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de son fils, et qu'elle lui était accordée. Si quelque chose peut donner une idée des sentimens douloureux auxquels cette mère avait été en proie pendant huit mois, c'est celui que respire sa reconnaissance dans la lettre qu'elle adressa à M. le comte de Vergennes, en apprenant qu'elle lui devait la vie de son fils; le plus grand talent re produisit jamais rien de plus noble et d'aussi touchant.

SECONDE Lettre de madame Asgill à M. le comte de Vergennes.

"Epuisée par de longues souffrances, suffoquée par un excès de bonheur inattendu, retenue dans mon lit par la faiblesse et par la langueur, anéantie enfin, Monsieur, au dernier degré, il n'y a que mon extrême sensibilité qui puisse me donner la force de vous écrire.

Daignez accepter, Monsieur, ce faible effort de ma reconnaissance. Elle a été mise aux pieds du Tout-Puissant, et, croyez-moi, elle a été présentée avec la même sincérité à vous, Monsieur, et à vos illustres Souverains; c'est par leur auguste et salutaire entremise, ainsi que par la vôtre, que, moyennant la grâce de Dieu, j'ai recouvré un fils à la vie, auquel la mienne était attachée. J'ai la douce assurance que mes vœux pour mes protecteurs et pour vous sont entendus du Ciel à qui je les offre. Oui, Monsieur, ils produiront leur effet vis-à-vis du redoutable et dernier tribunal où je me flatte que vous et moi nous paraîtrons ensemble; vous, pour recevoir la récompense de vos vertus ;

moi, celle de mes souffrances. J'élèverai ma voix devant ce tribunal imposant. Je réclamerai ces registres saints où l'on aura tenu note de votre humanité. Je demanderai que les bénédictions descendent sur votre tête, sur celui qui, par le plus noble usage du privilége qu'il a reçu de Dieu, privilége vraiment céleste, a changé la misère en félicité, a retiré le glaive de dessus la tête d'un innocent, et rendu le plus digne fils à la plus tendre et à la plus malheureuse des mères.

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Daignez agréer, Monsieur, ce juste tribut de reconnaissance que je dois à vos sentimens vertueux. Conservez-le ce tribut, et qu'il passe jusqu'à vos descendans comme un témoignage de votre bienfaisance sublime et exemplaire envers un étrandont la Nation était en guerre avec la vôtre, mais dont la guerre n'avait pas détruit les tendres affections. Que ce tribut atteste encore la reconnaissance long-temps après que la main qui l'exprime aura été réduite en poussière, ainsi que le cœur qui dans ce moment-ci ne respire que pour donner l'explosion à la vivacité de ses sentimens; tant qu'il palpitera, ce sera pour vous offrir tout le respect et toute la reconnaissance dont il est pénétré.

"THÉRÈSE ASGILL."

Il y a eu, le jeudi 31 Janvier, une séance publique à l'Académie française, pour la réception de M. l'abbé Maury à la place de M. Le Franc de Pompignan. M. l'abbé Maury, auteur d'un Dis

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cours sur l'Eloquence de la Chaire et de plusieurs Panégyriques fort estimés, tels que ceux de saint Louis, de saint Augustin, et surtout celui de saint Vincent de Paul, quoique assez jeune encore, aspi+ rait depuis long-temps à la palme académique; mais les efforts même qu'il avait faits pour y parvenir l'en avaient éloigné. En voulant s'assurer également les suffrages et des gluckistes et des piccinites (car ce sont très-sérieusement ces deux partis qui divisent aujourd'hui l'Académie), il a eu le secret de se brouiller avec tous deux, et de les brouiller eux-mêmes davantage. Les piccinistes cependant, à l'exception de M. de La Harpe qui croit avoir personnellement à se plaindre de lui (1), lui ont pardonné, et c'est à la réunion de leurs suffrages qu'il doit le fauteuil. La circonstance d'ailleurs qui lui a été le plus favorable est le besoin qu'avait dans ce · moment l'Académie d'un prédicateur, celui de ses membres qui en avait fait jusqu'ici les fonctions, M. l'abbé de Boismont, ayant déclaré que son âge et sa santé ne lui permettaient plus de s'en charger. Aju ger M. l'abbé Maury par ses sermons, il faut conve

