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Cette

Parnasse implorer les dons des neuf Soeurs. allégorie mythologique n'a pas paru assez neuve, et la transition qui la prépare un peu brusque et un peu forcée. Il semble cependant que la manière dont M. de La Harpe a conçu la fable de ce second Chant était faité pour y répandre cette abondance et cette variété d'images, l'âme de la poésie et sa plus éclatante parure; mais ce qui manque essentiellement à l'effet de ce tableau, c'est le coloris; pour être animé il avait besoin de cette imagination vive, ardente, sensible, riche d'idées, plus riche encore d'expression, qui donne la forme et le mouvement à tout ce qu'elle conçoit, qui embellit tout ce qu'elle touche, qui anime du souffle divin de la vie tous les objets qu'elle décrit, qui les entoure continuellement et avec art d'une vapeur vive et légère, et répand sur eux à pleines mains les touffes variées des plus brillantes fleurs; c'est avec ce sentiment de la poésie, don céleste qui tient autant à la sensibilité de l'âme qu'au feu de l'imagination, qu'il eût fallu chanter les Arts et les Arts cultivés par la main des Grâces et embellissant la beauté même.

On n'a retenu que deux vers de ce Poëme. Le premier offre, avec un rapprochement trop usé, le sentiment si louable du pardon des injures (1); c'est celui qui termine la tirade consacrée à l'Eloge de madame la comtesse de G........:

Un théâtre d'enfans fut celui de sa gloire.

(1) Voyez le portrait de M. de La Harpe, sous le nom de Damoville, dans le Conte des Deur Réputations des Veillées da Château.

Le second,

Tout le Nord est soumis ou tremblant sous sa loi (1), est dans l'éloge de Catherine II, qui finit ce Chant de la manière la plus heureuse.

Et quel autre nom choisir pour présenter réunis dans un seul objet tous les traits épars dans les portraits des différentes femmes célèbres dont M. de La Harpe a voulu consacrer, dans ce Chant, et les talens et l'amour pour la gloire? Mais telle est la fatalité attachée au faire de ce peintre, qu'on n'a voulu apercevoir dans ce tableau que de grandes actions rendues sans enthousiasme, et le crayon insignifiant des traits du plus grand caractère du siècle. C'est pour la première fois que l'on a vu dans cette assemblée des vers, lus après des Discours en prose,

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(1) M. de Calonne, contrôleur-général, qui assistait à cette séance, dit à la fin de cet Eloge, d'ailleurs si juste et si bien mérité, mais qu'il eût sans doute été convenable de ne pas exprimer ainsi devant un autre Souverain du Nord: 'Je ne sais pas si ce morceau est poétique; mais je sais bien qu'il n'est pas politique. N'oublions pas de remarquer encore que le poëte exhorte dans cet Eloge Catherine II à se presser d'achever la conquête de Constantinople, de venger les femmes de la tyrannie du sérail, et de rétablir en Grèce l'empire des arts et de la beauté. C'est à côté de l'ambassadeur destiné à partir incessamment pour la Cour de Sa Hautesse que notre adroit poëte invite Cathernie II à cette auguste conquête. Il est vrai que cet ambassadeur, M. de Choiseul-Gouffier, lui avait donné très-éloquemment le même conseil dans son Voyage de Grèce; mais on en fait, dit-on, dans ce moment une nouvelle édition où cet article sera entièrement supprimé. Ce qui nous rassure, c'est que les vers et la prose de ces Messieurs ont réglé rarement le sort des Nations et des Empires, sans quoi nous les supplierions de vouloir bien être un peu plus d'accord avec euxmêmes.

tomber deux à deux sans obtenir presque un seul signe d'applaudissement. Il est vrai que la froideur avec laquelle on a écouté le début presque prosaïque de ce Chant a ôté à M. de La Harpe le talent qu'il a de lire supérieurement les vers et surtout les siens son amour-propre au supplice semblait avoir éteint ses moyens, et son gosier, comprimé par la réaction de l'orgueil humilié, a fini par ne plus rendre que des sons rauques et inarticulés qu'étouffait graduellement le sentiment d'un silence qui s'accroissait à mesure que le poëte avançait dans sa lecture; plusieurs beaux vers n'ont point été entendus; aussi madame P...., ancienne amie de M. de La Harpe, l'a-t-elle abordé après la séance, en lui disant avec une ingénuité toute spirituelle ces paroles consolantes: Qu'aviez-vous donc, Monsieur, pour lire si mal aujourd'hui ? Peut-on faire tomber ainsi les plus beaux vers du monde ?

