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le fonds de ses meilleurs écrits, et ce censeur amer de la frivolité nationale n'a fait cependant lui-même que des Livres très-frivoles. Les premiers parurent du moins écrits avec une sorte de légèreté ; mais cette légèreté n'était point du tout le caractère naturel de son esprit ; sa conversation fut toujours pesante et pénible, et ses derniers ouvrages ressemblent beaucoup trop à sa conversation.

Jacques de Vaucanson, de l'Académie royale des Sciences, est mort à Paris le 22 Novem bre 1782.

Ses Automates et nommément son célèbre Flúteur lui assurent la réputation d'un des plus ingénieux mécaniciens de notre siècle; et ces prodiges ne furent en quelque sorte que les jeux de son enfance. Il a fait une application plus utile et de ses connaissances et de son génie dans la construction de moulins établis par lui à Aubenas et ailleurs, pour simplifier la dépense de la main-d'oeuvre et perfectionner la préparation des organsins. sait qu'il avait encore inventé un métier avec lequel un enfant pouvait exécuter nos plus belles étoffes de Lyon, et que les ouvriers de cette ville se révoltèrent lorsqu'ils en virent l'expérience, trop économique pour leurs intérêts. Nous tirons cette anecdote d'une lettre de madame de Meynières aux auteurs du Journal de Paris.

On

Depuis long-temps il n'y a guère eu de tragédie nouvelle, dans le nombre même de celles qui prouvaient le plus de talent, qui ne servît à confirmer une observation qu'on a pu se rappeler plus d'une fois en parcourant nos différens théâtres ; c'est que le cercle de combinaisons dont notre systême dramatique paraît susceptible est infiniment borné, que les ressources en sout épuisées, et qu'il est peut-être impossible au génie même d'obtenir encore aujourd'hui quelques succès dans cette carrière, sans s'y frayer des routes absolument nouvelles. Si M. Ducis, guidé par Sophocle, l'avait déjà tenté assez heureusement dans son Edipe chez Admète, appuyé sur Shakespear, il vient de l'entreprendre avec plus de hardiesse encore dans son Roi Lear. Quelle idée en effet plus extraordinaire que celle d'oser présenter sur la scène française le tableau d'un Roi dépouillé par ses propres enfans, et que ses malheurs et son désespoir ont rendu tour-à-tour imbécille et furieux! Quelques reproches qu'on puisse faire d'ailleurs au plan et à la conduite de l'ouvrage pour mériter notre admiration, ne serait-ce point assez d'être parvenu à nous intéresser par un tableau si neuf, si hasardé sans doute, mais tout à-la-fois si vrai, si profondément tragique ? Un tel jugement pourrait être mal justifié par l'analise de ce singulier ouvrage ; mais en montrant la pièce dépouillée de l'illusion qui peut seule en faire supporter les invraisemblances, les disparates, les absurdités même, nous

nous efforcerons cependant de donner une idée de l'impression qu'elle nous a paru faire, malgré tant de défauts, sur tous les cœurs, sur toutes les imaginations sensibles.

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Cette tragédie, donnée à la Cour, le jeudi 16, a été représentée, pour la première fois, à Paris, le lundi, 20. La scène, au premier acte, est dans un château du duc de Cornouailles. M. Ducis a rejeté dans l'avant-scène tout ce qui tient à l'action principale du premier acte de la pièce anglaise, Le roi Lear a déjà partagé son royaume entre ses deux filles, Volnérille et Régane. La première est mariée au duc d'Albanie; la seconde au duc de Cornouailles; la troisième, qu'il a déshéritée, n'épouse point, comme dans Shakespear, le roi de France; persécutée par son père et par ses sœurs, elle n'a d'autre asile que la cabane d'un vieux ermite, habitant la forêt voisine du château où le duc de Cornouailles est venu s'établir avec le duc d'Albanie, pour observer de plus près le mouvement des rebelles rassemblés, dit-on, dans cette contrée pour favoriser l'invasion dont Ulrich, roi de Danemarck, menace leurs états. Cet Ulrich est l'époux que Lear destinait à sa fille Elmonde. On lui fit craindre les suites dangereuses que cet hymen pourrait avoir pour le repos de l'Angleterre; et le projet de cet hyménée ne fut pas plutôt rompu, qu'on accusa Elmonde d'avoir conservé avec ce Prince des relations secrètes et perfides. C'est cette calomnie qui servit de prétexte à l'exil de la Princesse, et qui fut la cause de tous ses malheurs.

On ne reproche point à M. Ducis d'avoir supposé tous ces événemens antérieurs à l'action du Poëme; on lui reproche encore moins d'avoir cherché à donner à l'injustice de Lear envers Elmonde un motif moins frivole et moins puéril; mais ce qu'on a de la peine à lui pardonner, c'est l'embarras d'une exposition qui, sans un degré d'attention peu commun, ne saurait être entendue, et qui, suivie même avec cette grande attention, n'en paraît encore à beaucoup d'égards ni plus claire, ni plus inté

ressante.

Il serait sans doute très-inutile de faire observer combien le dénouement est romanesque et forcé ; combien la conduite générale de l'ouvrage est vicieuse; combien les différentes parties en sont mal liées. La pièce de Shakespear, chargée d'épisodes, infiniment plus compliquée, infiniment plus extravagante encore, est cependant plus claire et plus suivie. Si, dans cette singulière production, tout ce qui exigeait de l'esprit et du jugement a paru aussi mal exécuté que mal conçu, il faut avouer aussi que presque tout ce qui ne supposait que du génie, de la sensibilité, et cet instinct dramatique dont la réflexion ne saurait atteindre les sublimes élans, est fort au-dessus de tout ce que nous avions vu depuis long-temps au Théâtre. M. Ducis ne sait point combiner un plan; il ignore l'art d'enchaîner heureusement toutes les circonstances qui peuvent constituer une action intéressante et vraie; mais son TOME III.

C

talent s'est fait des ressources indépendantes de cet art; il les a trouvées dans une sensibilité douce, vive et profonde. S'il dispose mal les événemens de la scène, il en prépare admirablement bien les impres sions; le spectateur se trouve entraîné comme malgré lui à recevoir celles qu'il veut lui faire éprouver, et ce secret, M. Ducis ne l'eût-il appris que de son propre cœur, vaut bien tous ceux d'Aristote et de l'abbé d'Aubignac. Les plus belles scènes du second, du troisième et du quatrième actes, pour être indiquées dans Shakespear n'en sont pas moins à lui; les développemens de la dernière lui appartiennent pour ainsi dire en entier, et sont, sans doute une des conceptions les plus originales qu'on ait jamais ha¬ sardées sur la scène française.

Il n'y a que deux rôles dans cette pièce; celui de Lear et d'Elmonde, ou, pour mieux dire, il n'y en a qu'un, c'est le premier, et celui là est rendu par le sieur Brizard d'une manière étonnante; le caractère de sa voix si noble et si naturelle, la simplicité de son jeu, sa belle tête et ses beaux cheveux blancs, tout contribue à en augmenter l'intérêt, à conserver même aux traits les plus naïfs je ne sais quoi d'auguste et d'imposant. Madame Vestris, qui joue le rôle d'Elmonde, nous a paru faire surtout un grand effet dans la dernière scène du troisième acte.

La pièce a eu beaucoup de succès à la ville et à la Cour. On a demandé l'auteur, mais sans trop d'empressement, le dernier acte ayant moins réussi les autres; l'auteur a cependant eu la faiblesse

que

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