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ce voile, qu'il met sur votre tête, montre assez qu'il est jaloux et de ceux qu'on jette sur vous, et de ceux que vous jetez sur les autres. Il compte tous vos pas, il règle votre conduite jusqu'aux moindres choses : ne sont-ce pas des actions d'un amant jaloux? Il n'en fait pas ainsi à tous les fidèles; mais c'est que s'il est jaloux de tous les autres, il l'est beaucoup plus de ses épouses. Etant donc ainsi observée de près; pour vous garantir des effets d'une jalousie si délicate, il ne vous reste, ma chère Sœur, qu'une obéissance toujours ponctuelle, et un entier abandonnement de vos volontés. Marchez par la voie qu'il vous prescrit, par la règle qu'il vous a donnée : écoutez son ange qui vous avertit; ce sont vos supérieurs qui tiennent sa place. Vivant de la sorte, ma Sœur, espérez tout de son amour, et n'appréhendez rien de sa jalousie. Il seroit trop long de parler de l'obéissance; ce mot suffira. Il faut finir par une réflexion sur la jalousie.

Sachez donc que ce Dicu jaloux veut que ses fidèles le soient aussi, et qu'une sainte jalousie nous soit comme un aiguillon, pour nous exciter à son service. Ecce venio citò; tene quod habes, ut nemo accipiat coronam tuam (1): « Je viendrai bientôt; » tenez fortement ce qui a été mis en vos mains, de » peur que votre couronne ne soit donnée à un » autre ». Pourquoi parle -t-il de la sorte? pourquoi nous destiner une couronne qui doit briller sur une autre tête? Que ne la destinoit-il tout d'abord à celui qui la devoit enfin obtenir? Pour nous exciter à jalousie? C'est ainsi qu'il a fait à l'égard des Juifs. (1) Apoc. 1. 11.

[Ils étoient le peuple choisi; c'étoit à eux que les promesses avoient été faites, et ils devoient en recevoir l'accomplissement: mais leur incrédulité a suspendu à leur égard l'effet des miséricordes qui leur étoient réservées. ] Dieu a appelé les Gentils pour exciter les Juifs à jalousie; de peur qu'ils ne perdissent la place que tant d'oracles divins leur avoient promise. « Leur chute est devenue une occasion de » salut aux Gentils; afin que l'exemple des Gentils » leur donnât de l'émulation pour les suivre » : Illorum delicto salus est Gentibus, ut illos æmulentur. « Tant que je serai l'apôtre des Gentils, dit » saint Paul (1), je travaillerai à rendre illustre mon » ministère, pour tâcher d'exciter de l'émulation » dans l'esprit des Juifs qui me sont unis selon la » chair, et d'en sauver quelques-uns » Quamdiu ego sum Gentium apostolus, ministerium meum honorificabo si quomodo ad æmulandum provocem carnem meam, et salvos faciam aliquos ex illis. Comme un père, dit saint Chrysostôme (2), qui appelle son fils pour le caresser; ce fils mutin et opiniâtre refuse ses embrassemens, il en fait approcher un autre, et il attire par la jalousie celui que l'amour n'avoit pas gagné. Que tel ait été le dessein de Dieu, il nous le déclare lui-même formellement par la bouche de Moïse : « Ils m'ont, » dit-il, piqué de jalousie, en adorant ceux qui » n'étoient point dieux, et ils m'ont irrité par leurs » vanités sacriléges; et moi je les piquerai aussi » de jalousie, en aimant ceux qui ne forment pas

(1) Rom. XI. 11, 13, 14. — (2) In Ep. ad Rom. Hom. xvi, n. 3; tom. IX, pag. 634.

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» un peuple, et je les irriterai en substituant à leur place une nation insensée»: Ipsi me provocaverunt in eo qui non erat Deus, et irritaverunt in vanitatibus suis; ei ego provocabo eos in eo qui non est populus, et in gente stulta irritabo illos (1).

