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pauvre femme l'ont adressée à l'Opéra: elle y est arrivée au moment où l'on faisait une répétition; elle a demandé M. et madame Le Grand. On lui a répondu que l'un et l'autre, noyés de dettes, avaient été forcés de quitter ce pays, et qu'on ignorait le lieu de leur retraite. Eh bien! a dit cette femme, je m'en doutais; sans mon mari, je n'aurais pas fait cette course. Viens, mon ami, a-t-elle ajouté à l'enfant qu'elle tenait à la main, retournons chez nous, c'est comme si nous n'avions rien fait. On a interrogé cette femme; elle a dit qu'elle nourrissait depuis cinq ans l'enfant dont elle était venue réclamer les parens à l'Opéra; mais que, puisqu'on ne savait pas ce qu'ils étaient devenus, elle allait retourner chez elle avec son nourrisson, qui n'en pátirait pas plus que s'il avait père et mère, et si elle-même n'avait pas encore huit autres enfans à nourrir. Ce peu de mots, dits avec cette simplicité d'une vertu qui croit ne faire que l'action la plus naturelle et n'en soupçonne pas même la générosité, ont ému vivement tous ceux qui l'entouraient ; il n'y a pas jusqu'aux acteurs subalternes du chant et de la danse qui n'aient oublié dans ce moment leurs propres besoins pour s'empresser de verser dans les mains de cette bonne femme le peu d'argent qu'ils pouvaient avoir. Quelques-uns d'entre eux, instruits de la représentation qu'on allait donner du Mariage de Figaro au profit des mères nourrices, ont cru remplir les vues de M. de Beaumarchais en lui adressant cette digne femme, et ils ne se sont point

trompés. Elle retourne dans son pays avec une somme qui la dédommagera de ses soins, qui lui prouvera toujours que son mari n'a pas eu tant de tort de lui faire entreprendre le voyage de Paris, mais qui ne récompensera jamais assez l'espèce d'insouciance généreuse avec laquelle, en apprenant l'impossibilité de retrouver le père et la mère de son nourrisson, elle le ramenait si tranquillement dans son village, sans plainte et presque sans regret

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Novembre, 1784,

Je n'ai jamais rencontré M. le baron de Tott dans le monde sans désirer de pouvoir lire ses Mémoires. Peu d'hommes en Europe ont été plus à portée que lui de bien observer; non-seulement il a vécu long-temps parmi les peuples dont il parle ; après avoir bien appris la langue et les usages dụ pays, il s'est trouvé engagé dans des liaisons intimes avec les hommes qui étaient à la tête de l'Etat; il les a vus dans des circonstances difficiles où ses services ont été d'une grande utilité, où le besoin qu'on avait de lui rendait la confiance indispensable, où ce qu'on aurait même eu le plus d'intérêt à cacher ne pouvait guère échapper à ses regards; enfin c'est au milieu des soins et des travaux de l'existence la plus active qu'ont été recueillies les Observations qu'il vient de publier, 4 volumes in-8°, sous le titre de Mémoires du baron de Tott sur les Turcs et les Tartares.

On a reproché à ces Mémoires d'être trop dé

cousus ou de ne l'être pas assez, c'est-à-dire de manquer ordinairement de suite, et d'affecter cependant quelquefois des transitions inutiles, qui, loin d'ajou ter à l'intérêt de la narration, ne servent qu'à la ralentir. On leur a reproché encore beaucoup de négli gences, beaucoup de fautes de langage, et l'on n'a pas eu tort; on a remarqué que ces fautes, ces négligences étaient d'autant plus sensibles, que le style de l'auteur n'est pas toujours exempt d'emphase et de prétention; cette critique paraît encore assez fondée: on a observé de plus que les choses les plus intéressantes se trouvaient confondues avec les détails les plus insignifians; qu'une minutie était souvent racontée avec plus d'appareil, plus de complaisance que le fait le plus important ou le plus curieux, et que dans beaucoup d'endroits le récit manquait tout à-la-fois et de précision et de clarté. Ces remarques sont au moins sévères; mais, fussent-elles encore plus justes, elles ne sauraient faire oublier tout ce que l'ouvrage de M. de Tott offre d'instruction et d'intérêt. Nous n'avons rien lu qui puisse donner une idée plus vraie et du gouvernement et des mœurs de la Nation turque. Ce ne sont pas des dissertations sur les formes de l'administration de cet empire, sur la nature ou l'origine de ses usages, sur les principes de sa politique et de sa religion; ce sont des anecdotes précieuses et qui portent toutes le cachet d'une observation exacte, des faits isolés, mais d'une importance remarquable, des traits épars à la vérité, mais dont le rapprochement est très-propre à faire ressor

tir le caractère dominant de la Nation. L'auteur vous présente les objets tels qu'ils se sont offerts à ses yeux ; il ne peint que ce qu'il a pu voir lui-même; mais peu de voyageurs ont eu les mêmes moyens que lui de bien voir; c'est un observateur presque toujours en action, et chargé souvent d'un rôle infiniment pénible, infiniment délicat. L'intérêt qui l'a guidé dans ses Observations se communique à ses récits, leur imprime un mouvement plus vif, plus animé, et le place souvent lui-même dans le tableau d'une manière originale et piquante. Occupé des négociations les plus embarrassantes, sa présence d'esprit n'est jamais en défaut, son activité supplée à tout; les ressources qui lui manquent au dehors, il les trouve dans sa propre industrie. Ambassadeur dans une Cour où il n'y a pas une maison logeable, il devient architecte et se bâtit un hôtel. S'agit-il de faire déclarer la guerre à un peuple qui manque d'artillerie, il s'engage à lui fournir des canons, et à l'aide de quelques pages de l'Encyclopédie il établit une fonderie, et y réussit au-delà même de ses propres espérances; c'est vraiment le Robinson des négociateurs.

Le premier volume des Mémoires de M. de Tott contient le Journal de son premier séjour en Turquie; le second celui de sa résidence auprès du Kan des Tartares, et de l'expédition qu'il fait avec lui dans la nouvelle Servie; le troisième, celui de son séjour à Constantinople: on y apprend les services qu'il rendit à la Porte pendant la dernière

guerre pour la défense des Dardanelles, pour la formation d'un nouveau corps d'artillerie, d'une école de mathématiques, etc. Le quatrième volumé est le Journal de son dernier voyage aux Echelles du Levant, où il avait été envoyé par le Gouvernement pour inspecter les différens établissemens du commerce de France. Quelque abrégée que soit Fa description qu'il fait de l'Egypte, elle nous a paru donner sur ce pays des notions également neuves et intéressantes.

CHANSON, par M. le marquis de Champcenetz.

Sur l'air de Grégoire, de Richard Cœur de Lion,

Que maintenant dans Paris
Nos héros, nos beaux-esprits
Forment mille compagnies,
Salons, Clubs, Académies,
Et que je ne sois de rien,

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