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la liberté de quelques hommes sans aveu, que le ministère de France ne daigne pas même réclamer? Que ne demande-t-il plutôt la liberté de tous les confédérés ?...."

On a donné, le lundi 12 Janvier, la première représentation de Macbeth, tragédie nouvelle, de M. Ducis.

'C'est déjà le quatrième drame de Shakespear que M. Ducis essaie de transporter sur la scène française; mais il n'y a que la considération que lui ont acquise ses qualités personnelles et le succès de ses derniers ouvrages, Edipe et le Roi Lear, qui aient garanti celui-ci d'une chute presque décidée à la première représentation. Les deux premiers actes avaient été écoutés très-favorablement ; le troisième, où commencent les remords de Macbeth, n'avait éprouvé qu'un silence sévère, interrompu même encore par quelques applaudissemens donnés à l'énergie profonde et quelquefois attachante avec laquelle M. Ducis a su traiter une situation si terrible; mais ces remords, qui continuent d'occuper presque en entier le quatrième et le cinquième acte, ont fini par paraître aussi fatigans par leur continuité, qu'atroces et révoltans par les couleurs même que l'auteur a cru devoir employer pour les rendre plus tragiques. Des signes de réprobation, l'estime et la bienveillance méritées par M. Ducis à plus d'un titre réduisaient à de simples menaces, lui ont indiqué des retranchemens et des cor

que

TOME III.

K

rections considérables; il a eu le courage et la rare docilité d'obéir à ces impressions. Cette déférence, jointe à quelques changemens heureux qui motivent davantage l'action et qui en accélèrent en même temps la marche, lui a valu, à la seconde représentation, un succès d'autant plus flatteur que le public semblait jouir du triomphe qu'il lui décernait, et se plaire à le consoler de la sévérité avec laquelle plusieurs parties de cet ouvrage avaient été reçues le premier jour.

M. Ducis ne s'est écarté de son original que pour plier ce sujet, tout à-la-fois terrible et bizarre, aux convenances actuelles de notre Théâtre; mais pour le soumettre à ces règles si simples et si difficiles à suivre, dont les Grecs nous ont laissé l'exemple et le modèle, il a fallu que M. Ducis accumulât, dans l'espace de vingt-quatre heures, une foule d'événemens qui se pressent, se heurtent, et ne sauraient avoir ni la même vraisemblance, ni le même intérêt que dans le drame anglais, parce que 'unité de temps dont le poëte français a été obligé de s'imposer la loi ne lui a point permis de préparer les incidens, de développer les caractères avec cet abandon, avec cette vérité qui fait le princpal mérite des chefs-d'oeuvre monstrueux de Shakespear.

Lorsque l'Eschyle anglais, sans modèle, par la seule puissance de son génie, créa la Tragédie chez un peuple qui n'avait presque pour spectacles que des combats de coqs ou de gladiateurs, il dut choisir, pour plaire à une Nation que ses mœurs et le climat

qui les modifie rendent difficile à émouvoir, des sujets sombres et terribles, ces crimes atroces, ces événemens extraordinaires qui accablent, et qui dégraderaient l'humanité s'ils étaient moins rares. Ses spectateurs qui ne soupçonnaient pas les règles par lesquelles, dans tous les arts, le génie parvient à représenter sous des formes agréables l'objet même le plus hideux, à choisir, à rassembler, à disposer heureusement ses conceptions pour en former un tout parfait, dont les parties, unies par des liens faciles et naturels, forment ces beautés éternelles qui sont de tous les siècles et de toutes les Nations, ses spectateurs, dis-je, eussent dédaigné des ouvrages dramatiques conçus et traités d'après les principes et les règles qui ont dirigé les Corneille, les Racine et les Voltaire. Il leur fallait des tableaux pris dans la nature, mais dans une nature agreste et sauvage, parce que c'était là le caractère de leurs mœurs; des événemens romanesques, des situations forcées, des caractères atroces et presque monstrueux, parce que la terreur est la sensation qui a le plus d'empire sur un peuple, sombre, mélancolique et nourri dans les révolutions. Les traditions antérieures à l'Histoire écrite de l'Angleterre, celle des troubles dont elle fut long-temps agitée, et quelques traits de l'Histoire romaine ont fourni à Shakespear les sujets de la plupart de ses Tragédies. Ses plans sont tous irréguliers, mais le sont sans être jamais ni confus, ni même invraisemblables. Macbeth est l'Histoire. même mise en action. Shakespear a présenté sur

la scène ces événemens,' tirés des anciennes Chroni-. ques d'Ecosse, dans l'ordre et dans l'espace de temps où ces événemens ont dû vraisemblablement se passer; sa pièce embrasse l'Histoire de plusieurs années.

M. Ducis au contraire, pour asservir ce sujet à la règle d'unité de temps et de lieu, s'est vu forcé de renoncer à plusieurs beautés qui tenaient aux défauts même de son modèle. Il a évité quelquesuns de ces défauts; mais il est tombé dans ceux qui tiennent nécessairement à un plan forcé et à une action qui ne peut se dénouer que par un long enchaînement d'incidens extraordinaires. Il a paru sentir que les remords et le désespoir d'un grand crime avaient besoin d'être liés à un autre intérêt pour attacher le spectateur; il a imaginé de faire élever Malcom, fils de Duncan, par Seyvard, montagnard écossais, à qui ce Roi l'a remis pour le sauver du fer des assassins, et d'établir en quelque sorte tous les ressorts de sa pièce sur cet héritier du trône, qui passe pour le fils de Seyvard même ; mais cette fiction, qui devait reposer et varier l'intérêt d'une action continuellement terrible, n'a fourni à M. Ducis que le beau rôle accessoire de Seyvard. Malcom qui dans le premier acte est annoncé et présenté d'une manière intéressante, ne paraît au troisième que pour apprendre qu'il est le fils de Duncan; que Macbeth l'a assassiné; et au cinquième, pour servir à la pantomime du dénouement. Il est à regretter que M. Ducis n'ait tiré qu'un si

faible parti de ce rôle, qui pouvait et devait être l'âme de l'action. Au reste, il a suppléé l'intérêt, que rien ne remplace parfaitement, par l'énergie profonde et le pathétique souvent sublime et déchirant avec lequel il a traité le rôle entier de Macbeth. L'exposition commencée par Frédégonde et complétée par Seyvard, le récit du combat de Macbeth, son arrivée, le développement de son ambition, cette même.ambition aux prises avec ses remords, ses remords détruits par les conseils de Frédégonde, et le mouvement vraiment dramatique qui le fait voler au secours de Duncan à l'instant même où il entrait dans sa chambre pour le poignarder, ont reçu du public de justes applaudissemens. Mais depuis le troisième acte l'action n'offre plus que les remords 'de Macbeth, et ces remords, souvent éloquens, lassent et fatiguent, parce que ce sentiment, quoique M. Ducis l'ait présenté sous toutes sortes de formes, est, par sa nature même, toujours déclamatoire et voisin de l'exagération; parce qu'un scélérat poursuivi pendant trois actes par l'horreur de son crime et par un désespoir porté jusqu'au délire est un caractère qui flétrit l'âme au lieu de l'intéresser. Hérode dans la Mariamne de Voltaire, Oreste dans l'Andromaque de Racine, et dans l'Electre de Voltaire, ne présentent ces sublimes et effrayans tableaux du désespoir des grands crimes qu'avec la rapidité et l'éclat du tonnerre. Ces grands maîtres savaient qu'en prolongeant ces images terribles on en détruisait les effets, et que dans tous les arts, mais surtout

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