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facile de trouver parmi les Lettres. Pour faire de ses Eloges une leçon utile, en parlant du Journal étranger, le principal ouvrage de l'abbé Arnaud, M. de Nivernois s'est attaché à développer les devoirs du journaliste; il a développé ensuite ceux de l'orateur du Barreau en s'adressant au récipiendaire. En qualité de journaliste, comment se refuser au plaisir de citer quelques traits du premier morceau ? On n'a jamais parlé avec plus de dignité d'un métier que la plupart de ceux qui l'ont fait n'ont que trop avili. "Dans un temps où le progrès "des connaissances inspire à tout le monde le goût "et l'émulation du savoir, mais où tout le monde ❝ n'a le temps ou n'a pas la patience d'étudier, "les Journaux sont utiles, peut-être même néces"saires; et l'emploi de journaliste est digne d'être "exercé par les meilleurs esprits · ; car le journaliste remplit une sorte de ministère public

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et légal.... ; c'est un rapporteur, ses fonctions "sont de rigueur, et il doit être impassible comme "la loi, etc."

Cette séance a été terminée par une des lectures les plus orageuses que nous ayons jamais entendues à l'Académie, des Réflexions de M. l'abbé de Boismont sur les assemblées littéraires; à ce titre, tout le monde comprit que ce serait une espèce de mercuriale pour la scène indécente qui s'était passée à la dernière séance, à l'occasion de l'ennuyeuse diatribe de M. Gaillard sur Démosthène ; et le public parut s'armer d'une attention toute nouvelle, comme

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pour se défendre d'une attaque qui semblait porter atteinte à ses droits. Malheureusement pour l'Académie et pour son orateur, l'assemblée était excessivement nombreuse et la moitié des auditeurs de. bout; attitude qui semble toujours disposer les hommes rassemblés à une plus grande liberté : malheureusement l'orateur s'était persuadé, je ne sais comment, que, pour gagner son auditoire et le rendre plus docile à la censure, il fallait commencer par l'égayer à tout prix. Cette ruse lui réussit on ne peut pas plus mal; ce n'est pas en se familiarisant avec ses juges qu'on leur en impose: en conséquencé, tout ce que M. l'abbé de Boismont avait pris la peine d'employer d'esprit et de grâce pour persuader an public de porter à l'avenir aux séances académiques plus d'indulgence et de réserve, ne servit qu'à produire un effet tout contraire à celui qu'il s'était proposé; jamais rien ne fut écouté avec plus d'impatience et de sévérité. Lorsqu'il se permit de dire, d'une manière au moins fort déplacée dans la bouche d'un ecclésiastique, que l'oisiveté nous promenait indifféremment à tous les Spectacles, à l'Académie, aux Variétés amusantes, même au Sermon, lorsqu'on pouvait espérer que le talent ferait oublier qu'on y parlait de Dieu; une voix de l'assemblée osa lui répondre assez haut:

Hé quoi! Mathan, d'un prêtre est-ce là le langage? Et la réflexion fut soutenue de murmures et de huées; on vit tout le cours de la lecture interrompu ainsi à chaque instant, ou par des éclats de rire, ou

par d'autres marques de désapprobation trop prononcées pour qu'il fût possible de s'y méprendre; mais voici sans doute la plus simple et la plus plaisante tout à-la-fois. L'orateur disait que l'Académie n'appelant point le public à ses exercices comme juge mais comme témoin, il devrait se borner à ne marquer son mécontentement que par le silence. A ce mot, d'un coin de la salle on entendit, à travers le tumulte et le brouhaha général, une voix claire et perçante crier Silence! silence! La justesse de l'à-propos, comme on peut croire, ne rendit point à l'orateur le respect et l'attention qu'on s'obstinait à lui refuser; mais il eut la fermeté de braver l'orage, ne parut pas se déconcerter un instant, et il n'y eut que les personnes très-attentives à le suivre qui s'aperçurent de l'empressement avec lequel il tâchait de gagner le port, ou, pour parler sans figure, la conclusion de son Discours.

Très-affligée d'avoir échoué dans cette tentative faite pour ramener le public à son devoir, l'Académie a décidé que, pour courir moins de risques d'être huée, il fallait avoir moins d'auditeurs. Cet arrêté a paru d'une décision géométrique; en conséquence, on donnera beaucoup moins de billets à l'avenir, et l'on tâchera surtout de les distribuer avec plus de choix et de précaution.

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Etudes de la Nature; par Jacques-HenriBernardin de Saint-Pierre. Trois volumes in-1, avec cette épigraphe:

Miseris succurrere disco.

M. de St-Pierre est déjà connu par un Voyage assez intéressant à l'Ile-de France, et par une théorie plus que romanesque sur le principe de la végétation des plantes et des fleurs; suivant lui, ce sont les produits divers de l'instinct d'animaux invisibles à qui elles servent d'enveloppe ou de demeure (1). Autant valait-il revenir aux formes plastiques de Cudworth, si l'on n'eût mieux aimé encore s'en tenir aux fables riantes de Flore et de Pomone.

Ses Etudes de la Nature ne sont, comme il nous l'annonce lui-même, que les débris, ou pour mieux dire, les premiers matériaux d'une Histoire générale de la nature dont il avait conçu, il y a quelques années, le projet, à l'imitation d'Aristote, de Pline, du chancelier Bacon et de quelques autres philosophes modernes.

S'il en faut croire M. de St-Pierre, il s'est proposé un plan; mais ce plan n'est pas facile à suivre à travers la foule et la confusion des détails dont il se trouve embarrassé. Il est clair cependant que l'objet essentiel, qu'il ne perd jamais de vue, est de justifier la Providence en développant tantôt avec beaucoup d'éloquence et de sensibilité, tantôt avec une dialectique fort arbitraire, plus souvent encore

(1) Il paraît reconnaître aujourd'hui lui-même combien cette opinion était imaginaire.

avec une subtilité pénible et minutieuse, le grand argument des causes finales. Il aperçoit dans tout ce qui existe, ou des contrastes heureux, ou des rapports harmoniques, et, comme le docteur Pangloss, il en conclut perpétuellement que tout dans la nature est au mieux. Je ne crois pas qu'aucun homme se soit encore avisé de reconnaître ou d'attribuer à la Providence plus d'attentions fines, plus de recherche de goût, plus de délicatesse de sentiment. Cette idée est poussée au-delà de toutes les mesures, et fait tomber quelquefois l'auteur dans la niaiserie, dans des futilités bizarres et puériles; mais elle lui inspire aussi très-souvent des peintures charmantes, pleines de grâce, de douceur et de poésie; son Livre n'est pour ainsi dire qu'un long recueil d'églogues, d'hymnes et de madrigaux en l'honneur de la Providence. Que nos grands philosophes après cela le dédaignent, le méprisent ou le persiflent; ce qu'un raisonnement peut avoir de faible ou de ridicule ne nous empêchera pas de sentir ce que l'image qui le suit nous offre de touchant et de vrai.

Il est si facile de déclamer contre l'ordre de la nature! Que cet ordre existe ou non, puisqu'il doit tenir à l'ensemble des choses, comment n'échapperait-il pas à la faiblesse de notre vue? On a donc beaucoup d'avantages lorsqu'on se permet d'argumenter contre l'Auteur de la nature, en faisant valoir tous les désordres apparens du monde moral et du monde physique; mais qu'y a-t-il à gagner dans cette audacieuse et triste lutte? On n'en peut sor

TOME III.

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