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tir victorieux sans en être plus à plaindre, moins disposé à faire le bien et plus sensible à tous les maux qui environneut notre frêle existence. Nous en appelons à l'auteur de Candide; c'est lui-même qui a dit dans celui de ses ouvrages où il raisonne le plus sérieusement: "Il est prouvé qu'il y a plus "de bien que de mal dans ce monde, puisqu'en ef"fet peu d'hommes souhaitent la mort....

On ai"me à murmurer, il y a du plaisir à se du plaisir à se plaindre ; "mais il y en a plus à vivre. Lisez les Histoires,

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nous dit-on, ce n'est qu'un tissu de crimes et de "malheurs. D'accord; mais les Histoires ne sont que le tableau des grands événemens. On ne conserve que la mémoire des grandes tempêtes: "on ne prend point garde au calme; on ne songe pas qu'en général il y a plus d'années tranquilles 66 que d'années orageuses, qu'il y a plus de jours "innocens et sereins que de jours marqués par de "grands crimes et par de grands désastres, etc."

En effet, quelle compensation pour les peines les plus vives que le bonheur attaché au seul sentiment de l'existence! Quelle consolation dans les douleurs les plus sensibles que la facilité de mourir, lorsqu'on est véritablement las de vivre! quelle diversion au malheur le plus réel, la crainte de la mort, que le charme de l'espérance qui nous accompagne presque tous jusqu'au terme fatal! Quelle foule de peines et de maux la nature n'épargne-telle pas enfin à notre sensibilité, ou en épaississant sur nos yeux le voile de l'avenir, ou en détruisant par

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l'effet même de la douleur le sentiment que nons en aurions eu, ou en disposant les impressions dont nous sommes susceptibles à se succéder si rapidement, que même les plus vives ne laissent que des traces fugitives et légères !

Il me semble qu'une des plus douces occupations de la vie serait de se rendre attentif à tous les biens que la nature nous prodigue, à tous les maux dont elle nous garantit. Il en résulterait une impression habituelle de reconnaissance qui serait la plus sainte, la plus pure et la plus raisonnable de toutes les religions; car je ne conçois point de sentiment plus propre à modérer les passions funestes à notre bonheur, je n'en conçois point qui puisse disposer plus heureusement notre âme à la patience, à la douceur, à cette bienveillance universelle pour les autres, que l'homme sensible regardera toujours comme le seul moyen d'acquitter en quelque manière ce qu'il doit à la nature et au pouvoir qui préside à notre destinée. Je vois tout le mal qu'a fait la religion; mais la religion n'a jamais été qu'un lien de crainte et de terreur; n'en faites plus qu'un culte d'amour et de reconnaissance : l'influence de ce culte, j'en conviens, sera moins puissante; les prêtres de ce culte auront peu de revenus et peu de crédit ; mais quels torts la philosophie et l'humanité auraient-elles encore à lui reprocher?

Je crois m'apercevoir que le zèle du nouvel apôtre me gagne, et je crains de ne pas prêcher aussi bien que lui; il est donc temps de finir mon

sermon pour revenir au sien. Le sien, comme nous l'avons dit, est en trois volumes.

Dans le premier, il expose les objections 'qu'on a faites dans tous les temps contre la Providence, et pour y répondre, il cherche à établir quelques opinions que nous abandonnerons à la dispute des physiciens. Il démontre un peu plus clairement que la plupart des maux de l'humanité naissent du vice de nos institutions politiques et non pas de la nature, etc.

Dans son second volume il attaque le principe de nos sciences; il veut faire voir qu'elles nous égarent, ou par la hardiesse de leurs recherches, ou par la faiblesse de leurs méthodes; que, s'étant séparées les unes des autres, chacune d'elles a fait pour ainsi dire un cul-de-sac du chemin par où elle est entrée, etc. L'attraction de Newton n'est pas mieux traitée que les tourbillons de Descartes. Il cherche une faculté plus propre à découvrir la vérité que notre raison; il croit l'avoir trouvée dans cet instinct sublime appelé le sentiment, et sur ce point l'on ne saurait guère le blâmer; car il est très-évident que notre philosophe a bien les meilleures raisons du monde pour faire beaucoup plus de cas de la sensibilité que de la raison.

Son troisième volume présente l'application de ses principes à la nature même de l'homme. Il fait voir qu'il est formé de deux puissances, l'une physique, l'autre intellectuelle, qui l'affectent perpétuellement de deux sentimens contraires, dont l'un

est celui de sa misère, et l'autre celui de son excellence. Il prétend que tout ce qui nous paraît délicieux et ravissant dans nos plaisirs naît du sentiment de l'infini, ou de quelque autre attribut de la Divinité, qui se montre à nous à l'extrémité de nos perspectives; que nos maux et nos erreurs ne viennent que de ce que nous portons trop souvent le sentiment de l'infini sur les objets passagers de ce monde, et celui de notre misère et de notre faiblesse sur les plans immortels de la nature. Cela peut être fort sublime, mais cela n'est pas fort intelligible. Ce qui l'est beaucoup plus, ce sont ses vues sur l'intérêt général des sociétés, sur le moyen de réformer nos institutions politiques, de fournir au peuple plus de ressources de subsistances et de bonheur, enfin de ranimer chez lui l'esprit de religion et de patriotisme, sans lequel, dit-il, le bonheur d'une Nation est bientôt épuisé, quand on le composerait d'ailleurs des plans les plus avantageux de finances, de commerce et d'agriculture. Ces différens projets sont terminés par l'esquisse d'une éducation nationale; quelque chimérique que soit encore une grande partie de ces dernières vues, l'objet en est si important, l'âme honnête et sensible de l'auteur s'y peint d'une manière si vraie et si touchante, qu'on ne saurait les lire sans intérêt.

Nous venons d'indiquer la marche générale du Livre, mais ce n'est presque en donner aucune idée ; l'auteur s'en écarte à chaque instant, et ne saurait mieux faire; car le fonds de l'ouvrage ne porte

comme l'on voit, que sur des observations fausses, des principes de physique tout-à-fait erronés; il n'offre que des idées communes ou la métaphysique du monde la plus obscure; mais tout cela est mêlé de tant de peintures riches et variées, de tant de digressions intéressantes, que le talent de l'écrivain fait oublier à tout moment ce qu'il a dit ou ce qu'il va dire d'absurde et de ridicule; l'ensemble de l'ouvrage respire d'ailleurs une mélancolie si douce, une sensibilité si aimable, un amour si vrai pour tout ce qui est honnête et vertueux, que, si la critique n'en est pas entièrement désarmée, il ne peut manquer au moins de laisser une impression très-favorable à l'auteur.

Un Défenseur du Peuple à l'Empereur Joseph II, sur son Règlement contre l'Emigration. C'est une déclamation aussi respectueuse qu'elle est franche et hardie, et l'on ne peut en blâmer l'intention, puisqu'il s'agit de la défense des droits de l'homme et de sa liberté ; mais elle n'apprend rien de neuf. Le dessein de prouver que les émigrations sont nonseulement légitimes, mais utiles et commodes, nous rappelle la réponse du Roi de Prusse à un ministre de France (1), qui, en prenant congé de lui, s'avisa de lui demander très-officieusement ce qu'il pourrait obtenir du Roi son maître de plus agréable à Sa Majesté. Ah! si vous pouviez, lui dit le Roi, m'obtenir une seconde révocation de l'Edit de Nantes!

(1) M. le marquis de Valory.

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