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(1) M. de La Harpe l'accuse d'avoir fait des démarches pour engager M. le comte de Schuwalof à composer contre lui une satire. Il s'est cru si philosophiquement obligé à s'en venger, que, retenu chez lui depuis plusieurs semaines par une maladie cutanée, il a couru le hasard de se faire beaucoup de mal pour le seul plaisir d'aller refuser sa voix à M. l'abbé Maury. Ce qui console, diton, M. de La Harpe du petit fléau dont il est affligé, c'est qu'il semble trahir enfin malgré lui le secret des bontés de Mlle. qui a u le caprice, j'ignore pourquoi, de ne jamais vouloir en convenir.

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nir que nous avons aujourd'hui peu d'orateurs chrétiens qui parassent plus dignes du choix de l'Académie; il n'en est guère sans doute qui puissent se trouver moins déplacés dans une assemblée de philosophes.

Ce qui a paru réussir le plus universellement dans le Discours de M. l'abbé Maury, c'est le commencement et la fin; les voici :

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"S'il se trouve dans cette assemblée un jeune homme né avec l'amour des Lettres et la pas❝sion du travail, mais isolé, sans appui, livré dans cette Capitale au découragement de la soli"tude, et si l'incertitude de ses destinées affaiblit "le ressort de l'émulation dans son âme abattue, "qu'il jette sur moi les yeux dans ce moment et

qu'il ouvre son cœur à l'espérance, en se disant à "lui-même Celui qu'on reçoit aujourd'hui dans "le sanctuaire des Lettres a subi toutes ces épreu

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Ce mouvement est tout à-la-fois sensible et neuf, modeste et touchant. On a trouvé également dans l'éloge qui termine ce Discours nne simplicité noble et majestueuss, digne de la grandeur d'un Roi sur lequel il semble que l'éloquence aurait dû avoir épuisé depuis long-temps toutes les ressources de la louange.

Quoiqu'on ne puisse blâmer M. l'abbé Maury de s'être appliqué dans tout le reste de son Discours, à rendre justice et au mérite personnel de M. Le Franc de Pompignan et à ses différens travanx lit

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téraires, on aurait désiré qu'il s'acquittât de ce dernier devoir un peu moins longuement; cette espèce d'analyse manque souvent de rapidité, de précision, quelquefois même de goût, et ne présente aucune vue nouvelle. Ce n'était pas une tâche aisée de rappeler les torts de M. de Pompignan avec l'Académie, ce fameux Discours où, au moment même qu'il venait d'être admis dans le sanctuaire des Lettres, il se permit d'insulter publiquenient ceux qui les cultivaient avec le plus de gloire. Si la manière dont M. l'abbé Maury a surmonté cette difficulté n'est pas très-heureuse, elle est du moins sage et mesurée.

On a remarqué dans le Discours de M. l'abbé Maury une recherche de style souvent pénible, plusieurs expressions fort hasardées; nous nous contenterons de citer celle-ci qui a été très-applaudie. Cet écrivain justement célèbre (il s'agit toujours de M. de Pompignan) entre aujourd'hui dans la postérité. Quelqu'un qui n'a pas voulu que ce néologisme fût perdu en a fait sur-le-champ le quatrain que

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Ce bourgeois dont Paris sifflait la vanité,

Et qui dans Montauban fut un second Virgile,

Maury l'a fait entrer dans la postérité,

Mais ce n'est pas parole d'Evangile.

A la bonne heure !

La réponse de M. le duc de Nivernois au ré cipiendaire a paru d'une facilité un peu négligée; mais c'est une négligence que le ton du monde qui l'accompagne rend aimable, parce qu'elle ne blesse

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