeur; oubliant entièrement leur intérêt personnel, ils ne sont occupés que de la cause des mœurs et du bon goût... (Pouvait-elle être en de meilleures mains?) Un des principes les plus neufs que nous ayons remarqués dans cet étrange Mémoire, c'est que l'émulation, utile dans les métiers, n'est que dangereuse dans les arts, et particulièrement dans

celui de la Comédie; que si la concurrence des talens peut produire quelque bien lorsqu'elle est renfermée dans les limites du même Théâtre, elle devient funeste lorsqu'elle a lieu entre deux troupes différentes.....(c'est-à dire que l'amour-propre des talens n'est pas d'une rue à l'autre ce qu'il est sous le même toit, etc.) Ce Mémoire est signé La Malle; et nos faiseurs de calembourgs n'ont pas manqué de dire que La Malle raisonnait comme un coffre.

Les directeurs des petits Spectacles ont répondu à cet écrit par un autre qui n'est guère plus raisonnable; ce sont deux coups de pistolet en l'air: il ne s'en suivra, selon toute apparence, ni mort ni jugement.

Dans le nombre des suicides commis cette année à Paris, il n'en est aucun qui ait inspiré autant de regrets que celui de M. Pierre Chabrit, conseiller au conseil souverain de Bouillon et avocat au Parlement de Paris. Il n'avait guère plus de trente ans, et s'était déjà fait connaître d'une manière très-estimable par un ouvrage intitulé De la Monarchie française, ou de ses Lois, ouvrage assez inégalement écrit, qui laisse beaucoup à désirer quant à la clarté du style et au choix des matières, mais où l'on trouve sur les antiquités de notre législation des reherches utiles et savantes. L'Acadé mie française avait disposé l'année dernière, en sa faveur, du prix fondé par M. de Valbelle; il avait encore osé compter cette année ci sur la même res

« PreviousContinue »