L'amour-propre des spectateurs a vu avec peine que, dans une circonstance aussi solennelle que flatteuse pour la Nation, le seul poëte dont elle puisse se glorifier aujourd'hui ne lût pas devant M. le comte de Haga quelques-unes de ses productions toujours si vivement applaudies; mais on a été consolé de cet effet d'une petite intrigue, à la faveur de laquelle le secrétaire de l'Académie avait écarté M. l'abbé Delille, qui s'était offert à lire, pour lui substituer M. de La Harpe, qui feignait n'en avoir pas envie.

M. le duc de Nivernois a lu, après M. de La

Harpe, plusieurs de ses Fables, dont le plan si simple, le dialogue si naturel et si facile, le style si analogue à ce genre de poésie, présentent la morale la plus utile et la plus aimable; ces Fables ont été reçues avec transport. M. le comte de Haga a paru prendre à cette lecture le plus vif intérêt; le public, qui croyait lire ce sentiment dans ses yeux, s'est permis plusieurs fois d'en demander encore une à haute voix; M. le duc de Nivernois en a lu huit ; le hasard l'a presque toujours fait tomber sur des Fables, dont la lecturé, en honorant le caractère de celui devant qui on osait la faire, annonce qu'il offre personnellement le modèle des vertus que leur mo→ rale enseigne aux Souverains.

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› M. le comte de Haga s'est rendu, après la séance, dans la salle particulière des académiciens, où sont les portraits de tous ceux qui ont composé l'Académie depuis qu'elle existe jusqu'à ce jour, et les portraits des grands Princes qui l'ont honorée de leur présence. M. le comte de Haga y a vu le sien, dont il a fait don à l'Académie, à côté de celui de la fameuse reine Christine. Il a adressé la parole à tous les académiciens qui avaient assisté à cette séance; il a reconnu tous ceux qui composaient l'Académie lors de son premier voyage; il en est peu à qui il n'ait dit des mots flatteurs et fins sur leurs ouvrages; manière la plus délicate dont un Souverain puisse louer des gens de lettres. Il a demandé et reçu de l'air le plus affable et le plus obligeant M. Suard; on l'a vu lui parler un instant

M.

bas et à l'oreille. Nous croyons savoir ce que le comte de Haga a dit à cet académicien; les paroles des Rois les plus secrètes ne se perdent jamais; l'air même qui les entend en silence suffirait pour les répandre, si ceux à qui ils daignent les adresser ne les confiaient pas quelquefois à leurs amis avec la réserve d'un mystère respectueux. M. le comte de Haga voulait faire sentir à M. Suard que sa tirade indirecte sur la comédie du Mariage de Figaro ne lui avait pas échappé: il lui a dit: Vous n'y allez pas de main morte, Monsieur, et vous frappez fort.-M. le Comte me permettra de ne pas paraître l'entendre.-Je vous entends, moi; mais je n'ai point applaudi à cette partie de votre Discours pour ne pas m'interdire le plaisir de revoir la pièce encore une fois.

C'est ainsi que s'est terminée une séance qui a paru occuper agréablement un grand Roi, et que n'oublieront jamais ceux qui ont eu le bonheur de le voir honorer par sa présence le sanctuaire de la Lit térature française.

CHANSON de M. le marquis de Montesquiou.
Sur l'air du Serin qui te fait envie.

O toi qui reçois d'Emilie

Le joli nom de petit chat,
Bel objet de sa fantaisie,

Je pourrais te croire un peu fat:
Quand d'une caresse nouvelle

Elle t'honore tous les jours,
Tu crois être quitte avec elle
En faisant pate de velonrs.

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