Cet innocent artifice de sa bonté paternelle a été inutile aux Juifs. Dieu leur a voulu donner de la jalousie pour les enflammer à le suivre; ils l'ont refusé. Vive Dieu, dit le Seigneur; cette jalousie fera leur supplice. « Ce sera alors, leur dit Jésus» Christ, qu'il y aura des pleurs et des grincemens » de dents, quand vous verrez qu'Abraham, Isaac, >> Jacob, et tous les prophètes seront dans le royaume » de Dieu, et que vous autres vous serez chassés » dehors: Ibi erit fletus et stridor dentium. « Il en » viendra d'orient et d'occident, du septentrion et » du midi, qui auront place au festin dans le royaume » de Dieu : alors ceux qui sont les derniers seront » les premiers, et ceux qui sont les premiers seront » les derniers » : Et venient ab oriente, et occidente, et aquilone, et austro, et accumbent in regno Dei: et ecce sunt novissimi qui erant primi, et sunt primi qui erant novissimi (2). « Les enfans du royaume » seront jetés dans les ténèbres extérieures » : Filü autem regni ejicientur in tenebras exteriores (3). La jalousie [ leur fera alors sentir son aiguillon dans toute sa force,] et ensuite la rage et le désespoir [acheveront de leur ronger le cœur; parce qu'ils connoîtront l'inutilité de tous leurs regrets:] Ibi erit fletus et stridor dentium. L'un des grands supplices (1) Deut. XXXII. 21. — (2) Luc. XIII. 28, 29, 30. (3) Matth.

VIII. II.

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des damnés, sera de voir la place qui étoit destinée pour eux, [occupée par d'autres. ] Que ce trône est auguste! que cette couronne est brillante! Elle étoit préparée pour moi, et je l'ai perdue par ce misérable plaisir d'un moment. Chrétien, où est ton courage?

<< Tenez donc, ma Sœur, fortement ce qui a été >> mis entre vos mains; de peur que votre couronne » ne soit donnée à un autre » : Tene quod habes ; ut nemo accipiat coronam tuam. La couronne de l'Epoux appartient, en quelque sorte, à l'épouse; ne la perdez pas : songez au mépris que l'on a pour une épouse répudiée. [Travaillez à soutenir cette haute dignité d'épouse de Jésus-Christ, par une vie entièrement dégagée des objets sensibles. Occupezvous sans cesse des moyens de vous rendre de plus en plus digne de ses chastes embrassemens, en évitant soigneusement tout ce qui pourroit blesser son œil jaloux. Vivez ainsi dans une continuelle attente de sa venue soupirez avec ardeur après son retour: n'ayez d'amour, de cœur, d'esprit, de mouvement que pour lui; afin que, toute embrasée du désir de le posséder, vous méritiez, lorsqu'il paroîtra, d'entrer dans la salle des noces pour consommer éternellement ce bienheureux mariage que vous allez contracter avec lui. ]

EXORDE

POUR LE MÊME DISCOURS (*).

Il est écrit, mes Sœurs, dans le livre de la Genèse, que « l'homme quittera son père et sa mère » pour s'attacher à son épouse (1) » ; et saint Augustin nous enseigne (2) qu'on ne peut jamais bien entendre le sens véritable de ce passage, si l'on ne l'applique au Fils de Dieu. En effet, dit ce saint évêque, selon l'usage des choses humaines, il falloit dire que c'étoit l'épouse qui quitte la maison paternelle pour s'attacher à son époux; et il n'y a, ce semble, que Jésus-Christ seul dont l'on puisse parler en un sens contraire. Car il est cet époux céleste, qui a, en quelque sorte, quitté Dieu son Père qui l'engendre dans l'éternité, et sa mère la Synagogue qui l'a engendré dans le temps, pour s'attacher à son Eglise, que son sang et son esprit lui ont ramassée de toutes les nations de la terre. Si je vous disois de moi-même que c'est en cette journée que l'Eglise célèbre ces

(*) Cet Exorde paroît avoir été destiné pour ce Sermon, qui en manque effectivement: mais comme il ne pourroit être mis en tête du discours, sans en déranger l'ordre et la suite, et sans y faire pour cette raison des changemens, nous avons pris le parti de le renvoyer à la fin du Sermon. (Edit. de Déforis.)

(1) Genes. 11. 24. (2) De Genes. cont. Manich. lib. 11, n. 37; tom. 1, col. 680.

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