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LA Résidence.

Un évêque de grande mise,
Et dont le nom me reviendra,
Payait du trésor de l'Eglise

Une actrice de l'Opéra.

Tandis qu'à Paris, à Versailles,
Pour édifier ses ouailles,
Il faisait chaudement sa cour
A l'Amour,

Un mot lâché dans une thèse
Sur l'origine des pouvoirs,
L'appelle dans son diocèse.

Notre grave Prélat, fidèle à ses devoirs,
S'en fut prendre congé de sa belle Thérèse,
On se jura fidélité,

Foi d'Apôtre et d'honnête femme;

Mais contre les sermens faits dans la volupté
Bien souvent l'on proteste, et le plaisir réclame
Les douceurs de la liberté.

L'Evêque part, un Abbé lui succède,

Un Juif après est écouté,

Puis mylord Spleen, qui la prend pour remède

Par ordre de la Faculté ;

Preuve que le plaisir est bon pour la santé.

Mylord des médecins remplissait la formule,

Quand l'Evêque revint, jeûnant depuis deux mois. Il ouvre le boudoir....Quel affront! il recule,

Et témoin du forfait, il élève la voix.

Mais Thérèse avec assurance

Lui dit: Calmez votre fureur.

A la cour de Vénus il n'est point de dispense.
Apprenez que dans la rigueur

Une maîtresse est libre après trois jours d'absence.
Ce bénéfice, Monseigneur,

Quoiqu'à simple tonsure, exige résidence.

Télèphe, en douze livres, avec cette épigraphe :

Et quorum pars magna fui... VIRC.

Un volume in-8vo, par M. Pechméja (on prononce Péméja), auteur d'un Eloge de Colbert, qui a obtenu l'accessit du prix de l'Académie française, remporté par M. Necker en 1773, d'un petit pamphlet plein d'esprit et de raison contre les détracteurs des. Administrations provinciales, et de quelques morceaux insérés dans la première édition de l'Histoire philosophique et politique de l'abbé Raynal, entre autres de l'éloquente diatribe sur le commerce des nègres, etc. De la même province que le célèbre historien des deux Indes, à son arrivée à Paris il se vit d'abord réduit à faire le triste métier de précepteur. Le mauvais état de sa santé et la modicité de sa fortune le déterminèrent ensuite à se retirer à Saint-Germain-en Laye, auprès de son ami le docteur Dubreuil. C'est dans cette retraite qu'il conçut, il y a huit ou neuf ans, la première idée de l'ouvrage que nous avons l'honneur de vous annoncer, et ce n'est que l'automne passé qu'il s'est senti la force de l'achever. Plusieurs grandes dames, mesdames de La Mark, de Beauvau, de Tessé, qui passent une partie de l'année à Saint-Germain, et qui ont rendu depuis long-temps aux qualités personnelles de l'auteur la justice qui leur est due, ont bien voulu prendre l'ouvrage sous leur protection et se sont chargées d'en faire la fortune. Quoiqu'elles n'aient pu lui gagner tous les suffrages qu'il

leur paraissait mériter, elles ont su lui procurer du moins l'éclat d'une célébrité qu'il n'eût guère obtenue s'il n'eût paru dans le monde que porté sur ses propres ailes.

En demandant à l'auteur quel est l'objet qu'il s'est proposé dans la composition de cet ouvrage, peut-être l'embarrasserait-on beaucoup. Ce n'est pas sans doute pour s'amuser lui-même, encore moins ses lecteurs, qu'il a pris à tâche de rassembler de toutes parts tant d'idées et tant d'images également tristes sur la destinée de l'homme, sur l'injustice de l'oppression, sur la nécessité d'être vertueux et le peu de bonheur que l'on peut espérer de la vertu même la plus pure.

Si Télèphe avait été moins prôné, on se dispenserait volontiers d'en dire davantage; mais l'espèce de sensation que ce Livre a paru faire dans plusieurs sociétés exige de notre impartialité une critique plus étendue et plus réfléchie. Tel qu'il est, et malgré le péché originel qu'on vient de lui reprocher, on croit devoir assurer d'abord tous ceux qui auront une résolution assez opiniâtre pour le lire d'un bout à l'autre qu'ils y reconnaîtront nonseulement l'ouvrage d'un homme d'esprit, mais encore celui d'une âme très-honnête et très-sensible; qu'ils se trouveront même quelquefois dédommagés de leurs efforts par d'heureux détails, par des beau tés de style d'un ordre supérieur, par des pages entières d'une éloquence forte et touchante.

TOME. III

M

On a vu dans nos bureaux d'esprit des acadé miciens et des femmes académiques oser mettre Télèphe à côté de Télémaque, et, si on les eût fâchés, tout prêts à le placer au-dessus de cet immortel chef-d'œuvre; mais serait-ce la peine d'examiner sérieusement une comparaison aussi ridicule? Celle qu'on pourrait faire de cet ouvrage avec Séthos, les Incas, la Cyropédie de Ramsay, serait moins disproportionnée ; à les comparer cependant sans prévention pour l'auteur de Télèphe, ne trouverait-on pas dans le Roman de l'abbé Terrasson, tout mal écrit qu'il est, beaucoup plus d'idées, une morale plus intéressante et plus variée, avec infiniment plus d'imagination? Ne serait-on pas forcé de convenir encore que les Incas, quelque ennuyeuses qu'en soient plusieurs parties, présentent un objet tout autrement intéressant, des tableaux bien plus neufs, des contrastes plus heureux, une philosophie plus douce et plus intéressante? Quoique le Cyrus de Ramsay ne soit qu'une imitation très-faible et trèsmesquine d'un ouvrage qui n'aura pas plus de vrais imitateurs qu'il n'a eu de vrais modèles, u'avouerat-on pas aussi que la fiction en est plus claire, et si ce n'est pas plus attachante, au moins plus raisonnable et plus suivie? Si l'on voulait s'obstiner à comparer des productions qui ne sont guère faites pour entrer en comparaison, il faudrait dire que Jes Incas sont le Télémaque du siècle encyclopédique, et Télèphe celui de la confrérie des économistes. A la bonne heure!

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Qu'il nous soit permis de terminer cet article par une folie; elle a eu assez de succès pour être comparée à ces gens qui n'étaient pas faits pour être reçus dans la bonne compagnie, mais qu'on y trouve cependant, parce qu'un heureux hasard les a mis à la mode; c'est le calembour d'une femme d'esprit (madame P....) dont les mœurs, le ton et le goût se sont formés dans la société de nos gens de lettres, et nommément de M. de La Harpe. Que pensez-vous, lui disait-on, de Télèphe ? — De Télèphe ? répondit-elle; mais qu'il y a tel F que j'aimerais beaucoup mieux que cela.

Pour l'intelligence de ce mot, il est bon de savoir que Telèphe est la traduction d'un mot grec qui signifie perfection.

Avril 1784.

EPITAPHE d'un preux Gentilhomme, qui mourut au retour de la première croisade.

Ci-gît un brave Chevalier (1)
Dévot, courtois, de bonne mine,
Qui perdit dans la Palestine
Un œil, un bras, son écuyer,
Et vint mourir, sur son fumier,
De la peste et de la famine.

C'est le mardi 27 qu'on a vu paraître enfin, sur le Théâtre français, la Folle Journée, ou le Mariage de Figaro, cette célèbre comédie de l'illustre (1) Olivier Larcher de La Touraille, ancienne maison de Bretagne.

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