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curieux. Parmi les pièces produites au procès de Marie Stuart on trouvé les lettres de cette Reine infortunée au comte de Bothwell. Ce sont des monumens d'une passion effrénée, et qui ne laissent aucun doute de la part qu'eut Marie à l'assassinat d'un époux dont le poison, tenté précédemment, n'avait pu la défaire. Tous les historiens ont remarqué que l'époux de la Reine était le plus bel homme de son temps; que Bothwell au contraire, d'une figure très-commune, était universellement décrié pour ses mœurs. M. de La Place ajoute niaisement qu'il avait probablement des qualités et des talens faits pour plaire aux femmes de ce temps-là.

Il y a beaucoup de minuties dans la suite du Mémorial de M. Duclos, et parmi ces minuties des bruits populaires adoptés avec une légèreté incroyable.

Ce qu'il y a de plus intéressant dans la suite de ce Mémorial, ce sont quelques anecdotes sur l'élection de l'Empereur Charles VII, sur les vrais motifs de la guerre qui en fut la suite; plusieurs fragmens des lettres écrites à ce sujet au cardinal de Fleury par le Roi, la Reine d'Espagne et Madame Infante. On ne peut rien imaginer de plus empressé, de plus caressant que toutes les sollicitations que ces deux Princesses employaient auprès de Sa vieille Eminence, pour l'entraîner dans une guerre dont ses vues et son caractère devaient l'éloigne également.

Les détails sur la maladie et les vapeurs de Philippe V offrent un spectacle aussi curieux qu'affligeant.

Le fragment d'une lettre de M. le Régent au Roi d'Espagne méritait d'être conservé; c'est la copie d'une minute écrite de la main du Prince et pleine de ratures, trouvée, en 1733, chez une beurrière. L'authenticité du morceau a été reconnue, dit-on, par MM. Melon, Fourmont, Fontenelle et Lancelot. Cette lettre, du ton le plus ferme et le plus vigoureux, retrace en peu de mots tous les mal-. heurs attirés sur la France par les efforts faits en faveur de l'Espagne.

On ne lira pas sans intérêt une anecdote concernant la maison de Courtenay, descendante de Pierre de France, septième fils du Roi Louis-le-Gros, qui, en épousant la fille de Josselin de Courtenay, prit le nom de sa femme; les réflexions historiques sur la mort de Henri IV, copiées sur un manuscrit de la main d'Augustin Conon, avocat au Parlement de Rouen, réflexions qui ne confirment que trop les soupçons formés contre Marie de Médicis et le duc d'Epernon; une lettre fort touchante de Jacques II à Louis XIV, après la malheureuse affaire de la Hogue; l'histoire chevaleresque de Raynard de Choiseul et d'Alix de Dreux; le portrait d'un contrôleur-général, par Fontenelle; de fort belles instructions de Catherine de Médicis à Charles IX.

L'anecdote d'Anne Oldfields, célèbre actrice du Théâtre de Londres, qui dans ses derniers mo

mens s'occupait avec tant d'inquiétude de la toilette qu'on aurait à lui faire après sa mort, nous rappelle un trait du même genre de madame la princesse de Charolais. Quoiqu'elle fût à l'agonie, on eut beaucoup moins de peine à la déterminer à recevoir ses Sacremens qu'à ôter son rouge; ne pouvant plus résister aux instances de son confesseur, elle y consentit enfin; mais en ce cas, dit-elle aux femmes qui l'entouraient, donnez-moi donc d'autres rubans ; vous savez bien que sans rouge les rubans jaunes me vont horriblement. On ne peut soutenir l'idée d'étre laide méme après sa mort, ce furent les dernières paroles d'Anne Oldfields.

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Cécilia, ou Mémoires d'une Héritière, par l'auteur d'Evelina, traduits de l'anglais. Cinq volumes in-12. C'est un des meilleurs Romans qui aient paru depuis long-temps en Angleterre ; le pathétique des situations, l'intérêt et la variété des caractères dont la plupart sont fortement prononcés et tous très-bien soutenus, en rendent la lecture aussi attachante qu'elle peut être instructive; quoique la marche générale en soit un peu lente, le dénouement assez romanesque et un grand nombre de détails trop minutieux, cet ouvrage suppose tout à-la-fois une grande connaissance du cœur humain, l'imagi nation la plus féconde et la plus sensible. Si, comme on l'assure, c'est une jeune personne qui en est l'auteur, c'est un vrai prodige. Nous ignorons à qui nous en devons la traduction; mais l'extrême

négligence du style annonce qu'elle a été faite fort à la hâte, et c'est un tort qu'on a de la peine à pardonner; l'auteur de Cécilia méritait bien de parler notre langue avec plus de grâce et de pureté.

Mars 1784.

La continuité d'un hiver des plus rigoureux ayant accru successivement la misère de la partie indigente des habitans de Paris, les acteurs des divers spectacles se sont fait un devoir de consacrer au soulagement des pauvres le produit d'une de leurs représentations, et de seconder par un emploi si honorable de leurs talens les vues de bienfaisance et d'humanité dont le Roi et la Reine avaient donné le premier exemple aux divers ordres des citoyens de cette Capitale.

En conséquence, les Comédiens français ont donné, le 3 Mars, au profit des pauvres, la première représentation de Coriolan, tragédie de M. de La Harpe. L'auteur a saisi avec empressement une circonstance aussi favorable pour offrir au public cette nouvelle production. Ses vues et celles des Comédiens ont été remplies de la manière la plus satisfaisante; l'affluence du public a porté la recette à 10,330 liv., et les applaudissemens accordés à cette première représentation ont été la juste récompense d'un désintéressement si bien calculé. Tous les auteurs de nos Théâtres des boulevards se sont empressés de le suivre, et l'ont vu couronné par le même succès.

MM. de Chamfort et Rhulière s'étaient égayés d'avance sur cette nouvelle Tragédie et sur l'attention de l'auteur à la produire dans une circonstance où des motifs d'humanité, rassemblant de nombreux spectateurs, devaient encore les disposer à l'indulgence.

Voici l'épigramme de M. de Chamfort.

Pour les pauvres la Comédie
Donne une pauvre Tragédie;
Nous devons tous en vérité
Bien applaudir par charité.

Voici celle dé M. de Rhulière:

Ci-gît le dernier des enfans

Des malheureux Coriolans,

Qu'un jour voit naître et qu'un jour tue.
N'êtes-vous pas bien étonnés

Qu'une maison se perpétue

Par des enfans toujours mort-nés?

M. de La Harpe n'a pas dédaigné de répondre à ces gentillesses par des personnalités assez piquantes.

Connaissez-vous Chamfort, ce maigre bel-esprit,

Et ce pesant Rhulière à face rebondie?

Tous deux sont pleins de jalousie ;

Mais l'un en meurt et l'autre en vit.

*

Ce qui gâte un peu le plaisir de cette vengeance, c'est qu'on s'est trop bien souvenu que le mot de l'épigramme n'était pas de lui; il y a long-temps que l'abbé Arnaud l'a dit pour la première fois.

'Aucun sujet n'a paru aussi souvent sur le Théâtre français que celui de Coriolan, et ce trait historique qui offre un caractère si éminemment dra

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